A Cure For Life signe le grand retour de Gore Verbinski au cinéma d’horreur, qu’il renouvelle de façon tout à fait inattendue avec… Le style gothique de la littérature du XIXe.
Il aura fallu quatre ans au réalisateur des trois premiers Pirates des Caraïbes pour se remettre du naufrage de son précédent long-métrage, Lone Ranger – Naissance d’un héros, l’un des plus gros échecs de l’histoire du cinéma. Quatre ans pour finalement donner naissance à un drôle de bébé, qui ressemble moins aux frères aînés déjà cités qu’aux membres plus anciens de la famille Verbinski, notamment son remake de The Ring au début des années 2000.
L’histoire: le jeune Lockhart (Dane Dehaan), coursier fraîchement promu à Wall Street, est chargé de se rendre dans un luxueux centre de soins au fin fond des Alpes suisses pour y récupérer l’un de ses supérieurs qui refuse de rentrer à New York. Le dénommé Pembroke, ainsi que plusieurs autres patients fortunés, y suivent un mystérieux traitement que Lockhart lui-même sera contraint d’expérimenter à la suite d’un accident de voiture…
L’intrigue de A CURE FOR LIFE, si elle ne manque pas de mystère, semble à priori assez banale : un jeune héros (plus ou moins) insouciant se retrouve propulsé dans un environnement étrange et inquiétant dont il va s’employer à percer les secrets, à ses risques et périls.
Mais ce récit très codifié trouve un intérêt singulier dans l’actualisation du genre à l’origine de ces codes. Le château lugubre, la présence de la religion (au travers de l’inquiétante église et du cimetière notamment), la touche d’exotisme (Suisse, mais exotisme quand même, celui des Alpes isolés du reste du monde), le thème de la jeune fille victime du monstre, ou encore la résurgence d’un sombre passé, sont autant d’éléments qui évoquent sensiblement le roman gothique du XIXe siècle. Plus qu’une évocation, les premières minutes du film apparaissent même comme une adaptation moderne de l’une des œuvres les plus canoniques du genre, et sans aucun doute celle qui s’est trouvée le plus souvent portée à l’écran : Dracula. Jonathan Harker (dans le livre de Bram Stoker) est en effet envoyé par son supérieur dans un lointain pays, où il doit, non pas retrouver, mais remplacer son prédécesseur afin de conclure une transaction avec un étrange Comte…
A CURE FOR LIFE signe le retour de Verbinski au cinéma d’horreur. Envoutant et inspiré.
Remplacez la Transylvanie par la Suisse, et tout y est : le prétexte de l’affaire à conclure, le prédécesseur qui semble avoir mystérieusement perdu la raison, ou encore la réputation du maître des lieux parmi les villageois. Certaines scènes semblent même être reprises directement du roman, comme celle de l’arrivée au château : chez Stoker, Harker y était conduit par le cocher de Dracula tirant « quatre chevaux […] splendides, d’un noir de charbon » ; chez Verbinski, le cocher est remplacé par un chauffeur de taxi, et les chevaux par une Mercedes… Noire, évidemment. Quant aux villageois, ils représentent indéniablement l’élément le plus « modernisé » du genre gothique. Aucun paysan superstitieux ici, mais une bande de punks qui traîne au seul bar du village en attendant que quelque chose se passe… On pourrait presque oser l’interprétation jusqu’à dire que, plus que punk, leur style tend vers le gothique, comme si le réalisateur s’était amusé à faire un clin d’œil détourné au nom du style littéraire.
Cependant, l’intérêt du film ne réside pas uniquement dans ce jeu de comparaison avec le genre dont il s’inspire. A CURE FOR LIFE parvient à faire exister une véritable ambiance, noire, tourmentée, qui relève autant du gothique pur que du fantastique, sans que l’on ne sache jamais si la scène qui se déroule devant nos yeux relève de la réalité ou de l’hallucination – pour ne pas dire du cauchemar. Le travail des lumières y est pour beaucoup, conférant au soleil des Alpes un éclat horrifique insoupçonné, et aux bains du centre une teinte jaunie, presque sépia, qui évoque toute l’histoire ancienne dont le lieu est chargé…
Les acteurs créent aussi ce climat inquiétant, que ce soit Mia Goth et son allure de vierge candide avec juste un petit quelque chose de dérangeant dans le visage (sûrement l’absence de sourcils), ou le sourire tantôt rassurant tantôt franchement effrayant de Jason Isaacs. Quant à Dane Dehaan, il est parfait dans le rôle du jeune coursier bourré d’ambition qui voit peu à peu ses certitudes voler en éclat dans cet univers peuplé d’étranges créatures. Cerf, anguilles, vaches, dentiste : le film contient tout un bestiaire horrifique, que le réalisateur semble prendre un vif plaisir à déployer. Sans jamais tomber dans la vulgarité gore, il distille avec parcimonie les éléments d’une atmosphère malsaine, où le spectateur est invité à se perdre aux côtés du héros.
A CURE FOR LIFE aurait pu n’être qu’un énième thriller horrifique sans personnalité : Il n’en est rien. En actualisant les codes les plus anciens du genre littéraire gothique qui a tant nourri le cinéma, Gore Verbinski a trouvé la bonne idée pour donner à son film un ton résolument moderne et une esthétique forte. Sa mise en scène élégante, foisonnante et rythmée tient véritablement en haleine durant les 2h20 du film. A moins d’avoir la phobie de l’eau ou des espaces clos (ou des visages sans sourcils), rien ne doit empêcher d’aller découvrir cette très bonne surprise, qui en plus de faire doucement frissonner, voire de franchement retourner les estomacs les moins accrochés, osera au détour d’un flash-back ou d’une étonnante conclusion ouvrir une réflexion sur les dérives du monde moderne capitaliste… et fera économiser une sérieuse somme à tout ceux qui auraient pu avoir dans l’idée de s’offrir un séjour en cure !
A.A
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• Réalisation : Gore Verbinski
• Scénario : Gore Verbinski, Justin Haythe
• Acteurs principaux : Dane Dehaan, Mia Goth, Jason Isaacs
• Date de sortie : 15 février 2017
• Durée : 2h26min