Les deux petits français Alexandre Bustillo et Julien Maury sont aux commandes d’un film qui veut explorer les origines de Leatherface. Disponible en Direct-to-Video à partir du 2 janvier.
Passer après le monumental Massacre à la Tronçonneuse relève de l’impossible. Toute la bonne volonté du monde est inutile, le combat est perdu d’avance. Rien ne l’égalera ou ne pourra lui arriver à la cheville. Car le film de feu Tobe Hooper est profondément indissociable de son époque – les années 70 -, d’un mood qu’on ne peut artificiellement restituer de nos jours. N’oublions pas que sans la crise, sans le Vietnam et l’affaire du Watergate, nous n’aurions peut-être probablement pas eu de Massacre à la Tronçonneuse. À moins de trouver l’idée géniale qui permettra de réactualiser le propos, mieux vaut s’abstenir de commettre une bêtise. Œuvre phare du cinéma horrifique, il est de coutume de dire que le culte qui lui est voué provient de son aura sulfureuse. Il y a de cela (censure et interdiction aux moins de 18 ans) mais désormais on sait qu’il y a également bien plus. Si en 2018 on s’accorde sans une once d’hésitation à encore l’ériger en chef-d’œuvre incontestable de l’Histoire du cinéma, ce n’est pas pour rien. Sa force la plus remarquable, avec le recul, est d’avoir su/pu traverser les époques, d’avoir gardé toute sa puissance formelle intacte. Et ce malgré des conditions de tournage compliquées et un budget dérisoire, deux arguments qui auraient pu l’empêcher de résister à l’épreuve du temps.Ce n’est pas la première fois qu’Hollywood tente de remettre au goût du jour Massacre à la Tronçonneuse. Depuis les quelques suites produites durant les années 80/90, nous avons eu droit à trois nouveaux films : un remake, une semi-préquelle et un opus 3D. De ces trois tentatives, on serait tenté d’en sauver qu’une seule, la première. Marcus Nispel arrivait à ne pas trop souiller le mythe qu’il abordait en nous embarquant dans un pur récit horrifique tendu aussi humble que bien foutu. Totalement dispensable – on le concède -, mieux vaut un tel résultat plutôt que de se coltiner les deux innommables bouses signées Jonathan Liebesman et John Luessenhop. Le plus gros souci des studios est de malheureusement lancer des projets sans ne jamais rien comprendre au matériau de base. Dans le cas ci-présent, seul le potentiel horrifique compte. Désormais, au tour de nos petits compatriotes Alexandre Bustillo et Julien Maury, pour leur première expérience aux Etats-Unis, de se lancer dans cet exercice suicidaire.
Parler de Leatherface, c’est raconter pour la énième fois l’histoire des petits français partis à Hollywood dans l’espoir de connaître une ascension fulgurante. Et cette histoire, si on la connaît si bien, c’est parce qu’elle a la fâcheuse habitude de mal se terminer. On sait très bien que la sensibilité et les envie d’un metteur en scène peuvent très vite être saccagés par les desiderata d’un studio. Le financier ayant toujours le dernier mot. Leatherface en est le parfait exemple : scènes coupées, remontage, reshoot dans le dos des réalisateurs… Tous les chapitres classiques de l’expérience ratée sont présents. Dès lors, il devient compliqué de parler d’un film tiraillé entre deux visions. Impossible de cerner la cohérence, d’attribuer à tel parti les intentions – et par extension les ratés. Mais puisqu’il faut en parler, autant se baser uniquement sur le résultat final.
« Explorer les origines de Leatherface est une fausse bonne idée, un non-événement. »
À l’image de ce qui a été fait par Rob Zombie de façon géniale avec son Halloween, Leatherface a pour projet d’exploiter la seule petite fenêtre de tir qui s’offre à lui : explorer les origines du boogeyman. Seule option viable, sur le papier, pour éviter de se retrouver avec une copie carbone de l’original. Hélas, aller fouiner de ce côté-là est pile la chose à ne pas faire du tout avec un personnage comme Leatherface puisque toute son humanité et son relief psychologique étaient présents mais surtout compréhensibles dans le film de Tobe Hooper. Alors lorsqu’on promet de dévoiler sa jeunesse, il s’agit d’un non-événement, d’une fausse bonne idée. Et nos craintes se confirment dès les premières minutes. Le film s’ouvre sur une scène de repas. Impossible de mettre plus les pieds dans le plat que de cette façon ! Et puisqu’il faut y aller, autant le faire à fond et dégainons directement le tronçonneuse ! En 4 petites minutes ponctuées de plans rapprochés au grand angle (quel mauvais goût…), le long-métrage démontre toute la méconnaissance qu’il a du mythe qu’il aborde en envoyant grossièrement des motifs quasiment sacrés sans chercher à y injecter du sens. Au mieux, il file quelques coups de coude aux spectateurs pour lui faire remarquer qu’il fait référence à l’original. Comme ce moment où la fille du shérif s’approche d’une grange et qu’elle est cadrée exactement de la même manière que Teri (voir ci-dessous). Le miracle n’aura pas lieu. Et le pire est à venir.Au lieu de construire un background solide qui aurait pu apporter une nouvelle dimension au personnage, le film préfère s’enliser dans un étrange récit d’hôpital psychiatrique et d’évasion. Étrange car le film semble ne pas être tiré de la franchise Massacre à la Tronçonneuse, au point qu’on en oublie au bout de quelques « péripéties » quel est le but initial de l’histoire. On aurait aimé plus d’inventivité que ce pauvre scénario déjà-vu (Leatherface mérite mieux !) se terminant dans des étendues sauvages dont on peine à croire qu’elles sont aux États-Unis. Un comble tant l’original est un film qui ne peut exister que sur le territoire américain. Alors, oui, on cerne vaguement la motivation des responsables derrière cette idée d’évasion de fous – le film cherche artificiellement à reproduire la note d’intention d’Hooper qui était de filmer un hôpital psychiatrique à ciel ouvert où l’Amérique était confrontée aux enfants qu’elle a elle-même délaissés. Le plus triste dans cette affaire est voir surgir au détour d’un plan, d’une scène, d’un raccord, le style très graphique du duo Bustillo/Maury. Des intentions formelles qui, sur la durée, auraient pu permettre au film d’avoir une meilleure gueule – sans pour autant que le résultat soit diamétralement opposé étant donnée la faiblesse ahurissante du script. Finalement, ce ratage dans les grandes largeurs n’est que justice : on ne s’amuse pas avec ce qu’on ne maîtrise pas.
Maxime Bedini
[button color= »white » size= »normal » alignment= »center » rel= »nofollow » openin= »samewindow » url= »#comments »]Votre avis ?[/button]
• Réalisation : Julien Maury et Alexandre Bustillo
• Scénario : Seth M. Sherwood
• Acteurs principaux :Stephen Dorff, Lili Taylor, Sam Strike
• Date de sortie : 2 janvier 2018 en DVD
• Durée : 1h25min