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Crédits : Farés Sokhon

CAPHARNAÜM, aussi beau et percutant que marquant – Critique

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L’enfant seul, traîne un vieux skate, surplombé d’une marmite rouillée. Il ne mendie pas vraiment, il ne vend rien, pas grand-chose non plus, il crie son existence, surtout en tirant dans les bas-fonds de Beyrouth cette étrange charrette. Dans la marmite, Yonas, un petit bébé éthiopien, pas besoin d’en savoir plus.

Ce gamin, ce skate qu’il a volé sur lequel trône Yonas dans cette marmite qu’il a aussi volée, c’est Zayn. Zayn a été volé aussi, différemment. Son enfance a été volé, son innocence a été volée. Il n’est rien pour personne, même pas pour ses parents qui ne l’ont jamais déclaré. Il ne vaut rien, il est comme Yonas, clandestin à vivre sa propre vie. En un plan, tout est dit. Il n’y a plus de parents pour différentes raisons, il n’y a pas de services sociaux pour ceux qui n’existent pas. Zayn, il a quel âge d’ailleurs ? Ses parents disent treize, le médecin affirme douze, lui, il ne sait pas, il n’a pas compté les bougies, peut-être parce qu’il n’y en avait pas ?

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Crédits : Alamode Film

Oxmo Puccino disait : « T’es l’enfant seul, je sais qu’c’est toi / Viens-tu des bas-fonds, ou des quartiers neufs, bref, au fond tous la même souffrance ». Cet enfant seul a décidé, au terme du début d’une narration non-linéaire, d’attaquer ses parents, pour le préjudice d’être né – pourrait-on même tourner le grief en Cioran dans le texte « De L’Inconvénient d’être né ». Zayn n’a rien demandé, c’est vrai et cette question aussi universelle que superficielle, posée dès l’ouverture, plane au-dessus du film comme une épée de Damoclès, comme un relent suicidaire d’un enfant beaucoup trop jeune pour avoir à regretter d’être né. Mais, quand même, persiste par touches comme des habillements impressionnistes des accents d’espoirs : une douche, un repas chaud, un moment de complicité entre Zayn et bébé Yonas.

Mais Zayn ne se laisse pas faire et c’est là toute la violence et toute la beauté – si l’on peut en tirer du beau – de ce film, par sa colère et sa rage, il porte son inexistence plus fortement et plus haut que beaucoup de ceux qu’il croise et qui sont inscrits – eux – à l’état civil. « J’encule ce pays de merde ». Le ton est vite donné et difficile d’en vouloir à Zayn pour son langage châtier quand se joue dans un Beyrouth crépusculaire la vie de gosses prêts à tout pour ne pas crever. Un faubourg, une lampée de Tramadol, de la poussière sur la gueule, brûlée « comme de la viande cramée », la jeunesse libanaise des cloaques enfumés de mauvais narguilé gît, crasseuse, pas encore prête à la nuit qui tombera quelques mois plus tard sur le pays, avec l’explosion du port de Beyrouth et la fin de l’ascension libanaise coûte que coûte.

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Crédits : Mooz Films

Pour Zayn, « la vie est une chienne » et encore, la comparaison est bienheureuse pour la vie qui aurait pu se voir affublée de mots plus durs tant les maux dont souffre l’enfant sont, eux, terrifiants. Difficile de se demander en tant que spectateur comment il est possible de survivre dans les poubelles d’une société. Il est l’allégorie de toute la souffrance et le drame libanais, qui n’a jamais relevé la tête. Zayn, figure famélique d’un destin national pathétique.

La caméra, car il est aussi question de technique, est simple, à la manière d’un documentaire, parfois assez enfantine, parfois dure, avec des travellings bien pensés pour exposer les décors, les personnages et les enjeux en un seul mouvement de caméra. On parle tant du film et de son héros qu’on en oublie sa réalisatrice. Une femme. Et c’est important de le noter, tant le combat féministe est un combat de chaque instant, notamment au cinéma. Nadine Labaki livre une œuvre exceptionnelle qui rafla César, Oscar et Prix du Jury à Cannes. Elle n’était pas là pour faire de la figuration.

Un film comme il en sort rarement et sur lequel il fallait revenir, car il est aussi utile de sortir des sentiers battus, de voir ce qui se fait en Orient, mais aussi et surtout chercher à voir, à savoir, pour comprendre. Un film aussi beau et percutant que marquant pour le cinéma international, quand d’autres journalistes à la manière d’un Bruno Deruisseau dans Les Inrocks, qui l’avait comparé lors de sa présentation à Cannes aux Petits Mouchoirs et l’avait affublé de la critique suivante : « Malaisant et lourdement mélodramatique ». Sans commentaire, juste à se souvenir. Enfin, il est de ce genre de film parfois fondateur à la fois pour ceux et celles qui le font, mais aussi pour ceux et celles qui le reçoivent.

Etienne Cherchour

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Titre original : كفرناحوم
Réalisation : Nadine Labaki
Scénario : Nadine Labaki, Jihad Hojeily
Acteurs principaux : Zain Al Rafeea, Cedra Izam, Nadine Labaki
Date de sortie : 17 octobre 2018
Durée : 2h
4.5
Chef d'œuvre

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