Série Noire

SÉRIE NOIRE, époustouflant Dewaere – Critique

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Film culte d’Alain Corneau sorti en 1979 et interdit aux moins de 18 ans à l’époque, cette adaptation d’un roman de Jim Thompston (Hell A Woman) est un petit délice de noirceur qui s’imbibe de Patrick Dewaere, ici à son apogée, pour délivrer toute la folie et l’énergie qui font la particularité de cette œuvre. Sombre poésie piégée entre tendresse, ridicule et violence malsaine.

Ce polar inhabituel et déroutant raconte l’histoire de Franck Poupart, un représentant de commerce au fond du trou qui, dans son porte à porte routinier, fera la connaissance de Mona, jeune fille de 17 ans qui vend son corps pour subvenir aux besoins de sa tante. De cette rencontre, le pauvre homme va déraper complètement et tenter de fuir, avec Mona, leurs vies sordides quitte à commettre des crimes. Bref, c’est l’histoire d’un type perdu d’avance dans une « histoire d’amour » complètement folle. Le déroulement du film ne sera que l’enfoncement de cet anti héros dans sa malchance et sa déchéance, coincé dans ses mensonges et ses faux-pas. On commence au bas du plancher pour finir dans la cave.

Série noire, c’est un peu le portrait de la misère banlieusarde de l’époque. Dès les premières secondes, le film instaure un climat poisseux qui ne nous quittera jamais. Entre logements insalubres, temps pourri, petites gens, destins abîmés et froideur d’une banlieue lugubre, Série Noire fait parti de ces films dérangeants rien que par leur arrière-plan. Pour renforcer cette austérité, le film n’utilise jamais de musiques si ce n’est celle de Duke Ellington au début et à la fin du long métrage. Les seules chansons présentes sortiront d’un poste de radio ou d’une télé. On n’est jamais hors contexte, impossible de s’échapper de cette ambiance pesante. Avec cette photographie volontairement « sale », la linéarité de la mise en scène (un peu trop d’ailleurs ?) et ce soin apporté aux décors miteux, Alain Corneau réussit brillamment à donner le cafard ; tout est bon pour nous perdre dans les mésaventures de Franck Poupart.

La véritable force du film, c’est Patrick Dewaere.

Mis à part cet esthétisme dérangeant mais travaillé, la véritable force du film, c’est Patrick Dewaere, l’essence même du film. Juste bluffant. Ce rôle lui collera à la peau jusqu’à sa mort paraît-il et vu son implication, on veut bien le croire : il ira jusqu’à s’éclater la tête contre la carrosserie de sa voiture dans une scène mémorable. Sa composition dramatique (et comique quelque part), est simplement stupéfiante. Ses gestes, sa diction, ses éclats, ses faiblesses, son énergie : le dévouement de l’acteur et sa connaissance de lui-même apporte la justesse nécessaire à un personnage en roue libre. Étrangement, il m’a rappelé – de loin – Jim Carrey dans ses excentricités et dans l’implication corporelle qu’il porte à son jeu d’acteur. Ils ont tous deux la rare capacité à pouvoir porter un film sur leurs épaules juste de par leur personne. Franck Poupart est Patrick Dewaere. Alors oui, il en fait des tonnes, oui, il disjoncte complètement mais que c’est bon de voir un tel numéro ! C’est une humble folie qui habite l’acteur ; son imposante présence ne dissimulera jamais les seconds rôles, qu’il invite humblement dans son cabaret : le pinçant Bernard Blier, le regard tendre de Marie Trintignant ainsi que le juste jeu de Myriam Boyer ne seront pas en reste.

On soulignera aussi le travail essentiel de Georges Perec dans l’écriture. Le scénariste a su insuffler aux dialogues cette touche cocasse et poétique qui décuple l’effet bancal des mésaventures de Franck Poupart. Certaines répliques font mouche et esquisseront quelques sourires sur votre visage. « Toi, comme feu aux fesses, c’est plutôt la tour infernale ! » ou encore « Moi j’enfile le manteau et vous vous enfilez la petite ».

Terminant dans un faux happy-end (mais je n’en dirai pas plus), Série Noire laisse une curieuse sensation d’avoir vu quelque chose de sincère et sensible tout en étant sale et malsain à la fois. Comme l’amour qui emporte les deux personnages en cavale. C’est une certaine schizophrénie qui fait tout le charme du film mais qui peut aussi en faire sa faiblesse tant le traitement accordé au personnage est déroutant. L’ambiance ne plaira forcément pas à tout le monde. Série Noire, comme son nom l’indique, est un véritable film noir, une œuvre violente et dure à saisir qui reste le testament ultime d’un acteur de génie : formidable Patrick Dewaere qui nous fait don d’un véritable one man show enragé et généreux.

Note des lecteurs3 Notes
3.5
Note du rédacteur

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