photo du film BOYS DON'T CRY

Homosexualité à l’écran : comment la représenter ?

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Lors de la présentation du film CAROL (œuvre sublime de Todd Haynes) au Festival du film de New York, en octobre 2015, Rooney Mara, l’une des interprètes du film auprès de Cate Blanchett dans le rôle-titre, avait déclaré que la question de l’homosexualité (au centre du film) au cinéma n’était pas encore suffisamment traitée : « Il y a beaucoup de personnes qui partagent cette expérience et il n’y a pas beaucoup de films qui en ont parlé dans le passé. » Difficile d’aller à l’encontre des propos de l’actrice, même si l’on peut quand même répertorier une liste assez riche des films qui traitent de ce sujet depuis les années 1950 et 1960 (voir LGBT au cinéma).

Jusqu’aux années 1960, l’homosexualité ayant surtout été représentée sur deux modes : d’une part celui de la moquerie et la gaudriole, avec des homosexuels aux manières outrées, ou le travestissement dans le cinéma comique (encore parfois le cas dans le cinéma comique aujourd’hui). D’autre part, sous un ton dramatiques, dans certains films policiers où l’homosexuel est un personnage trouble dont les mœurs peuvent mener au crime (L’Inconnu du Nord express d’Hitchcock par exemple) ou avoir en tout cas un impact négatif sur la vie d’autres personnages (comme dans La Chatte sur un toit brûlant, bien que fortement édulcoré et induit par rapport à la pièce d’origine de Tennessee Williams). Dans ce sens, William Friedkin réalisa avec La Chasse (1980) un film plutôt ambigu sur la question.

Parmi les plus récents de ces dernières décennies, Happy Together, Boys Don’t Cry, Le Secret de Brokeback Mountain, Harvey Milk, A Single Man, La Vie d’Adèle, L’Inconnu du lac, Pride, etc… ont choisi d’apporter un autre regard, d’en faire un sujet sérieux en le mettant en avant, avec les difficultés que cela entraîne. Et même si pour certains le sujet peut être ailleurs, le rapport aux autres d’un même sexe finit toujours par apparaître.

photo du film HAPPY TOGETHER
HAPPY TOGETHER

Bien qu’encore mal vue dans certains pays, voire carrément considérée comme illégale (onze pays recensés en 2015 où cela est passible d’une condamnation à mort), l’homosexualité est aujourd’hui ancrée et acceptée au moins dans la plupart des pays du monde occidental. Cependant, contrairement aux propos de Rooney Mara, on peut se demander si la meilleure façon de l’accepter, justement, ne serait pas de réaliser des œuvres AVEC plutôt que SUR. Si ces œuvres sont certes importantes pour amener vers davantage d’acceptation, ne faudrait-il pas, pour s’éloigner d’une image d’« anormalité » qui prime encore chez certains, le montrer au quotidien ? Car rappelons-le, si la norme consiste à prendre en compte ce qui est majoritaire, alors l’homosexualité serait aussi « anormale » qu’être gaucher ou roux, des éléments physiques tout aussi mal jugés par le passé.

Aujourd’hui, tandis que des avancées en matière de droit ont eu lieu (mariage pour tous notamment) et que le fait d’être homosexuel dans notre société pose « moins » problème en comparaison au passé (toujours relatif selon les pays évidemment), le cinéma peine à inclure des personnages homosexuels sans en faire une thématique. En comparaison, il fut un temps où un couple mixte (noir et blanc par exemple) n’était pas envisageable. Désormais, on ne s’étonne pas de voir Margot Robbie et Will Smith partager l’affiche de Diversion, les considérant au contraire comme un couple qui fait rêver. C’est alors la télévision qui semble, pour le moment, plus en avance lorsqu’il s’agit d’inclure l’homosexualité. C’est ce qu’on remarque dans les séries télévisées actuelles, et pas toujours dans les meilleures en terme de qualité, ni les plus innovantes scénaristiquement.

 

L’homosexualité, une banalité pour CW

Parmi les nombreuses chaînes de télévision américaine, CW correspond grossièrement à un chaîne pour jeune public (touchant en grande majorité la tranche 18-34 ans). Proposant des programmes qui ne sont pas d’une grande qualité mais qui parviennent à divertir et maintenir son public. On y trouve des séries de super-héros (Flash, Arrow), de vampires (Vampire Diaries), de zombies (Izombie) ou d’aventure post-apocalyptique (The 100, peut-être la plus intéressante). Soit la plupart des thématiques à la mode actuellement. Dans ces séries, l’homosexualité est un élément qui peut caractériser un personnage (souvent secondaire) mais qui n’est en aucun cas utilisé comme outil scénaristique. Pas de révélation autour, avec rebondissement tonitruant à la clé. Il s’agit de rendre ce type de sexualité le plus banal possible et finalement tout à fait substituable à une hétérosexualité. Le fait que cette chaîne s’adresse à un public jeune est d’autant plus pertinent car ils sont la génération pour qui l’homosexualité est devenue quotidienne. Une génération qui peut-être la comprend et l’accepte le mieux.

photo de la série THE 100
THE 100

Dans ces séries, on retrouve alors par exemple le Capitaine David Singh dans Flash qui, au détour d’une conversation, laisse comprendre qu’il doit rejoindre son mari. Une information qui ne suscite aucune réaction particulière au sein des personnages de la série, ni du spectateur d’ailleurs – à ce jour on n’a pas entendu parler de plaintes des fans à ce sujet… Il en va de même dans Arrow qui a inclus, durant cette saison 4 en cours de diffusion, le personnage de Curtis Holt. Un employé de Felicity Smoak qui aidera Arrow dans ses aventures et qui, de la même manière, évoque son compagnon. Avant cela, la série avait fait encore plus fort en mettant en avant la relation amoureuse entre la fille de Ra’s al Ghul et Sara Lance. Cette dernière montrant au final à l’écran une bisexualité. Et si ces personnages restent pour le moins en retrait, notons qu’ils peuvent représenter une certaine classe sociale, en occupant des postes élevés ; il s’agit du Capitaine du commissariat et non pas d’un inadapté social par exemple. De son côté, la série The 100, dans laquelle les amourettes se succèdent, a montré durant sa saison 2 une possible relation entre l’héroïne Clarke et sa rivale Lexa, la commandant des grounders. Bien qu’amenée de manière un peu maladroite, car sortie de nulle part, cette relation n’en reste pas moins révélatrice d’une évolution de notre société.

 

Scandal ose !

Mais si on retrouve dans ce panel réduit de séries, des personnages souvent en retrait avec une présence assez relative de leur homosexualité, la série qui aura véritablement fait preuve d’audace sur la question reste Scandal dès ses débuts. Une série ABC qui raconte la vie professionnelle et personnelle d’une experte en relations publiques, Olivia Pope. La série se déroule au cœur du milieu politique américain. On y trouve parmi les seconds rôles très présents, Cyrus Beene, le chef de cabinet de la Maison Blanche. Qui dit Maison Blanche et bras droit du président peut laisser supposer que ces « penchants sexuels » seront utilisés contre ce personnage, sous forme de chantage, pour ainsi toucher le président directement. Pas du tout ! Oui, Cyrus Beene est gay et marié à un homme. Mais sa sexualité est connue et relativement admise dans ce monde politique et à aucun moment cet élément de sa vie ne devient un moyen de pression. Mieux encore, on le retrouve face à des problèmes de couples qui impacteront sur son travail. Mais cela reste abordé comme n’importe quel type de couple. Une nouvelle fois, on se retrouve avec deux personnages masculins qui peuvent être totalement interchangés par un couple mixte ou un couple composé de deux femmes. Ainsi, sans y aller avec de gros sabots, la série montre que même au plus haut niveau hiérarchique il est possible d’être homosexuel, mais surtout que cela ne doit pas donner lieu à discussion.

photo de la série SCANDAL
SCANDAL

On a pu voir d’autres séries télévisées faire le même genre de proposition. Parfois de manière très succincte (chez HBO dans The Wire à la manière d’un détail, ou dans la saison 1 de The Leftovers où un homme interrogé évoque son mari disparu), parfois de manière plus appuyée et régulière (on peut évoquer la saison 2 de Following, série de type thriller où la chef du FBI est en couple avec une femme). D’autres séries ont su représenter cette sexualité avec intelligence, on n’ira donc évidemment pas chercher à les répertorier (voir LGBT dans les séries). On remarque simplement une vraie nouveauté dans la manière d’inclure l’homosexualité au quotidien et dans des genres variés. Mais également, des exemples qui s’éloignent autant des clichés que de fantasmes masculins.

 

L’exception Summer

Face à ce médium qu’est la série télévisée, le cinéma peut paraître bien moins évolué. Est-ce parce que la télévision a pris conscience, avant, de la société dans laquelle elle évolue, ou parce qu’elle dispose de davantage de liberté dans ses productions ? Difficile à dire, même si on parle souvent de l’originalité de la télévision – ce qui reste sujet à discussion (voir notre article). La réalité reste, qu’actuellement, le cinéma est davantage capable d’utiliser l’homosexualité comme thématique plutôt que de l’inclure comme une évidence. Or, si les personnages se doivent de représenter une certaine réalité, être le visage de notre monde actuel, n’est-il pas nécessaire de s’inspirer jusqu’au bout de l’évolution de notre société et donc de la vie réelle ? D’autant qu’en modifiant cette approche, on remarque de nouvelles possibilités.

photo du film SUMMER
SUMMER

Ce fut le cas avec Summer (2015), pouvant faire acte d’exception cinématographique dans ce domaine. Un film lituanien réalisé par Alanté Kavaïté dans lequel une jeune fille vit une histoire d’amour avec une autre. Rien de bien original a priori, et pourtant, toute l’intelligence de la réalisatrice réside dans l’utilisation de ces deux filles. Car elle n’utilise pas deux actrices pour parler d’homosexualité (le terme ne sera d’ailleurs jamais énoncé dans le film) mais pour éviter d’induire une forme d’inégalité entre ses personnages. Kavaïté joue sur l’effet de miroir, désirant avant tout que l’une soit le reflet de l’autre, et l’aide ainsi à se construire par elle-même. L’utilisation de deux personnages du même sexe évite qu’un homme fasse office de socle au personnage féminin. Car qu’importe qu’ils soient hommes ou femmes, la réalisatrice s’intéresse dans Summer au passage de l’adolescence à l’âge adulte. Cette utilisation des personnages avait fait de Summer l’un des films les plus intéressants de l’année. Peut-être l’œuvre la plus en avance sur le sujet, issue d’un pays où les relations sexuelles entre femmes et entre hommes ont été décriminalisées en 1993, mais où le mariage ou l’union civile entre personnes d’un même sexe ne sont pas, à ce jour, inscrits dans la loi.

Au cas par cas, on pourrait certainement y trouver des éléments similaires au sein du paysage cinématographique. Néanmoins, encore bien trop limité pour apparaître comme quelque chose de « naturel ».

Pierre Siclier

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  1. Je rajouterais quelques œuvres ou l’homosexualité est centrale mais traitée sans aucune marginalisation
    – Dans la peau de John Malkovich de Spike Jonze et Charlie Kaufman
    – Énormément de films dAlmodovar
    – Eastern Boys de Robin Campillo
    – De l’autre coté de Fatih Akin
    – 13 reasons why la série Netflix

  2. article très intéressant et superbement illustré !
    vous avez bien raison, l’homosexualité est surtout représentée comme thématique principale d’un film, rarement comme secondaire (La Vie d’Adèle me semble à la frontière des 2 d’ailleurs), en cela le cinéma LGBT a très peu évolué. La partie sur les séries est vraiment fascinante, beau travail !

    Des séries ouvrent le chemin mais il est vrai que ce sont souvent des séries secondaires comme vous dites…ceci dit, il y a des séries très populaires comme « Glee » ou « Pretty little liars » par exemple qui évoquent l’homosexualité de façon « problématique » (coming out à faire, insultes etc…) mais une fois ce cap passé, l’homosexualité des personnages n’est plus problématisée est est affichée simplement. Peut être que c’est la meilleure stratégie pour « banaliser » ce thème: représenter des coming out, des moments compliqués vécus par les personnages homosexuels pour ensuite les représenter en couple, avec d’autres enjeux, non réduits à leur homosexualité?

    1. Merci pour votre message, content que l’article vous ai plu.
      En effet il peut être intéressant de représenter dans un premier temps seulement les enjeux. Mais cela reste dommage de voir encore autant de différence dans la manière d’aborder des personnages en fonction de leur sexualité.

  3. Nous sommes agréablement stupéfait de l’émotion dégagée dans ces films de genre,beaucoup de téléspectateurs pleurent et font preuve d’empathie vis à vis de ces fictions, le fond du film n’est plus l’homosexualité mais l’amour,mais dans la réalité, ces mêmes personnes redeviennent d’abjectes et intolérants.