Photo de la ville de Los Angeles
Crédits : rpnickson / Pixabay

De John Landis à David Lynch : virée dans ce Los Angeles nocturne et suspendu – Analyse

Un fil rouge, cousu et décousu à la fois, une nuit, une ville et des rencontres, tout au long d’une épopée urbaine, prenant son temps, intriguant d’événements successifs nous hypnotisant. Ce serait presque un genre de film à part entière : Le film-LA, ou LA-xperience. Oui, car n’étant évidemment pas restreint à la Cité des Anges, il se trouve que celle-ci suscite le rêve et l’imaginaire depuis plusieurs décennies de films, devenant cette toile de décor où chacun peut se perdre, le temps d’un film, en suspension.

A notre virée, à pied ou au volant d’une vieille américaine métallique, se dresseront des étapes, des films ayant créé cet objet fantasmatique qu’est Los Angeles, la ville de l’ouest américain côtier qui dort, tenue en éveil par quelques lumières lancinantes et quelques insomniaques. Voici quelques idées de stops, si vous ne les connaissez pas, sur lesquels vous arrêter un moment. Fenêtre baissée ou décapotable, coude que la portière, radio jazzy et atmosphère brumeuse, on est partis dans les méandres urbaines, pour un voyage doux, lunaire ou angoissant.

Lieu de flânerie, lieu d’errance et d’action

Peut-être le premier film auquel on pense quand on imagine une épopée psyché à L.A., Mulholland Drive fait figure de proue du genre. Chef d’œuvre du début du millénaire pour certains, incompréhension et non-sens pour d’autres, l’expérience qui devait être un pilote de série à la base a, dans tous les cas, marqué les esprits et le cinéma de manière unique. David Lynch nous compte un de ses — sûrement — plus grands monuments lynchiens aux côtés de Twin Peaks. En quelques mots, pour celles et ceux qui ont à le découvrir, nous sommes sur les hauteurs de la ville, là ou serpente la rue de Mulholland Drive. Une femme, Rita (Laura Harring), vient d’être rescapée d’un accident de voiture et a perdu la mémoire, la laissant errer sur la route et trouver refuge chez Betty (Naomi Watts), comédienne venue du Canada et en séjour à Los Angeles. Dans l’incompréhension globale, le peu d’indices en leur possession, va s’en suivre une (en)quête psychologique entre illusion, confusion, mystère, érotisme, rêve et réalité.

Mais Mulholland Drive, entre autres récompensé à Cannes et aux César, outre la patte si particulière de son réalisateur et la performance de son casting, n’a peut-être pas tout inventé non plus. Moins connus, deux films, excellents dans ce genre, passèrent relativement discrètement les années 1985 et 1989. Le premier est l’excellent Série noire pour une nuit blanche, qui reçoit en cette belle année qu’est 1985 (Retour vers le Futur, Les Goonies, entre autres) un accueil mitigé. Cinq années après les Blues Brothers, John Landis nous emmène dans une histoire d’aventure lunaire. Mention spéciale d’ores et déjà pour la musique de B.B. King, rajoutant une vibe soul au mystère et emportant le spectateur dans cette virée inattendue. Le pitch ? Un soir d’insomnie, Ed Okin (campé par un incroyable Jeff Goldblum) décide d’aller rouler en voiture et finit par se garer dans le parking de l’aéroport de Los Angeles. Soudain, une jeune fille débarque dans sa voiture, poursuivie par des hommes, de toute évidence armés. Après quelques crissements de pneus et coups de volants, Ed se retrouve en fuite, curieux et consentent, dans une histoire qui va regorger de surprises, entre la comédie et le thriller, aux côtés de Diana (campée par Michelle Pfeiffer). Ce film, c’est un moment prenant, nous emportant avec ce personnage de Ed, qui semble n’avoir aucune crainte, témoin et acteur de ce qui lui arrive et curieux d’aller toujours plus loin. Ce film, c’est aussi lui-même un témoin de sa décennie de cinéma, les plans, l’ambiance, l’atmosphère, les cascades, le temps pris, pour contempler, raconter.

Prochain stop de notre voyage : Appel d’urgence. Lors d’une sortie au Musée d’Art de La Brea Tar Pits, Harry tombe sous le charme de ce qu’il voit comme l’amour de sa vie. Les deux font connaissance et se donnent rendez-vous pour un rencard après la fin du service de Julie. Mais, Harry loupe le rendez-vous et débarque, trop tard, devant le restaurant où Julie travaille, ouvert la nuit, à l’angle de Wilshire et Fairfax Avenue. Soudain un appel sonne à la cabine téléphonique non loin de là. Dans la spontanéité de l’action, il décroche le téléphone. Au bout du fil, un vraisemblable détenteur d’une information capitale qui pense appeler son père. Paniqué, il lui annonce que des missiles nucléaires viendront s’abattre sur Los Angeles dans une heure et dix minutes, avant d’apparemment se faire réduire au silence. Harry reste là, bouche bée devant ce qu’il vient d’entendre. Est-ce un canular ? Ou Harry est-il détenteur d’un secret-défense hors du commun ? Stop. Arrêtons-nous là pour vous laisser découvrir cette perle mêlant romance et course à la survie dans un périple qui regorge d’intrigue et de rencontres inattendues.

Ce film, c’est aussi l’histoire folle du projet de Steve De Jarnatt, qui fut accueilli de façon mitigée à sa sortie, et qui connaît une improbable et géniale renaissance que nous explique le superbe article du Point lorsque l’essayiste et critique Walter Chaw lui consacre un ouvrage en 2012, le plaçant en parallèle de l’ère Reagan et des peurs de la guerre froide, que le film est ensuite redécouvert, reprojeté, sorti en 2015 en Blu-ray et que Joe Dante, notamment père de Gremlins, le considère comme chef d’œuvre en 2016. Super idée, super film. On nous sert une expérience singulière, atmosphérique, qui vous plonge dans l’angoisse de cette menace de cataclysme nucléaire. A découvrir, d’urgence.

Parenthèse essentielle, comment ne pas parler de After Hours, cousin new-yorkais réalisé lui aussi en 1985 à la suite de La Valse des Pantins par celui qui filme les rues de New-York comme personne, Martin Scorsese. Tout comme Ed Okin et Harry Washello, Paul Hackett (Griffin Dune) se retrouve embarqué malgré lui dans une nuit de fuite, après sa rencontre avec Marcy Franklin (Rosanna Arquette).

Toile de fond, mais personnage en elle-même

A l’instar des trois films cités précédemment, c’est le rôle que les cinéastes réussissent à donner à cette ville, qui déchaine les passions, les fantasmes, et les imaginaires. Là où la ville est puissante et reste dans les mémoires, c’est par l’atmosphère qu’elle tient dans chacun de ces films. Son centre fait de buildings, cette immensité urbaine plate et étendue tout autour, faites de grandes artères peuplées de feux rouges, de voitures et des néons publicitaires, jusqu’aux collines d’Hollywood. Là où débute Mulholland Drive, sur les hauteurs résidentielles et forestières de la ville, prend théâtre le plus récent des films marquants du genre par son absurdité, Under the Silver Lake. Au programme, un jeune Andrew Garfield se prend d’attention pour sa voisine, Riley Keought et ceux-ci entament une esquisse de relation. Du jour au lendemain, elle disparait sans laisser de traces. Ou presque. Sans spoil, va s’en suivre une véritable enquête nous amenant dans les tréfonds psyché de Los Angeles, mondains et hauts en couleurs, remplis de personnages marquants et d’histoires plus ou moins macabres. A découvrir, très clivant, aussi.

Peut-être que c’est cela, finalement, la quintessence de ces films-L.A. : on accroche au voyage proposé et on s’y enfonce, ou l’on regrette et on passe vite à autre chose. La ville en elle-même a donc, dans toutes ces histoires, un statut de choix, abyssal, la rendant presque irréelle. Autre élément peut-être essentiel, incroyablement plaisant car imprévisible : les rencontres et les personnages hauts en couleur, très souvent perchés, marginaux ou clichés, aux conséquences toutes aussi imprévisibles pour nos protagonistes.

Alors que bien d’autres films ou scènes eurent marqué les esprits, comme l’opening mythique de Drive sur la musique de Kavinsky, laissant apparaitre ces buildings sur fond de BPM électronique, on pourrait citer également la saga Die hard, Heat, Nightcrawler ou Collateral. Mais ici, la ville n’est qu’un décor à l’intrigue, à l’action. Ce qui fait le charme de ces films comme Appel d’urgence ou Série noire pour une nuit blanche, c’est que ce Los Angeles joue le rôle majeur : celui de disposer aléas, embuches ou bonnes surprises sur le chemin de nos protagonistes, comme si la ville vivait en elle-même, comme si elle était là dans l’ombre, derrière le rideau, à tirer ses ficelles, comme si elle était le mystère en elle-même, profonde et infinie, comme si.

Martin ROCHE-PIANTINO

Auteur·rice

Nos dernières bandes-annonces

S’abonner
Notifier de
guest

0 Commentaires
le plus récent
le plus ancien le plus populaire
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
0
Un avis sur cet article ?x