ADAPTATION.
© Bac Films

CHARLIE KAUFMAN : ADAPTATION. (2002)

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Stimulation métaphysique
10
Mise en scène / Empathie avec le script
9
Scénario
9
Son & Musique (Carter Burwell)
9
Personnages / Interprétations
9
"Troisième acte"
3
Note des lecteurs0 Note
0
8.2

Si nous chroniquons ce film, 13 ans après, c’est pour tenter de percer le mystère CHARLIE KAUFMAN – si tant est que cela soit possible – avant la sortie de son prochain long métrage Anomalisa, le 3 février 2016.

Retour donc à ADAPTATION., où il n’est encore « que » scénariste (Spike Jonze réalise), pour constater une nouvelle preuve du génie de l’auteur (et du réalisateur), quoi que sensiblement minimisé en fin de course, par un « troisième acte » cohérent d’un point de vue scénaristique, mais nous laissant en tant que spectateurs du film, sur notre faim.

La première scène est déjà le programme du film. Écran noir, la voix de Nicolas Cage, un lot incessant de réflexions névrosées.
Cette voix définit en quelques phrases : un auto-dépréciatif chronique, un éternel insatisfait ; un complexe d’infériorité vivant. Un talentueux procrastinateur. Un ego incompris. Un hypocondriaque au bord de la dépression. Un enfant de la pop culture fasciné par le quotidien. Un inadapté socio-professionnel. Un auto-centré en nécessité d’affection, de sexe, de rapport à l’autre. Un homme qui doute de son aptitude à transmettre quoi que ce soit : au public, aux artistes, à cette progéniture fantasmée… Craig, Bronfman, Maxine, Chuck barris, Lotte, Puff, Lila, John Malkovich… Toutes ces définitions oxymores et pléonasmes peuvent s’appliquer aux exubérants personnages des scénarios de Charlie Kaufman.

Cette introduction d’ADAPTATION. vient donc clarifier les choses : si ces névroses définissent Charlie Kaufman, alors les personnages de ses films sont Charlie Kaufman. Chaque script de l’auteur est alors comme une thérapie lui permettant de s’auto-analyser grâce à une extrapolation scénaristique des interactions entre ses différentes névroses (personnages donc). L’histoire, quelque soit son degré de folie, n’est, à mon sens, pas la qualité première de ses films, car elle n’est que la façon la plus logique de lier au medium cinéma, la psychologie et les obsessions de Kaufman, personnifiées et mises en interaction.

Si Dans la peau de John Malkovich faisait office de préface à l’œuvre de Charlie Kaufman en listant de façon assez exhaustive ses obsessions, Human Nature recentrait déjà un peu plus les choses en s’interrogeant sur la transmission et l’héritage, sur les femmes et leurs différents pouvoirs d’attraction/répulsion. Confessions d’un homme dangereux, s’il avait seulement été réalisé par quelqu’un d’empathique des névroses de Kaufman, aurait dû exorciser à travers un pur fantasme, cette peur de ne jamais trouver le succès que dans la compromission… Théorie qui conclura également ADAPTATION., après un traitement de la classique « panne de l’auteur génial », et des pistes de réponses à ces questionnements existentiels. Comment concilier son succès, son talent, son éthique, son caractère, son métier, son public, l’empathie pour son public, les souhaits de son public, son fantasme du public, Hollywood, le cinéma, les autres artistes, les femmes, les relations. Charlie Kaufman mettant encore plus de lui-même dans ADAPTATION., définir ses enjeux devient d’autant plus nécessaire pour apprécier le film.

Photo du film ADAPTATION.
© Bac Films

Cette clarification faite, il est temps d’aborder le scénario d’ADAPTATION..

Pour qu’il soit envisagé au mieux, je vais utiliser beaucoup d’italique, pour ainsi indiquer lorsque le réel fusionne avec la fiction, ou lorsque plusieurs niveaux de lectures peuvent être appliqués à l’image.
Charlie Kaufman, le vrai scénariste du film se met en scène dans la peau de Nicolas Cage.
Charlie Kaufman donc, essaie d’écrire, ou plutôt d’adapter un bouquin assez sensoriel issu d’une expérience personnelle vécu par Susan Orlean : Le voleur d’Orchidées.
Charlie Kaufman, confronté à la difficulté de fictionnaliser cette expérience, fera progressivement dériver l’adaptation du livre vers l’histoire de « ses » personnages : Susan Orlean et John Laroche.
Charlie Kaufman a… un frère jumeau. Donald est ainsi son antagoniste en tous points. Jovial, affable, sans aucun talent… POURTANT, il participera pleinement à l’écriture du script de façon informelle, comme catalyseur des décisions de Charlie Kaufman, dans la réalité : celles de prendre des cours de scénario ou de rencontrer « ses » personnages pour percer leurs mystères.

C’est ainsi en mettant en parallèle le script, le film et les interrogations de Kaufman, et que l’on constate la logique de CHAQUE métaphore, et que l’on se rend compte à quel point ADAPTATION. est maîtrisé.

« Une nouvelle preuve du génie de ses auteurs (Charlie Kaufman et Spike Jonze), quoiqu’un peu diminué par un troisième acte raté. »

Une fois de plus, c’est le réalisateur Spike Jonze qui s’acquitte de ce défi d’illustration de la profondeur Kaufmanienne, transposée en un film dynamique, complexe et stimulant, en accord total avec son univers personnel : faire interagir réalité, fiction et divertissement.
Le cinéma de Jonze gagne par cette adaptation, une sensibilité inconnue jusqu’ici et qui ne le quittera plus (voir Her). On la repère dans cette touchante observation de Kaufman – la boule de névrose – interagissant avec ceux qui ne le comprennent pas. On la perçoit également, dans ce judicieux élan contemplatif et ce naturalisme assez bouleversants et délicats, nécessaires pour dépeindre l’histoire d’Orlean et Laroche en accord avec le script et l’intention première de Charlie Kaufman ; cette sensibilité filtrant à travers l’observation patiente et la mise en scène des personnages, de leur environnement, de leurs quêtes, de leurs évolutions et interactions, est une preuve du degré d’empathie du cinéaste envers le scénariste.

Parallèlement, la réalisation devient plus nerveuse, aléatoire et stylisée lorsque recentrée sur Charlie Kaufman. Accélérations/décélérations de l’image, digressions, décadrages, montages cut, jeux avec les musiques et sons intra/extra diégétiques, jeu sur les ombres (notamment avec Donald), ruptures de ton… Tout cela fusionne avec les humeurs de Charlie : stressé, angoissé, apaisé, inquiet, paranoïaque, etc., reflétant l’ensemble des états par lequel il semble obligatoire de passer lorsque l’on bute sur l’écriture d’un script.

Entre ces différents moments, il y a de pures idées audio-visuelles et de purs instants de mise en scène, dont on retiendra : l’immersion « sur le plateau de Dans la peau de John Malkovich », ce qu’il s’est passé entre le Big Bang et Charlie Kaufman, les chasses à l’orchidée, l’accident vu de l’intérieur, ou quelques rêves érotiques géniaux. Jonze capte également avec une certaine maestria l’illustration de l’écriture du script – avant que Charlie Kaufman l’envisage, un peu plus tard – générant un degré supplémentaire de mise en abyme et de métaphysique, définitivement stimulant.

Photo du film ADAPTATION.
© Bac Films

Malgré tout, le matériau filmique seul ne suffit pas pour apprécier ADAPTATION..

C’était pourtant inévitable : Kaufman nous avait prévenu tout au long du film de ses intentions : dépouiller le script d’artifices scénaristiques et cinématographiques, pour transmettre une émotion, véritable et sensorielle, humaine. Le scénariste veut proposer une vraie adaptation, respectant le matériau initial, autant que les désirs de l’industrie cinématographique (Hollywood, les spectateurs, les règles du divertissement).
Le climax final intervient ainsi comme conclusion logique d’un film sur la procrastination et l’échec face à un tel défi. Il faut y voir une auto-dépréciation de Kaufman et un aveu de faiblesse en tant qu’auteur, celui-ci recourant in fine à ce qu’il souhaiterait bannir, pour se sortir de l’impasse dans laquelle il s’était cinématographiquement emmuré.

Mais justement, cinématographiquement, cela ne prend pas. Car ADAPTATION. façonne notre empathie envers le cheminement psychologique de Kaufman à travers ses personnages, ainsi qu’envers sa démarche artistique (écrire un scénario : WOW !) – et non envers ses personnages. Leurs aventures finales, aussi apocalyptiques soient-elles, relèvent du spectacle gratuit ; notre implication émotionnelle ayant été minimisée par notre manque d’empathie envers eux. Charlie Kaufman a du prendre une sacrée leçon d’humilité par rapport à son génie, qu’il mettra en pratique par la suite : le principe « marquez votre public par votre troisième acte » se heurte à la sensorialité du film, ce qu’il n’avait probablement pas anticipé à l’écriture du script.

L’effort intellectuel à fournir pour apprécier ce décevant final est à mon sens un peu trop hors-sujet par rapport au plaisir brut que procure ADAPTATION.. L’impression paradoxale d’observer un créateur s’amuser avec ses marionnettes comme dans Malkovich ou Anomalisa, minimise sensiblement l’impact de cette logique analytico-cathartico-scénaristique. Dommage, in fine.

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Dans la peau de John Malkovitch (1999)

Human Nature (2001)

Confessions d’un Homme Dangereux (2002)

Adaptation. (2002)

Eternal Sunshine of The Spotless Mind (2004)

Synecdoche New York (2008)

Anomalisa  (2016)

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[divider]INFORMATIONS[/divider]
[column size=one_half position=first ]Affiche du film ADAPTATION.[/column][column size=one_half position=last ]

Titre original : Adaptation.
Réalisation : Spike Jonze
Scénario : Charlie Kaufman
Musique : Carter Burwell
Photo : Lance Acord
Acteurs principaux : Nicolas Cage, Nicolas Cage, Meryl Streep, Chris Cooper
Pays d’origine : U.S.A.
Sortie : 26 mars 2003
Durée : 1h56min
Distributeur : Bac Films
=> Synopsis 

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Stimulation métaphysique
Mise en scène / Empathie avec le script
Scénario
Son & Musique (Carter Burwell)
Personnages / Interprétations
"Troisième acte"
Note finale

  1. Ce qui est intéressant avec le dernier acte, c’est que le personnage Charlie Kaufman tentait à tout prix d’éviter les écueils dans lesquels son frère jumeau tombe constamment, et après avoir cédé à la tentation d’assister à une conférence de Mckee, qui finit par ironiquement devenir son mentor, il retourne sa chemise afin d’achever l’ensemble des mises en abime. J’ai, au long du dernier acte, ressenti constamment des paradoxes intérieurs et intellectuels, puisque les choix d’écriture classiques fonctionnaient à un degré très artificiels, mais fonctionnaient malgré tout. Pour moi, si la troisième partie cède à une facilité, c’est aussi, d’une certaine manière, pour montrer qu’il est simple de transformer l’originalité en un système de règles à appliquer. Le film devient ce que Charlie Kaufman ne souhaitait pas qu’il devienne, mais je ne crois pas que ça soit un aveu de faiblesse, plutôt la touche finale de la mise en abime. Nous savons que les situations présentées sont artificielles, surfaites, pré mâchées, et c’est en ça que pour moi, elles gagnent en épaisseur. Chaque résolution de conflit est une fausse résolution, qui ne satisfait personne, même le personnage, qui n’a pas d’autres choix que d’obéir à la volonté de son père-scénariste, mais qui en vérité, intérieurement, n’a pas changé. Je trouve le pied de nez formidable, et le film aurait pu me perdre… J’ai eu la volonté de le suivre dans sa débauche finale parce que cette fin apparait comme la seule pouvant, de manière satisfaisante, achever la mise en abime, ou le tour de la mise en abime présente dans le film. Quelle meilleure résolution pour un film qui prône l’originalité, et le besoin de cette originalité, que de s’achever sur un paradoxe créatif ?

    Ce n’est donc pas pour moi un spectacle gratuit, c’est une transposition aussi légitime des idées et des sentiments énoncées dans le reste du film. C’est la dernière couche d’ironie.

    1. cela dit c’est pas incompatible avec ce que je pense de la fin (gratuite PAR RAPPORT à la sensorialité du film, au traitement personnel de l’histoire à travers un traitement des obsessions de Kaufman) ; en fait ça atteste de ce que tu as réussi à faire et pas moi, voir le film d’un point de vue purement scénaristique.

      1. Je comprends mieux ton article avec ta remarque.
        Je cerne mieux la déception exprimée, je crois.

        Personnellement, je m’attache aux personnages Kaufman – Donald, et à la névrose exprimée.
        C’est vrai que les personnages présents dans l’adaptation écrite par le personnage Kaufman me laisse plus froid (de ce dont je me souviens).
        Je me souviens que ce qui me plait, c’est du coup l’absurdité de cette fin (je pense à « Kaboom » ou plus récemment « The Dead Don’t Die »). J’accroche au ton et à l’ironie de la situation mais effectivement, il y a une perte qui fait légèrement souffrir. Comme je la comprends à travers le prisme de ce qui m’est raconté, je la ressens sans frustration, elle me parait justifiée dans ce qui est narré.
        Mais c’est vrai qu’il reste malgré tout une perte.

        Très pertinente remarque, merci de l’avoir faite !