Southern Comfort

[CRITIQUE] SOUTHERN COMFORT

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• Sortie FR : 9 mars 1983
• Réalisation : Walter Hill
• Acteurs principaux : Keith Carradine, Powers Boothe, Fred Ward
• Durée : 1h39min
• Projections au festival Lumière 2016 :
Institut Lumière di 9 à 14h45
Note des lecteurs1 Note
4
Note du rédacteur

Il y a deux façon de considérer SOUTHERN COMFORT, toutes les deux ultra-pertinentes et réussies.

D’un côté par son sous-texte, comme une allégorie de la guerre du Vietnam ;
De l’autre au premier degré, comme l’un des meilleurs survival de l’histoire du cinéma, grâce à son décor, ses personnages et à sa réalisation d’ensemble par un Walter Hill au sommet de son art.

L’histoire : un groupe de neuf soldats se perd dans un marécage de Louisiane, lors d’un exercice d’orientation. Suite à un acte de malveillance de leur part envers les autochtones Cajun (mi-rednecks, mi-français, mi-créoles), les militaires se retrouveront « victimes » d’une sauvage chasse à l’homme au cœur du Bayou.

Le réalisateur, que l’on sait excellent dans la mise en scène de l’action, travaille ici moins sur le dynamisme de son film que sur son ambiance – oppressante, tendue, dangereuse. Cette ambiance provient ainsi en premier lieu du décor, le (magnifique) bayou se substituant au New York crade des 80’s de The Warriors. Une souricière marécageuse dont on ne peut s’échapper, surtout lorsque encerclé par ceux qui connaissent parfaitement ce terrain. Côté « héros », encore une équipée de neuf gars aux ethnies et cultures variées, symbolisant la nation américaine ; toutefois, en accord avec le récit, ils sont bien mieux caractérisés : un fanatique, une objecteur de conscience, un stratège, un hâbleur, un type lambda mais sensé, un abruti fou de la gâchette, un égoïste, le chef que personne ne respecte… L’imprévisibilité de leurs réactions face à leur situation désespérée génère ainsi de la tension au cœur de la tension, renforçant l’aspect survie tout en observant une palette de comportements assez intéressante. Quant aux antagonistes, ils ne seront que des visages flous et ombres meurtrières, jamais véritablement incarnés hormis dans la dernière partie.

Même si le scénario tient sur un post-it, l’écriture et la réalisation permettent de faire interagir mise en scène, personnages, allégorie et action ; on rajoutera d’ailleurs que la photo atmosphérique du film, signée Andrew Laszlo ainsi que sa bande son folk-banjo par Ry Cooder s’ajoutent à la réalisation d’ensemble pour contribuer à faire de SOUTHERN COMFORT un joyau moite, brutal, violent, rapide, efficace, intense et évocateur.

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Pourquoi ss’en faire ? On est invincibles.

D’un point de vue plus allégorique, le parallèle entre SOUTHERN COMFORT et la récente guerre du Vietnam (1955-1975, lorsque le film date de 1981) est d’autant plus fort qu’il s’agit de militaires perdus en territoire hostile et inconnu, tués par des pièges insoupçonnables, les embuscades surprises d’un « ennemi » qui maîtrise son terrain, ou même parfois simplement par l’environnement. Aucun des 9 soldats n’est un « héros », tous sont au contraire et malgré leurs différences, présentés comme responsables de leur propre déchéance. Le prestige de l’uniforme dicte leurs actes irréfléchis, de même que la sacro-sainte idéologie du droit de propriété par la force, l’une des fondations des valeurs américaines depuis les premiers colons jusqu’à encore aujourd’hui… Voilà ce que SOUTHERN COMFORT de même que la guerre du Vietnam, met en perspective.

« Southern Comfort est aussi efficace en tant que survival pur et dur, que comme brûlot dénonçant allégoriquement la guerre du Vietnam »

Une démonstration de puissance, de mauvais choix puis des étalages d’orgueils mènent irréversiblement au désastre. Dans ce bayou Cajun présenté comme une terre étrangère, l’allégorie U.S.A. vs communisme existe dans toute sa splendeur. Les deux plus sympathiques protagonistes, en tant que têtes pensantes du groupe, renvoient ainsi à J.F.Kennedy & L.B. Johnson, et leurs engagements dans l’investiture d’une gouvernance anti-communiste et pro-américaine (Ngô Đình Diệm) dans un Vietnam pourtant déclaré comme indépendant et nécessitant des élections démocratiques. Une politique d’interventionnisme néfaste mais pourtant loin d’être un cas unique (Chili, Irak…) ; si habituellement, l’opinion est rarement au fait de l’implication américaine à motifs idéologiques ou économiques dans les destins de certains pays, ce ne fut pas le cas avec le Vietnam. Les médias relaient la défaite des U.S.A. face à la guerilla menée par l’armée vietnamienne, le peuple en vient à s’interroger sur les raisons de cette guerre, et toute une génération sera traumatisée d’avoir été chair à canon dans un conflit dont les intentions restent floues, ou du moins éloignées de tout patriotisme. Le cinéma, vecteur d’expression s’il en est, servira longtemps de catharsis au désastre du Vietnam, de Apocalypse Now à la trilogie d’Oliver Stone, en passant – selon nous – par ce SOUTHERN COMFORT.

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Génération perdue dans un certain Southern Comfort…

Autre point commun relevé par le fantastique final du film (SPOILERS).
Du point de vue « survival », il s’agit d’un pur moment de tension ou les deux derniers survivants se retrouvent au cœur d’un village Cajun ; ceux qu’ils considéraient comme ennemis 10 min plus tôt apparaissent d’un coup tout a fait normaux (en dehors de leur culture), jovials et accueillants. Sauf que les deux soldats qui viennent de survivre à l’enfer, sont complètement paranoïaques et croient que cette atmosphère sympathique cache les tueurs sans pitié qui les ont pourchassés (SPOILERS)(SPOILERS)(SPOILERS) ce qui est effectivement le cas. Les derniers plans alternent les moments de liesse cajun, et la chasse à l’homme qui prend place au sein même du village, via un montage cut ultra-serré mais dément.

Du point de vue allégorique, se poursuit la métaphore de l’interventionnisme américain au Vietnam sud. Les villes furent en effet attaquées de l’intérieur par le Vietnam nord, ce qui de fil en aiguille conduisit au retrait des troupes américaines.southern Comfort
En tant qu’allégorie du Vietnam, SOUTHERN COMFORT retranscrit assez bien le fond de cette guerre particulièrement sale qui reposait d’un côté sur une (militairement inefficace) destruction de masse, et de l’autre sur une guerre psychologique misant sur l’effroi et la peur. Cela dit, notre interprétation inclut difficilement certains faits, comme les exactions commises par les américains (napalm, freefire zone, opérations search & destroy, entre autres) ou les vietnamiens (quasi génocide sur civils), chacun dans son propre optique de supériorité face à l’opposant.  Puis Walter Hill le précisera lui-même, il n’a jamais voulu livrer un pamphlet anti-Vietnam mais plutôt un bon film d’action dans la lignée du Chien de Paille de Peckinpah… Donc bon. Peut-être bien qu’on ne voit dans son film, que ce qu’on a envie d’y voir. Dans un cas ou dans l’autre, ça reste génial.

Il ne faut donc pas hésiter à se ruer en salles pour découvrir les joyaux proposés par le cycle Walter Hill du festival Lumière 2016, simplement parce que ses films restent des divertissements de haute qualité à la profondeur fascinante, toujours d’actualité. Une nouvelle fois après The Warriors, Walter Hill nous parle de l’état de son pays à travers un bon film d’action bourrin et charismatique, insuffle de la profondeur à l’entertainment. Et c’est aussi ça le vrai Cinéma.

SOUTERN COMFORT sera visible durant le Festival Lumière, qui aura lieu du 8 au 16 octobre 2016, dans tous les cinémas du grand Lyon.
la programmation
notre couverture
notre rétrospective Walter Hill

 

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