L’intelligence artificielle, les clones, l’immortalité, tous ces thèmes sont chers au cinéma de science-fiction lorsqu’il s’agit d’aborder le futur de notre évolution. Après un passage à l’expérimental, Kogonada impressionne et déploie une émouvante fresque au travers de ce film passé par le Certain Regard du Festival de Cannes.
Plongé au cœur de notre monde, où seuls quelques habitudes et maux de la vie quotidienne sont désormais liées à de nouvelles formes communications et technologies, cette « presque dystopie » se pare d’une esthétique léchée et colorée. Yang, présenté comme un simple membre de la famille, n’est en réalité qu’un assistant personnel, un androïde plus humain que possible. Un techno-sapien qui n’est pas sans rappeler Ava, le personnage phare du fantastique Ex-Machina (2015) d’Alex Garland. Lorsque celui-ci tombe en panne et provoque un manque sentimental chez la jeune Mika, le père de famille incarné par Colin Farrell, met toute sa vie personnelle en pause pour tenter de le réparer. Jake va alors s’enfoncer dans un parcours compliqué, mis aux prises avec des questionnements existentiels et vertigineusement intimes. Une nouvelle poésie cinématographique du cinéaste américain quelques années après Columbus (2017) qui n’avait pas eu la chance de connaitre une sortie en salles françaises. Une autre œuvre imprégnée d’émotions conflictuelles et d’interrogations. Kogonada y parlait déjà d’art en entourant son arc narratif d’architecture, essai réitéré dans AFTER YANG où son générique pop et coloré s’inscrit comme une des meilleures scènes de danse de cette année cinéma.
La grande différence de ce film, c’est sa tendresse. Celle avec laquelle le réalisateur s’interroge lui-même sur les IA, prenant par la main le spectateur surpris par la démarche. Après une première partie pleine de légèreté et en contraste avec ce fameux générique, le film prend une direction totalement mémorielle lorsque l’on découvre avec Colin Farrell, l’existence d’une mémoire vidéo dans le corps de l’androïde détraqué. Des moments de vie y sont gravés par milliers et dévoilés au grand jour de son propriétaire. Et si ceci n’était qu’une utile comparaison à Facebook, Instagram, Twitter, TikTok et autres applications que l’humanité nourrit chaque jour tel une offrande au Dieu de la notoriété publique.
Tout comme les souvenirs de Yang, qui peut utiliser nos images ? Qui peut se servir d’une vidéo comme témoin historique, artistique ou même criminel de notre passage sur Terre ? Le personnage de Jake, parfait mouton de la société dans laquelle il vit, doit répondre à ses questions pour des moments qui ne lui appartiennent pas. Une des plus belles réflexions du film venant d’ailleurs de sa décision face à l’intérêt d’un musée voulant projeter et disséquer l’androïde impossible à sauver. Les plans s’enchainent, Ozu plane sur la photographie que signe Benjamin Loeb, et le public prend part au trip dystopien qui s’impose sur l’écran face à lui. Vision de notre future qui ne traite à aucun moment des causes climatiques et environnementales, possible signe de bonne nouvelle et d’encouragement pour nos générations combatives.
Objet de cinéma singulier, AFTER YANG ne manque pas d’originalité pour mettre en avant son casting parental mené par la charismatique Jodie Turner-Smith. Kogonada confirme ainsi l’intérêt qu’il lui est porté en tant que réalisateur prometteur. Créateur de mélancolies, de familles aux multiples origines et d’anticipations digne des premières saisons de Black Mirror. Avec cette adaptation d’une nouvelle d’Alexander Weinstein (Saying Goodbye to Yang), le cinéaste ajoute un film fort au catalogue d’A24. AFTER YANG fait partie de ces films auxquels vous pensez encore le lendemain au réveil. Une fable techno-humaine qui imagine ce pourrait devenir l’Homme de demain.
Robin
• Réalisation : Kogonada
• Scénario : Kogonada
• Casting : Colin Farrell, Jodie Turner-Smith, Malea Emma Tjandrawidjaja
• Date de sortie (France) : 06 juillet 2022
• Durée : 1h36min
• Genre : Science-Fiction, Drame
• Nationalité : Américain