Apocalypse Now
© Omni Zoetrope

APOCALYPSE NOW, marqué et marquant – Critique

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« Mon film n’est pas un film. Mon film ne traite pas du Vietnam. Il EST le Vietnam. » Tels sont les mots de Francis Ford Coppola au sujet de son chef-d’oeuvre absolu : Apocalypse Now, palme d’or en 1979.

Projet démesuré sous l’ambition incommensurable du réalisateur et reflet d’un tournage désormais inscrit dans la légende, cette odyssée folle et hallucinée nous immisce au fin fond de la jungle vietnamienne et du chaos causé par la guerre. Longeant le fleuve à la recherche d’un mythe – le colonel Kurtz –, la quête initiatique du capitaine Willard et de son équipage est encore aujourd’hui considérée comme l’une des œuvres les plus importantes du cinéma. Retour sur une plongée en enfer toujours aussi passionnante. Culte.

La guerre du Vietnam a inspiré bon nombre de réalisateurs et beaucoup de films s’y sont confrontés. Autant de cicatrices laissées qui ont rarement atteint la profondeur du long-métrage de Francis F. Coppola. On pourra citer Full Metal Jacket ou Voyage au bout de l’enfer dans le haut du panier, deux films plus réalistes et classiques sur la forme que le psychédélique Apocalypse Now. Pourtant ce dernier reste sans doute l’ultime et le plus authentique témoignage du Vietnam et de sa folie malgré, ou justement grâce, à son côté irréaliste. Adaptation libre (une critique récurrente à sa sortie) du livre de Conrad, Heart of Darkness ; le film nous plonge, lui aussi, au coeur des ténèbres.

Comme d’habitude, après le succès et la notoriété conférés par sa trilogie du Parrain, l’obstiné metteur en scène voit les choses en grand : « Je vais réaliser le plus grand film de guerre ». Pour accomplir son projet, le réalisateur n’a pas lésiné sur les moyens, quitte à y laisser sa maison et même sa santé : l’indépendance a un prix, mais ça paye au niveau du réalisme.
Déboursant des millions de sa poche et fonçant dans les méandres de son ambition, Francis F. Coppola s’accorde tout : d’immenses structures inappropriées aux caprices du climat local, des hélicoptères prêtés par le président Marco – les engins reprenaient de vraies opérations militaires entre deux prises, un concert de rock en pleine jungle, un lâcher de tigre plus vrai que nature, des explosions à foison, etc. Éveillant la curiosité, les médias s’affolent et suivent les péripéties d’un tournage qui tourne au cauchemar : le film suscitera l’engouement avant même sa sortie. L’enjeu est immense mais Francis F. Coppola ne baissera pas les bras et les aléas rencontrés lors de cette épopée donneront toute l’authenticité à son film.

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Le réalisateur ressuscite en quelque sorte, de façon concrète, le diable qui siégeait dans cette jungle au moment de la guerre. Presque documentaire, le film utilise la culture de l’époque pour rendre son œuvre encore plus réaliste jusqu’au choix des musiques (les Rolling Stones, Hendrix, l’inoubliable « The end » de The doors qui colle à la peau du film). Même si la BO de Carmine Coppola a peut-être pris un coup de vieux sur quelques passages, on ressent très bien l’esprit américain qui illusionnait les soldats. Le film bénéficie d’une aura particulière de par ses circonstances de tournage et le parallèle avec la folie de la guerre se ressent comme nulle part ailleurs : au même endroit presque au même moment, allant crescendo vers la démence, c’est la folie des grandeurs. Le plateau comme champ de bataille, à la guerre comme à la guerre. Tout est vrai dans le film ou presque.

Marqué et marquant, né d’un tournage historique, ce portrait esthétique de la guerre et de la folie des hommes en général est un film quasi parfait sur tous les points, tant sur la forme que dans le fond.

Pourtant, on frôle le surnaturel par moments en raison d’une plastique irréprochable. Grâce à son plateau enfumé (et pas seulement par les fumigènes…), ses scènes improbables, son montage hypnotique et ses couleurs nuancées par une photographie parfaite, l’oeuvre prend des allures de rêve au fur et à mesure que l’on avance dans le film. Francis F. Coppola a le don de glisser de scènes en scènes sans lasser le spectateur et sans perdre d’intensité. La beauté formelle sert parfaitement la profondeur résultant du travail titanesque qu’a nécessité le film et de la densité qu’il a acquise. Regarder Apocalypse Now, c’est assister au fantasme éveillé d’un artiste en pleine guerre. En un sens le réalisateur est allé, lui aussi, jusqu’au bout du fleuve, au bout de lui-même. Apocalypse Now parle autant de la folie humaine (le cinéaste connaissait bien le sujet à ce moment…) que de la guerre en elle-même, celle-ci servant de révélateur. Le constat est amer mais fascinant et propose des scènes qui semblent irréelles.

Dès le début, la guerre s’empare de Willard dans une intro enchaînant les fondus où les images de l’enfer vietnamien côtoient celles du personnage fumant sa clope. Cette guerre ne le quittera plus. Le réalisateur montre comment ces soldats envoyés au milieu de nulle part, livrés à eux-mêmes, forment une communauté isolée du monde. Ce qui les mène à s’entre-tuer, comme s’ils cherchaient un coupable à cette folie. Les personnages prennent véritablement conscience de l’horreur lors du passage à l’acte (le massacre de Laurence Fishburne). L’auteur montre l’absurdité de la guerre tout en jouant avec nos pulsions de voir tout péter avant que l’on se rende compte du paradoxe : la violence dénonce la violence. Le cinéaste récrée le mal et rend compte de la cruauté enfouie au fond de chaque humain. Rares sont les films d’une telle ampleur.

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Même si le réalisateur était au sommet de son art, rien n’aurait été pareil sans un casting et un scénario à la hauteur du projet. Le méconnu Martin Sheen de l’époque débarqua au coeur de la bataille pour remplacer Harvey Keitel viré en plein milieu de tournage, la faute à un jeu trop expressif d’après Francis F. Coppola. Le choix s’avéra plutôt judicieux car la neutralité de l’acteur permet de s’identifier à lui tout en gardant une part de mystère. Les seconds rôles, plus caricaturaux mais bien choisis, approfondissent le tableau grâce à une très bonne interprétation des comédiens, surtout le déjanté Dennis Hopper et l’hilarant Robert Duvall aux répliques cultes.

Le scénario, simple mais efficace, tient en haleine jusqu’au bout tant la découverte du mystérieux Kurtz se fait obsédante. Le bateau, en guise de fil narratif, amènera les personnages étape par étape jusqu’au fin fond du conflit. La voix off du capitaine nous perd dans ses pensées et renforce l’aspect carnet de voyage. Pendant 3 heures Apocalypse Now n’arrête jamais de monter en tension. Une scène pourtant fait encore débat sur le rythme du film : la rencontre des Français (ajoutée dans la version longue), artistiquement toujours au top mais à l’intérêt discutable pour beaucoup. Un passage au ton bleuet à part dans l’intégralité du film. Quoi qu’il en soit l’attente sera rassasiée par un final d’anthologie. L’explosion de cette mèche allumée arrive enfin lors de la rencontre aux allures mystiques d’un Marlon Brando illuminé, méconnaissable et dérangé. Une sorte de Dieu vivant qui cherche un successeur pour guider son troupeau perdu d’avance. Cette dernière confrontation d’hallucinés nous amène enfin vers l’apothéose de l’horreur. L’horreur. L’horreur.

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Sortis vivants de l’enfer vert, Francis F. Coppola et son équipe ont laissé un lourd héritage dans l’histoire du cinéma. Marqué et marquant, né d’un tournage historique, ce portrait esthétique de la guerre et de la folie des hommes en général est un film quasi parfait sur tous les points, tant sur la forme que dans le fond. Apocalypse Now est une œuvre d’art, un film comme on n’en fait et n’en fera plus. Du grand spectacle engagé. Du vrai cinéma. Réalisé dans la sueur jusqu’au dernier battement de cœur (n’est-ce pas Martin Sheen ?), c’est un film sans fin qui mérite toujours d’être revisionné. Si vous n’avez pas encore vu un raid aérien d’hélicoptères porté par la musique « la chevauchée des Valkyries » de Wagner, inutile de vous dire ce qu’il vous reste à faire. D’autant plus que son dépoussiérage HD le classe définitivement au rang des intemporels.

PS : et pour les curieux, je leur conseille de jeter un coup d’œil à l’excellent documentaire Heart Of Darkness qui nous fait découvrir le tournage du film. Un témoignage passionnant réalisé par la femme du maître en personne.

Note des lecteurs8 Notes
4.5
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Note finale

    1. En effet, elle n’est pas la seule à réaliser (Fax Bahr et Georges Hicklenlooper) ce documentaire mais elle fait partie du projet, c’est d’ailleurs elle qui a quasiment tout filmé des archives donc bon…

    1. En effet elle n’est pas la seule réalisatrice, il y a aussi Fax Bahr et Georges Hickenlooper qui se chargent du projet. Mais les archives vidéos sont quasiment toutes filmées par elle.

    2. En effet, elle n’est pas la seule à réaliser (Fax Bahr et Georges Hicklenlooper) ce documentaire mais elle fait partie du projet, c’est d’ailleurs elle qui a quasiment tout filmé des archives donc bon…

  1. Le nom du documentaire « Heart of Darkness » est un hommage au roman éponyme de Joseph Conrad. Si tu ne l’as pas lu et comme tu as l’air d’apprécier fortement le film, je te suggère de te jeter dessus ;)

    1. Oui je l’avais précisé un peu plus haut que le film était l’adaptation du livre de Conrad, malheureusement je n’ai toujours pas eu l’occasion de le lire, mais peut-être qu’un jour je me lancerai dedans, j’en prends note ! ;)

  2. Le nom du documentaire « Heart of Darkness » est un hommage au roman éponyme de Joseph Conrad. Si tu ne l’as pas lu et comme tu as l’air d’apprécier fortement le film, je te suggère de te jeter dessus ;)

    1. Oui je l’avais précisé un peu plus haut que le film était l’adaptation du livre de Conrad, malheureusement je n’ai toujours pas eu l’occasion de le lire, mais peut-être qu’un jour je me lancerai dedans, j’en prends note ! ;)