Jeux Interdits

[critique] Jeux Interdits

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Mise en scène
9.5
Scénario
9.5
Casting
10
Photographie
9.5
Musique
10
Note des lecteurs3 Notes
9.4
9.5

[dropcap size=small]A[/dropcap] l’occasion de la sortie au cinéma d’une version restaurée de Jeux Interdits, il me semblait intéressant de revenir sur le film de René Clément. S’il est principalement connu pour sa bande originale qui constitue un passage obligé pour tout les guitaristes, le film est également rentré dans le patrimoine culturel français pour sa grande qualité et son rayonnement à l’international. Il offrira à son metteur en scène le deuxième Oscar de sa carrière, ainsi que le Lion d’or à la Mostra de Venise, et révélera Brigitte Fossey qui s’affirmera comme une actrice phare de sa génération. Mais le film est également souvent cité comme l’un des meilleurs films français sur la guerre et l’enfance, et une référence incontournable pour de nombreux réalisateurs. Tout cela contribuera évidemment à faire de Jeux Interdits le monument qu’il est aujourd’hui.

René Clément est un réalisateur qui a toujours su s’entourer. Dès le début de sa carrière en 1945, il officiera comme conseiller technique sur La Belle et la Bête de Jean Cocteau et dès lors, sa carrière sera une succession de succès public et critique. Son thème de prédilection, la guerre et la résistance, l’impose comme un auteur polémique dont les films seront parfois retirés rapidement des salles – ce sera le cas de son premier long-métrage, La Bataille du Rail – pour leur côté trop actuel et politique. Si Jeux Interdits s’inscrit dans ce thème, il prends le parti de montrer l’horreur à travers le regard de deux enfants et évite toute censure. La guerre est une menace invisible et constante, mais qui n’empêche ni la beauté ni la poésie. Nous ne verrons le conflit que durant les déchirantes scènes d’introduction et de conclusion, mais pendant tout le film nous en entendrons parler, par l’intermédiaire des adultes. Car René Clément oppose radicalement l’univers des adultes à celui, fantasmé et innocent, des enfants incarnés par Brigitte Fossey et Georges Poujouly. Tout le film repose sur cette jeunesse, nous vivrons avec eux, nous les verrons aller de l’insouciance au malsain, parler de la mort et des enterrements, voler des croix sur les cercueils, et tout cela nous semblera presque normal tant il est aisé de les comprendre. Le tour de force de Jeux Interdits, c’est d’être une ode à l’enfance et à sa douceur tout en assumant leurs actes déplacés voirs parfois franchement glauques. Mais il est impossible de leur en vouloir, on se reconnaîtra tous dans cette jeunesse imparfaite qui n’a pas forcément conscience que ce qu’ils font est mal. Et d’ailleurs, l’est-ce vraiment ? Toute l’histoire écrite par le metteur en scène est tellement belle, la façon qu’il a de filmer la fabuleuse Brigitte Fossey est tellement sublime, qu’on en viendrait presque à blâmer les adultes pour rappeler ces enfants à la réalité. Cependant, le réalisateur ne porte aucun jugement critique sur ses personnages, et l’on se surprends à comprendre les réactions des deux partis. Les jeux des enfants sont immoraux, en effet. Mais rien n’est plus beau de les voir se justifier, avec leur naïveté propre à leur âge.

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Filmer la guerre, ce n’est pas forcément filmer des combats, et René Clément l’a bien compris. Il s’attarde sur ses personnages et met en scène l’une des plus belles histoires d’amitié (ou d’amour?) jamais écrite au cinéma. La relation entre Michel et Paulette, pleine de non-dits et d’insouciance, prendra une ampleur insoupçonnée lors d’une scène finale déchirante où les deux univers se rencontreront. Les dialogues sonnent justes, sont d’une pureté touchante, et sont en plus sublimés par les voix enfantines. L’attachement à l’univers rural est immédiat tant chaque personnage possède un caractère qui lui est propre et qui ne sera jamais sous-développé. Cette justesse dans la caractérisation contribue à créer une atmosphère tout à fait exceptionnelle. Il y a en effet dans l’ambiance du film quelque chose que reprendra sans doute l’excellent La Nuit du Chasseur, de Charles Laughton, le temps d’une descente de rivière absolument culte, cette poésie absolue que René Clément transmet par une mise en scène d’une douce sobriété, à l’origine de certains des plus beaux plans du cinéma français. Lorsque les bombardements se déchaînent au loin, et que le réalisateur filme Michel et Paulette marcher de nuit sous le ciel en feu, les explosions deviennent des étoiles et les enfants des figures intouchables magnifiés une contre-plongée sublime. Lorsque Paulette est contrariée et que la réalité la rattrape, les gros plans sur son visage figurent sans hésitation parmi les cadres les plus déchirants qu’il m’ait été donné de voir. Les séquences s’enchaînent, toutes plus belles les une que les autres, et parfois la musique anthologique de Narciso Yepes vient sublimer cette poésie brute, simple et pourtant inégalée. Mais le réalisateur n’en abuse pas et l’utilise avec parcimonie. Ses acteurs, son histoire, son talent de metteur en scène, suffisent à créer l’émotion et il le sait. Alors quand vient se superposer à tout cela cette composition connue de tous, d’une simplicité bouleversante à mille lieux des grands orchestres des mélodrames hollywoodiens de l’époque, on comprends que nous sommes face à une pièce maîtresse du cinéma et que René Clément nous offre un film qui deviendra culte.

René Clément met en scène un conte fantastique, un véritable poème qui s’impose comme l’un des plus beau film jamais réalisé ”

Jeux Interdits est un film phare du cinéma français, et si vous avez l’occasion de découvrir ou redécouvrir ce chef d’oeuvre au cinéma, il n’y a aucune hésitation à avoir, d’autant plus que le travail effectué par Digimage Classics pour la restauration du film est admirable. Une heure et demi hors du temps, un sourire constant aux lèvres jusqu’à cette déchirante mais sublime scène finale. Parler de la photographie, de la mise en scène, de la caractérisation, tout cela semble dérisoire tant le film est au-dessus des critères habituels et que tout ses aspects conduisent à la finalité poétique d’une oeuvre qui aura marqué plusieurs générations. René Clément met en scène un conte fantastique, un véritable poème qui s’impose comme son meilleur film, comme l’un des meilleurs film français, et même à mes yeux comme l’un des plus beaux films jamais réalisé.

[divider]CASTING[/divider]

Titre original : Jeux Interdits
Réalisation : René Clément
Scénario : Jean Aurenche, Pierre Bost et René Clément
Acteurs principaux : Brigitte Fossey, Georges Poujouly, Lucien Hubert
Pays d’origine : France
Sortie : 9 mai 1952
Durée : 1h26mn
Distributeur : Sophie Dulac Distribution
Synopsis : Les parents de la petite Paulette sont tués lors des bombardements de juin 1940, dans le centre de la France. La fillette de cinq ans est recueillie par les Dollé, une famille de paysans. Elle devient l’amie de leur jeune fils de onze ans, Michel. Après avoir enterré le chien de Paulette dans un vieux moulin abandonné, les deux enfants constituent peu à peu un véritable cimetière pour insectes et petits animaux…

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Marla Singer
Marla Singer
Invité.e
17 août 2014 23 h 04 min

Il est beau, votre article. Vous avez raison d’indiquer que René Clément a eu des ennuis avec la censure. Ce fut le cas aussi pour Clouzot, à la même période, vivement critiqué par le spectateurs pour avoir dénoncé, dans « Le Corbeau, » une France collaborationniste.

En effet, pour Jeux Interdits, le regard des enfants fait croire qu’il ne s’agit pas d’un film politique. Pourtant, il s’inscrit vraiment dans le contexte de la Seconde Guerre Mondiale. Explications: http://marlasmovies.blogspot.fr/2014/07/jeux-interdits-la-guerre-et-linnocence.html

Merci pour votre article et à bientôt !

Marla

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