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L’influence du cinéma américain sur le rap français – Analyse

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Dans le sillage de la sortie de la série Validé, nous avons voulu revenir sur les liens qui unissent rap et cinéma. Cette sélection n’a pas vocation à recenser de manière exhaustive l’ensemble des références ciné de l’histoire du hip-hop en France. Elle est le reflet de choix subjectifs mettant en lumière des rapports étroits que le rap français entretient avec le cinéma américain.

Il est important de noter que ce mécanisme de référence est une composante fondamentale du rap qui, depuis ses origines, utilise le mélange des cultures et le métissage propre au melting pot New-Yorkais dont il est originaire. C’est ce que l’on retrouve dès le sample, avec les musiques préexistantes remixées et digérées dans des formes nouvelles. On peut y voir à travers ce processus créatif, un héritage possible du pop-art et du ready-made. Le rap puise en permanence dans la culture populaire pour façonner des univers composites.

Le groupe IAM a énormément utilisé dans le cinéma, que ce soit à travers des concepts entiers ou des références ponctuelles dans les textes. Parmi les nombreux clins d’oeil on pourrait citer, peut-être le plus populaire, L’empire du côté obscur présent sur le mythique L’École du micro d’argent sorti en 1997. Le titre investit l’univers de la saga Star Wars pour composer une métaphore de la stigmatisation systémique que subit la jeunesse originaire des quartiers populaires. Par la suite, le concept de côté obscur revient à de nombreuses reprises dans les thématiques abordées par le groupe comme illustration du combat intérieur permanent entre l’ombre et la lumière.

Au cours de leur discographie, le groupe Phocéen continue de faire référence à l’histoire du cinéma, on peut notamment citer le titre Sad Hill extrait de l’album éponyme produit la même année par DJ Kheops. Le morceau rend hommage au cinéma de Sergio Leone et au film Le Bon, La Brute et Le Truand dans lequel Sad Hill est le nom du célèbre cimetière, décor de l’iconique confrontation finale. Le sample de l’instru est quant à lui issu du thème du film Et pour quelques dollars de plus, composé par Ennio Morricone.

Ces dialogues avec le cinéma reviennent sans cesse et il serait difficile de tous les énumérer. En 2013, leur album Arts Martiens contient le titre Marvel dont le clip reprend des images du film Wolverine: le combat de l’immortel sorti la même année. A noter également la présence sur cet album du titre Spartiate Spirit qui fait référence au film 300 allant jusqu’à utiliser des sample du film de Zack Snyder.

En 2000 Disiz la Peste débarque avec son single J’pète les plombs extrait de son album Le Poisson rouge. Le clip est une parodie du film Chute Libre de Joel Schumacher. Michael Douglas y interprète un père de famille récemment divorcé qui, coincé dans un embouteillage alors qu’il se rend à l’anniversaire de sa fille, sombre dans une folie meurtrière. On peut apercevoir dans le clip Joey Starr et Cut Killer ainsi que Cécile de France dans le rôle de la caissière du McDonalds.

Le projet Gasoline produit par La Fondation est presque entièrement tourné vers le cinéma. Le groupe compose des ambiances cinématographiques qui puisent dans le film noir américain. L’album Snap Your Neck Back sorti en 2005 se réapproprie l’univers du film Les Guerriers de la Nuit de Walter Hill pour construire une ambiance urbaine sombre et crasse sur fond de guerre des gangs. Le choix de la référence cinématographique est ici bien plus qu’anecdotique puisqu’elle compose l’ossature de la direction artistique. L’exemple parfait d’un mariage réussi entre musique et cinéma qui est ici totalement intégré dans le processus créatif. Ce parti pris artistique donne ainsi à l’album sa couleur et son orientation.

En 2012 Hugo TSR présente son quatrième album solo Fenêtre sur rue, un titre qui fait directement référence à Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock. Dans ses chroniques du 18e arrondissement, Hugo TSR observe le monde tel James Stewart à travers sa fenêtre. La fenêtre est un véritable passage de l’introspection intimiste au monde extérieur. C’est également un écran de cinéma sur lequel se projette le spectacle de la comédie humaine. Les références cinématographiques s’enchaînent, Les Evadés, La ligne verte, Old Boy ou encore le Truman show, comme autant de métaphores pour illustrer la thématique de l’album, l’enfermement. La chaîne youtube Le Règlement propose une analyse détaillée de l’album.

Le Mythe Scarface

En 1983 Scarface de Brian De Palma sort au cinéma et imprime la rétine de toute une génération. En 1995 Akhenaton chante sur le titre Métèque et Mat sorti sur l’album éponyme :

 » Scarface, le film, est sorti, puis il a vrillé l’esprit de beaucoup de monde et moi y compris. Tu venais voir chez moi, on te disait « Entra, entra, Pana, bienvenue chez Tony Montana » « 

Depuis, le film est constamment cité dans les morceaux de rap et continue d’exercer une incroyable fascination. Al Pacino y interprète un immigré Cubain qui connaît une ascension fulgurante dans le crime organisé, devenant un baron de la drogue à Miami. Dès lors la figure de Tony Montana est érigée au rang d’icône de la voyoucratie à laquelle bon nombre de jeunes issus des banlieues s’identifient. Par ailleurs le film raconte l’itinéraire tragique que réserve la vie de Thug chroniquée par certains rappeurs. Dans un article, Booska-P rassemble un nombre exhaustif de punchlines dans lesquelles le film est mentionné, de Booba, Stomy Bugsy à Ärsenik en passant par IAM, Rhoff et la Fonky Famlily.

Tony Montana c’est le chaînon manquant entre le voyou et le rappeur. La musique est devenue une étape supplémentaire dans l’univers de la voyoucratie pour atteindre “La vie de rêve” convoitée par le caïd dans Scarface. Par capillarité on associe aujourd’hui la figure du rappeur à celui du gangster, braqueur infiltré dans l’industrie de la musique, visant le gros coup pour repartir avec le million.

Mais ce qui marque également les esprits c’est la devise du film The World is Yours inscrite sur la statue qui orne la somptueuse maison du caïd. Elle apparaît comme une promesse faite à toute une partie de la population qui se sent alors exclue de la société. Cet anti-héro qui façonne son monde par la seule force de sa volonté, en dehors des cadres et des schémas pré-établis fascine et inspire. A l’image de la dernière scène du film, push it to the limite, dans laquelle aucune balle ne vient à bout de la fureur de vivre de Tony qui continue de cracher sa rage à la face du monde. Une phrase qui fait écho au récent Le Monde est à Toi réalisé par Romain Gavras, issu avec le collectif Kourtrajmé du milieu du Hip-Hop, qui compose avec ce film une réponse à ce singulier mouvement circulaire. Comme dans une mise en abîme, le film répond au monument de De Palma après avoir digéré l’imaginaire que ce dernier a influencé. Le cinéma nourrit le rap qui à son tour le nourrit.

Se réapproprier les codes du film de genre

Aujourd’hui les rappeurs qui se démarquent sont ceux qui ont réussi à développer un univers artistique fort, parmi eux bon nombre se sont réappropriés les codes du langage cinématographique. Les Affranchis (Martin Scorsese), Heat (Michael Mann) ou encore Training Day (Antoine Fuqua) sont des oeuvres cultes qui composent un même panthéon. On retrouve par exemple cette influence dans le projet 93 Empire porté par le rappeur Fianso à travers une série de clips qui forment une même trame narrative sur fond de film de genre, du film de braquage au film de prison. C’est également le cas chez SCH, l’artiste revendique cette influence qui va jusqu’à servir de base à un univers ouvertement cinégénique.

Hadrien Salducci

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