Le problème Shyamalan

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La chute de Shyamalan depuis des années ne fait plus aucun doute. Si bien qu’on en vient même à cesser d’avoir un brin d’espoir pour ses projets. La qualité n’a fait que se déliter à chaque nouveau film, sans que l’on sache jusqu’où le réalisateur d’origine indienne allait s’arrêter dans sa déchéance. En 2000, le public français fait sa connaissance avec son troisième film : Sixième Sens. L’enthousiaste critique se mêle à la reconnaissance publique et on pense assister à la naissance d’un nouveau réalisateur important comme l’Amérique sait en produire. S’en suit la confirmation, l’extraordinaire Incassable (2000), où on commence à savoir dessiner son cinéma, à en décrire les contours, les ingrédients visuels comme les traceurs narratifs. Alors qu’il avait tout pour devenir un réalisateur marquant, qu’est ce qui a bien pu foirer ?

Une démarcation logique s’est tracée naturellement dans la filmographie de M. Night Shyamalan, avec pour pivot central son film le plus personnel, La Jeune Fille de L’Eau (2006). Un film étrange, difficile à monter, qui fut un échec financier doublé d’une mauvais accueil critique. L’ex-nominé aux Oscars avec Sixième Sens a la joie de se voir attribuer un Razzie pour La Jeune Fille de L’Eau. Ou comment passer d’un extrême à l’autre. Depuis ce film, tout a changé pour Shyamalan, les critiques meurtrières se sont abattues sur lui à répétition et il n’est jamais arrivé à se racheter une crédibilité aux yeux du public. Sur quoi tenaient ses succès ? Des scénarios intelligents aptes à nous réserver des surprises, dont le fameux twist final devenu une signature, et une mise en scène capable de virtuosité. Parmi ces dispositifs narratifs, on retrouve souvent un héros emprunt de doutes, multipliant les questions sur lui-même. David dans Incassable se pose des questions sur ce qu’il est. Dans Signes (2002), c’est Graham qui est rempli de doutes sur sa foi. Cleveland s’interroge sur le sens de sa vie dans La Jeune Fille de L’Eau. Enfin il y a le Docteur Malcom dans Sixième Sens qui veut aider le jeune Cole à la suite d’un événement qui l’a fait se remettre en question. Ces personnage en eaux troubles s’accommode avec une figure récurrente : l’élément caché.

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La surprise au cinéma est une histoire de jouissance. Qui n’a jamais aimé tomber dans le piège d’un scénario en se prenant un bon gros twist dans la gueule ? Ce plaisir tient à une maigre chose, une pirouette qui peut être spectaculaire autant qu’une sombre mascarade. On a eu deux exemples opposés flagrants dans la filmographie de ShyamalanIncassable d’un côté, dont le final est une révélation intelligente qui vient interroger toute une mythologie tentaculaire en concluant l’intrigue du film. De l’autre, Signes, se terminant sur des minutes grotesques, point d’orgue d’un long-métrage qui a sans cesse jonglé entre le bon et le mauvais en 1h45. Shyamalan a construit son succès sur la surprise, en étant jamais là où on l’attend, en contrôlant chaque détail pour mieux déterminer avec précision l’instant parfait afin de nous livrer un twist implacable. La singularité de son cinéma ne se repose pas uniquement sur son art de la révélation mais aussi sur sa capacité à prendre un argument de série B, de films de genres, pour l’aborder sous l’angle humain et intime. Reprenons Incassable, qui a tout d’un blockbuster dans son thème mais qui est à milles lieux de s’y conformer dans son soucis d’anti-spectaculaire. En synthétisant grossièrement, Shyamalan est un petit malin, dans le bon et le mauvais sens. Car c’est de ce point que s’établit toute la beauté de ce qu’a pu être son cinéma jusqu’à 2004 et ce qui en fait sa faiblesse depuis dorénavant 4 films.

« Shyamalan est un petit malin, dans le bon et le mauvais sens. »

Lorsqu’il nous prend à contre-pied, on voit l’effet, mais en l’inscrivant avec intelligence dans le dernier tiers de son scénario, on applaudit la pirouette. Surtout qu’elle correspond à une démarche de spectacle qu’on a du mal à blâmer. Cet auto-pacte qu’il s’impose avec le spectateur devient un piège pour son cinéma, une caricature qui fait flancher un navire aux fondations intéressantes mais cruellement instables. Si Sixième Sens et Incassable sont deux films qu’on a du mal à attaquer, Signes et Le Village (2004) portent déjà des indices de la fragilité de la recette Shyamalan. Entre effets narratifs absurdes (les discussions entre Ray/ Graham et l’utilisation du flashback dans Signes, la scène du parc naturel enrobé d’un faux-suspense risible où un gardien soutire sous les yeux de son patron des médicaments dans Le Village) et effets de mise en scène grotesques (les ralentis dans Le Village, la scène avec l’alien à l’intérieur du cellier dans Signes). Tout le paradoxe est qu’en contre-partie de ces faiblesses, ces deux films offrent des beaux moments de mise en scène. L’affrontement final entre Ivy et un monstre dans Le Village est un pur moment angoissant, où la caméra en mouvement joue avec le hors-champ en minimisant les coupes. Signes est un beau condensé de la maîtrise de Shyamalan lorsqu’il faut jouer habilement la carte du suspense. Toutes ces belles séquences, font regretter l’état de son cinéma actuel, vidé d’inventivité.

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Revenons un instant sur La Jeune Fille de L’Eau, le tournant décisif dans sa filmographie. Pour expliquer ce ratage, il faut voir au-delà du simple objet cinématographique et le mettre en perspective avec sa production. Shyamalan a eu beaucoup de mal à sortir le film. Disney, avec qui il a fait ses 4 précédents projets, n’est pas convaincu par le script et refuse de le produire. Il passe chez Warner, y insère une charge contre la critique (voir contre le cinéma en général) et se met en scène dans un rôle important. La naïveté de la démarche fait piétiner le film et l’échec rime avec logique. Shyamalan ne s’en remettra jamais, il continue d’ailleurs de courir encore à ce jour derrière un renouveau. Ce contrôle total qu’il a exercé sur ses précédents films, et qui a provoqué sa réussite, a foiré cette fois-ci. Et dans les grandes largeurs. Ses deux derniers films en date (Le Dernier Maître de l’Air en 2010 et After Earth en 2013) sont de magistraux ratages desquels on ne sait quoi sauver. Le problème Shyamalan est qu’il n’a même plus la force de surprendre, comme s’il avait perdu la foi en son cinéma, refoulant tous les rouages qui ont fait sa gloire (quid des postulats de série B pour mieux se recentrer sur les personnages ? quid de sa virtuosité formelle ?). Le minimaliste Incassable s’oppose au grandiloquent Le Dernier Maître de l’Air.

La fin de la collaboration avec Disney a marqué brutalement la fin d’une recette qui avait, quoi qu’on en dise, fait ses preuves auprès des critiques et en terme de chiffres. Noublions pas que Sixième Sens a rapporté 672M de dollars pour un budget avoisinant les 40M seulement. Incassable et son budget de 75M engendra 248M à travers le monde, sans oublier le succès de Signes avec 408M de recettes ainsi que Le Village et ses 256M pour, respectivement, 72M et 60M de budget.  Afin de tout bien restituer, et comprendre la chute de ce réalisateur, il faut inévitablement rappeler que La Jeune Fille de L’Eau a permis d’empocher 72M pour une somme investie de 70M… Il a fallu un seul échec cuisant, juste un seul, pour tout dérégler. Preuve que, comme dit plus haut, son cinéma disposait de bases instables, faciles à faire rompre. A voir si au moment où on ne s’y attendra plus, en un twist savamment réfléchi, il signera son inattendue renaissance.

Maxime Bedini

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