Album de famille

[CRITIQUE] ALBUM DE FAMILLE

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Avec Album de famille le réalisateur Mehmet Can Mertoglu aborde les méandres administratifs de l’adoption en Turquie.

Mehmet Can Mertoglu évoque dans ALBUM DE FAMILLE  le couple quarantenaire que forment Bahar (Şebnem Bozoklu) et son époux Cüneyt (Murat Kılıç, croisé dans Il était une fois en Anatolie de Nuri Bilge Ceylan). Le couple a décidé d’adopter un bébé en cachette et de faire en sorte que tout le monde croit que l’enfant qu’ils vont choisir est le leur. Car ils ont droit de refuser le bébé qui leur est proposé, ce qui donne d’ailleurs lieu à une scène très forte et très drôle. On voit donc Cüneyt photographier dans différents endroits de Turquie son épouse avec un faux ventre. Ils créent ainsi de toute pièce un faux album de photos de grossesse, et donc de famille.

Photo du film ALBUM DE FAMILLE

Des motivations réelles et des émotions de ce couple, on ne saura rien. Le réalisateur a en effet pris le parti de les suivre dans leurs démarches d’adoption, avec un regard de quasi-documentariste. Il n’y a jamais de signes d’affection entre le mari et l’épouse. Ils sont souvent filmés à côté l’un de l’autre ou de dos en voiture. C’est triste, froid, gris. Même leur façon de manger ou de fumer partout de façon compulsive se rapproche plus d’une certaine animalité. Ils se goinfrent et se remplissent, ne savourent pas. Ils respirent mais ne vivent pas. Cette impression de non vie est assez particulière. Cela faisait longtemps qu’on n’avait pas eu un niveau d’empathie aussi proche de l’encéphalogramme plat.

ALBUM DE FAMILLE ne répond pas à la question sous-jacente « qu’est-ce qu’une famille?  » . Car le scénario original de ALBUM DE FAMILLE est surtout prétexte à dénoncer l’absurdité de la bureaucratie turque et ses imbroglios administratifs. Sur une forme satirique et grinçante, le réalisateur filme la façon dont les fonctionnaires, dont Bahar et Cüneyt, travaillent…ou ne travaillent pas. Le réalisateur donne à voir des images figées, des lieux vides, des agents endormis sur leurs bureaux. A chaque fois, il se moque des circonvolutions de politesse et de discussions à propos de tout et de rien (foot, prêt immobilier, famille…) de la part des fonctionnaires avant de traiter le véritable sujet. Police, hôpital, école, aucun corps de l’Etat n’est épargné par le regard perçant du réalisateur. Il dénonce également cette pseudo éducation en société affichée et culturelle qui ne les empêche pas de se comporter comme des personnes non civilisées et de dire des horreurs aux gens, sans filtre aucun.

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Comme pour combler l’absence d’émotions, le son des bruits qui entourent les personnages est omniprésent. Les cris des bébés et des jeunes lycéens renforcent ainsi cette absence de vie et d’humanité chez les protagonistes. L’arrivée de leur bébé ne leur fera pas changer leurs habitudes égoïstes. Même le petit se pliera au silence. Mais le rythme de ALBUM DE FAMILLE s’essouffle, car les situations de cette comédie dramatique sont redondantes. Le réalisateur dresse un portrait réaliste et pessimiste de la Turquie d’aujourd’hui qui renvoie à plusieurs égards  à une image du en décalage des pays de l’Est des années 80. A mi-chemin entre le maintien de la culture et des traditions à outrance et l’évolution du monde actuel.

Le travelling en caméra est très lent, symbolisant la lenteur du méandre administratif dans lequel se noient les personnages. Le film aurait presque pu s’appeler « Méandre », nom du fleuve de Turquie  Menderes, au cours particulièrement sinueux! La pensée de Mehmet Can Mertoglu emploie toutes les références métaphoriques de ce temps suspendu : ainsi  ces images s’attardant sur un funiculaire arrêté en altitude ou une murène dans un aquarium. Sa vision du monde est finalement très noire, presque désespérée. Ce que l’on comprend de la fin est assez déconcertant, puisque le couple s’ouvre enfin à la vie mais d’une façon totalement en décalage avec l’idée que l’on se fait d’une famille.

Sylvie-Noëlle

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Album de famille
ALBUM DE FAMILLE (Albüm)
• Sortie : courant 2017
• Réalisation : Mehmet Can Mertoglu
• Acteurs principaux : Şebnem Bozoklu, Murat Kılıç, Muttalip Müjdeci
• Durée : 1h45min
Titre original : De toutes mes forces
Réalisation : Mehmet Can Mertoglu
Scénario : Mehmet Can Mertoglu
Acteurs principaux : Sebnem Bozoklu, Murat Kiliç
Date de sortie :3 mai 2017
Durée : 1h43min
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Note finale

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Rédactrice

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Note finale

  1. Trompée par la bande annonce et ses gags, je m’attendais à un film comique. Mais la première séquence a installé le malaise d’emblée, et ce malaise n’a fait que s’intensifier au fur et à mesure de la progression du film. Les personnages, l’histoire, l’environnement, tout est laid, odieux, insupportable. Pas de soleil, pas d’air, un comble pour un pays comme la Turquie (où je me suis rendue plusieurs fois, et dont j’ai pu admirer les paysages magnifiques). Dans un entretien publié par les Inrocks, Mehmet Can Mertoglu révèle que 90 % de sa famille est grecque. Est-ce là une clé qui expliquerait une telle haine de la Turquie et des Turcs ? Son compatriote Nuri Bilge Ceylan a dépeint les travers de la Turquie moderne, mais avec humanité et bienveillance. Chez Mertoglu, aucune humanité, aucune indulgence. La fin du film m’a sidérée, surtout quand on connaît l’attachement réel des Turcs pour les valeurs familiales (je précise que je ne suis pas Turque). Certes, on ne fait pas de bon cinéma avec de bons sentiments, mais on ne fait pas non plus de bons films sans lumière !

    1. Bonjour ce film est en effet déconcertant en de nombreux points, y compris celui de la photographie. Mais je pense aussi que les cinéastes de ce pays essaient de faire passer des messages, voire d’alerter les spectateurs européens sur ce qui s’y passe, et le seul moyen qu’ils aient trouvé est mise en scène et leur façon décalée de filmer ! Sylvie-Noëlle