Photo du film A SCENE AT THE SEA
Crédits : La Rabbia

A SCENE AT THE SEA, une histoire sans paroles – Critique

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Troisième long métrage du réalisateur japonais Takeshi Kitano, A SCENE AT THE SEA nous plonge dans une œuvre d’une rare délicatesse, s’éloignant des récits violents de yakuzas auxquels il était habitué pour offrir une œuvre délicate et minimaliste. Le film raconte l’histoire de Shigeru et Takako, un jeune couple sourd et muet, avec une grande finesse.

L’intrigue de A SCENE AT THE SEA est d’une simplicité désarmante. Un jour, Shigeru, éboueur, trouve une planche de surf cassée lors de sa tournée. Intrigué, il décide de la réparer et, presque instinctivement, de s’essayer au surf. Ce qui commence comme une curiosité se transforme rapidement en une véritable passion. On suit alors son apprentissage, de ses débuts hésitants jusqu’à l’achat de sa première planche, accompagné par sa petite amie Takako. Ce loisir devient une obsession qui structure son quotidien et le pousse à se surpasser, sous les regards tantôt moqueurs, tantôt bienveillants des surfeurs de la plage. Takako, toujours présente à ses côtés, le soutient silencieusement en l’accompagnant à la plage, l’aidant à transporter sa planche, pliant ses affaires, et l’observe depuis le rivage avec une patience et une dévotion infinies.

La force du regard

L’absence totale de dialogues entre les deux protagonistes ne diminue en rien l’attachement que l’on éprouve pour eux. Cette connexion est rendue possible grâce aux performances remarquables des acteurs, notamment celle de Hiroko Oshima (Takako), dont ce sera l’unique rôle au cinéma, et à la mise en scène subtile de Kitano. Les personnages ne recourent même pas à la langue des signes pour communiquer, tout passe par les regards et les expressions faciales. Chaque échange visuel, chaque sourire, révèle leurs pensées et leurs émotions. Des moments comme la scène de réconciliation après une dispute ou les sourires empreints de douceur de Takako sur la plage illustrent parfaitement cette richesse silencieuse. Cette absence de paroles confère au film une sérénité envoûtante, accentuée par la rareté des dialogues secondaires. Kitano privilégie ainsi la contemplation, démontrant avec brio qu’au cinéma, les mots ne sont pas indispensables pour transmettre des émotions profondes.

Les choix esthétiques de Kitano renforcent l’atmosphère douce et onirique du film. Les plages grises et les décors industriels du Japon des années 90 contrastent avec les couleurs pastel des combinaisons des surfeurs et des vêtements de Takako. L’horizon plat et infini, omniprésent dans le film, devient un symbole d’évasion et de quête. À travers des travellings réguliers suivant les personnages marchant côte à côte, Kitano utilise la ligne de l’horizon pour placer ses personnages dans l’espace. Il alterne entre des plans qui montrent une grande profondeur et des plans plus plats, ce qui reflète la richesse et la complexité de leur monde intérieur.

A SCENE AT THE SEA, une narration simple mais touchante

Malgré une intrigue presque inexistante, le film parvient à captiver grâce à la beauté de ses scènes. La relation entre Shigeru et Takako, empreinte de tendresse, se développe lentement, sous nos yeux. L’intégration progressive du couple dans le groupe de surfeurs est particulièrement touchante. Cela se reflète dans des moments comme celui du premier concours raté à cause de la surdité de Shigeru, ou encore lorsque le gérant du magasin de surf commence à le soutenir. L’ambiance chaleureuse se renforce à travers des scènes comme celle où le groupe sont tous ensemble sur un bateau, ou encore lors de la prise de photos après un concours, où le couple trouve enfin sa place dans cette petite communauté.

Kitano évite aussi toute dramatisation excessive, même lors des moments clés. Lorsque Shigeru progresse en surf ou remporte un trophée, ces événements sont traités avec une grande sobriété, presque comme s’ils étaient insignifiants dans le montage. Ce choix illustre la philosophie du réalisateur et montre que la vie n’est pas faite de grands moments spectaculaires, mais d’une succession de petits gestes et de décisions qui, ensemble, composent notre histoire.

Kitano introduit également des touches d’humour subtiles qui apportent légèreté au récit sans en altérer la sérénité. Par exemple, on sourit en voyant les deux jeunes amis se lancer dans le surf en partageant une planche et une combinaison, ou encore avec le running gag du surfeur qui tombe à chaque fois qu’il court vers la mer.

Une fin poétique et bouleversante

La conclusion du film dégage une puissance rare. Après un concours de surf, Shigeru retourne à la mer, comme il en a l’habitude. Mais quand Takako arrive sur la plage, elle ne trouve que les vagues et la planche de Shigeru flottant à la dérive. Bien que Kitano choisisse de ne pas montrer explicitement la disparition de Shigeru, on comprend sa mort rapidement suggérée à travers l’alternance des images de la planche solitaire sur la plage et celles du visage de Takako sous son parapluie bleu, et enfin, la phrase « il est devenu poisson » vient lui conférer une profondeur poétique.
Cette fin souligne l’idée centrale du film, à savoir que la vie continue, avec ou sans nous. À travers un montage subtil, on voit le groupe de surfeurs poursuivre leurs activités, l’homme du covoiturage continue son activité, un autre garçon prendre la place de Shigeru en tant qu’éboueur, et les compétitions de surf se déroule comme à leurs habitude. La disparition de Shigeru n’interrompt pas le cours des choses, et c’est cela que Kitano parvient à exprimer et illustrer avec une sobriété bouleversante, celle de l’absence, de la continuité de la vie et de l’inexorable passage du temps.
Dans une scène finale empreinte de symbolisme, Takako remet la planche de Shigeru à la mer, avec une photo d’eux deux collés dessus, comme un autel flottant. S’ensuit un montage de moments de leur vie commune, accompagné d’une musique sublime signée Joe Hisaishi. Collaborateur régulier de Kitano, Hisaishi compose ici une bande originale inoubliable. Ses mélodies minimalistes, mêlant piano, synthétiseur et violoncelle, plongent les spectateurs dans une atmosphère hypnotique. La musique, sobre et poignante, devient la voix des personnages, exprimant leurs émotions et pensées les plus profondes.

L’infinie douceur de la vie

Enfin, A SCENE AT THE SEA est bien plus qu’un récit d’apprentissage ou une histoire d’amour. C’est une méditation sur la vie, l’amour, et la quête de sens. Kitano réussit à transformer un quotidien banal en une œuvre d’une rare profondeur grâce à sa mise en scène épurée, son sens du détail et la puissance évocatrice de ses images.

Ce film, où il « ne se passe presque rien », montre que les grands récits ne résident pas dans l’extraordinaire, mais dans la somme des petits gestes qui composent une existence. Une œuvre inoubliable, qui marque durablement par sa douceur et sa poésie.

Anicet

Cet article a été publié suite à une contribution d’un·e rédacteur·rice invité·e.
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