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DÉMINEURS, les sensations du chaos – Critique

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DÉMINEURS, tournant fondamental de la carrière de Kathryn Bigelow, où une mise en scène immersive atteint des sommets et annonce sa volonté de braquer sa caméra sur la psyché de l’Amérique contemporaine. Retour sur une anomalie hollywoodienne.

Au soir du 7 mars 2010, DÉMINEURS, sur 9 Nominations, faisant de lui l’autre poids lourd de la cérémonie avec Avatar, en décroche 4. Sa réalisatrice, Kathryn Bigelow, s’impose, devant ses pairs, comme la 1ère femme de l’histoire à obtenir la meilleure réalisation. Pour autant, la véritable victoire qui se joue est plus intime, pour celle qui, après 2 échecs retentissants (K-19, Le Poids de l’Eau) et les 7 années de galères qui suivirent, a une revanche à prendre. Trouvant la matière nécessaire pour régénérer son cinéma, Kathryn Bigelow va réinventer sa mise en scène, déjouer les passages obligés et les mécaniques attendues, en se réappropriant le film de guerre moderne. James Cameron, battu, laisse éclater sa joie, la reine vient reprendre son trône.

7 ans, 7 longues années qui hormis de discrètes collaborations pub et TV, ne l’ont pas vue aux commandes d’un projet à sa mesure, 7 années au cours desquelles la mise en scène de l’action a considérablement évolué, Une approche en particulier a marqué cette décennie et reste, aujourd’hui encore, privilégiée par beaucoup. Cherchant à rendre toujours plus fine la distance qui sépare le public de l’action à l’écran, certains metteurs en scène vont s’orienter vers une approche plus crue et directe, caractérisée par une réalisation caméra à l’épaule, nerveuse et instable, c’est le Shaky Cam, émulant le rendu des reportage pris sur le vif et de certains reality show (COPS, 1989 ) afin de rendre le sentiment d’urgence plus poignant à l’image.

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Kathryn Bigelow

Ce geste esthétique se remarquera d’abord dans des séries TV, comme 24 Heures chrono ou la géniale The Shield, puis au cinéma, en particulier avec la saga Jason Bourne, d’abord avec Doug Liman puis Paul Greengrass, coutumier de cette approche syncopée, intronisant ce style de mise en scène comme le nouveau standard de l’action au cinéma.

C’est tout naturellement que Kathryn Bigelow va travailler autour de cette approche, ce style trouvant une résonance évidente avec le récit de guerre moderne et l’imagerie caractéristique du reportage (L’Amérique est présente sur le front irakien depuis 2003). Elle reprendra en particulier le tournage en multi-caméras épaule et le super16mm, s’associant à Barry Ackroyd qui a déjà fait ses preuves avec ce format, lui offrant le grain qu’elle recherche pour donner un caractère plus brut à son image, avec une photo en nuance d’ocre, ajoutant à la déliquescence ambiante.

Consciente des travers de ce style, les zooms et bascules de point très fréquents pouvant rendre l’ensemble illisible (Jason Bourne, 2016), elle va penser en amont un découpage et un montage qui fassent dialoguer constamment nervosité et fluidité, sa caméra n’étant, pour elle, pas qu’un outil de captation mais un narrateur actif de l’histoire. En cela elle se rapproche d’un autre grand nom du cinéma d’action, John McTiernan, et de sa démarche de déconstruction sur Die Hard 3, qui venait déjà casser les habitudes du spectateur et amener son oeil à appréhender le chaos. Car c’est bien de cela qu’il s’agit, appréhender le chaos. Elle va placer sa caméra sur une équipe américaine de déminage en service à Baghdad, récemment endeuillée par la perte de leur chef d’escouade, et obligée de composer avec un nouveau sergent, William James, dont l’attitude téméraire crée des tensions à l’intérieur du groupe. Ce dernier concentre toutes les obsessions de la cinéaste: cynique, désabusé, virile et fragile, ni salaud ni saint, l’archétype flamboyant qu’elle a toujours filmé.

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Visant l’immersion du public et l’identification au personnage, elle va penser ses scènes d’actions comme des séances de shoot, couplant au dynamisme de la caméra épaule une autre caméra HD pouvant capter jusqu’a1000 i/s (scène d’ouverture), nous plongeant au centre d’un maelstrom de chairs, poussières et tôles froissées. Cette volonté d’immersion n’est pas nouvelle mais n’avait pas connu d’approche aussi radicale. Pour que celle-ci fonctionne, elle va épurer autour d’un langage visuel déjà complexe pour ne jamais perdre le spectateur, pensé comme le 4ème homme, évitant toutes sous-intrigues superflues, voulant rendre compte avant tout de la réalité humaine des protagonistes, et une contextualisation parasite, préférant aux cartons d’informations une citation du journaliste Chris Hedges qui sonne clairement comme un manifeste. De cette façon elle évoque l’actualité de l’Amérique sans en être prisonnière, libre de donner aux villes et déserts d’Irak des allures de western moderne, que la partition de Marco Beltrami et Buck Sanders emmène par instant à la lisière du thriller et du fantastique (Man in The Green Bomb Suit, There Will Be Bombs), renforçant la dimension paranoïaque. Cette logique ultra immersive culmine dans un épilogue à l’ambiguïté brillante. Le spectateur ayant traversé le feu , sans distance ni refuge moral , finit une fois rentré au pays, par être imprégné des paradoxes intérieurs du héros, aspirant à quitter le quotidien et les proches autrefois fantasmés comme échappatoire, déjà en manque du trop plein de vie du conflit.

De Near Dark à Strange Days, Kathryn Bigelow a toujours placé dans l’action une réflexion existentielle. Elle filme des êtres en transformation, des marginaux épris de liberté, questionnant leur place dans une société avec laquelle ils ne sont plus en phase, quitte à mettre leur vie dans la balance. Mais à quel prix? William James en est le prolongement amère, trouvant sa liberté en plongeant dans une lutte qui l’enferme, à l’image de cette ligne qu’il franchit dans les derniers plans du film, enclenchant le décompte d’un nouveau cycle que l’on devine sans fin, comme un éternel retour.

Thomas Besse

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Titre original : The Hurt Locker
Réalisation : Kathryn Biguelow
Scénario : Mark Boal
Acteurs principaux : Jeremy Renner, Anthony Mackie, Brian Geraghty, Guy Pearce, Ralph Fiennes, David Morse, Evangeline Lilly
Date de sortie : 23 septembre 2009
Durée : 2h11min
4
Chaotique

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