« 1967 – 1976. La rencontre de l’un des plus grands couturiers de tous les temps avec une décennie libre. Aucun des deux n’en sortira intact. » Voilà pour le pitch. Court et précis, ce dernier ne laissait présager que de bonnes choses.
En effet, 9 mois après le (jugé trop) classique Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, le film de Bertrand Bonello devait faire l’effet d’un électrochoc, nous enthousiasmer autant qu’il semblait avoir plu aux critiques présents à Cannes en mai dernier. Mais voilà, au jeu du ‘plus (…) que Yves Saint Laurent‘, le SAINT LAURENT de Bonello se plante complètement, tentant de faire du choquant avec de l’ennuyeux. Ou pire, avec du déjà-vu. Car si le réalisateur de 46 ans lançait fièrement ne pas avoir vu le film de Jalil Lespert, au bout des 2h30 que compte son biopic, on aurait plus qu’apprécié qu’il l’eut fait. Et peut-être plus d’une fois. Explications.
Bertrand Bonello étant ce qu’il est, avec son SAINT LAURENT on s’attendait à voir du tout en profusion. Forcément, comparé au Yves Saint Laurent sorti en janvier dernier. Plus de sexe, plus d’alcool, plus de drogues, plus de sang, plus de cris, plus d’enfermement, plus de tout. La volonté de faire « plus trash » ou « plus arty » voire carrément « plus indé » se retrouve complètement dissolue pendant ces 150 minutes. En ne sachant visiblement pas comment présenter son Yves Henri Donat Mathieu-Saint-Laurent, Bonello s’égare à de multiples reprises. Le couturier était-il malade, perdu, seul, influençable, accroc, profondément bon ou carrément mauvais?
Eh bien apparemment pour Bonello, il était tout cela à la fois et rien du tout en parallèle. Un temps enfant gâté et influençable, le Yves Saint Laurent que Gaspard Ulliel (Un long dimanche de fiançailles, Paris, je t’aime) incarne avec justesse, se transforme à quelques reprises en une mauvaise caricature du garçon sauvage et perfide. Un grand écart psychologique mal mis en scène, maladroitement représenté et tout bonnement inutile. Si chacun à sa part d’ombre, celle d’ Yves est ici profondément rasoir. Le personnage est horriblement confus et déroutant tant il est impossible de comprendre ce qu’il ressent ou ce qu’il désire.
Mais à qui la faute, si ce n’est celle du réalisateur himself ? Choisir, (avec son co-scénariste Thomas Bidegain) de ne montrer que 10 années de la vie d’ Yves Saint Laurent était un choix judicieux à la base. En particulier lorsque l’on comprend que c’est pendant cette période que le couturier connaît et fait face à ses plus sombres démons, à ses plus grandes peurs, à son creux de la vague et en même temps à son plus haut sommet. Et par chance, si je puis dire, c’est également pendant cette période que celui qui a changé à tous jamais le vestiaire féminin vit dans l’excès et la démesure. Entre le sexe, la défonce, l’alcool et la fumette, tout était là pour que Bertrand Bonello nous en mette en plein les yeux, qu’il nous dérange et nous frappe en plein visage. Malheureusement, il n’en est rien.
L’ensemble est consensuel et très convenu. Pour rentrer dans son cahier des charges, le réalisateur nous montre un Gaspard Ulliel entièrement nu, en plein jeu érotique avec un Jérémie Renier (Le gamin au vélo, Cloclo) qui patine en vil et manipulateur Pierre Bergé. Sans que l’on ne comprenne pourquoi, les deux se retrouvent donc nus, face à nous, et cela donne clairement l’impression que Bonello n’a pu résister à la tentation de montrer l’anatomie plutôt enviable de ses deux interprètes principaux. Mais seulement celle de ces deux-là. Car avec surprise, on remarquera bien plus tard que la sensualité des autres personnages – qui paraissent malgré eux bien secondaires – n’est pas explorée. Un détail qui dérange et se transforme rapidement en erreur impardonnable.
Un biopic moyen, entre déception et incompréhension.
A l’instar de Jacques de Bascher, le dandy brillamment incarné par Louis Garrel (Les amours imaginaires, Innocents – The Dreamers). Historiquement, personne n’est capable de dire précisément combien de temps a duré la romance entre le tentateur de la high society parisienne et le couturier. Car ce qui n’a pas été au-delà de 3 à 6 mois se transforme dans SAINT LAURENT en une relation compliquée, longue, asphyxiante et fortement dangereuse pour le styliste. Une de ces relations dont on ne sort pas indemne et qui marque à vie. Et cela, Bonello joue beaucoup avec puisqu’elle devient finalement le moteur principal de son film, sa raison d’être: comment la présence de Jacques dans la vie d’ Yves a changé la manière d’être, de penser et de créer de ce dernier? Et surtout, comment le dandy a empoisonné la vie du garçon fébrile? Seulement voilà, quelques scènes nocturnes et faussement équivoques dans le Jardin des Tuileries, quelques pilules avalées dans un long échange de bave et quelques jeunes éphèbes affamés ne suffisent pas. Bonello se refuse à entrer pleinement dans un univers qu’il tente pourtant de représenter et cela agace.
Il se dérobe constamment et manque de montrer comme il eut fallu la douleur du couturier. Une chose essentielle que Jalil Lespert avait réussi à mettre en scène dans son Yves Saint Laurent, lorsque Pierre Niney se retrouve attaché à un lit, pénétré à de multiples reprises et qu’il cherche désespérément le regard de son amant. S’il est communément admis que Jacques de Bascher était un adepte du masochisme, pour le montrer Bonello se contente d’un homme vêtu de cuir attendant que Louis Garrel se glisse en lui, sur ce qui ressemble à un lit d’examen gynécologique. Enfin, pour nous prouver que son Yves Saint Laurent n’était pas inculte, le réalisateur qui nous avait transcendé avec L’Apollonide : Souvenirs de maison close nous afflige ici de passages lus de lettres qu’ Yves aurait écrites à Andy Warhol et Jacques de Bascher. Épuisant.
Bien que tout laisse à penser que Bertrand Bonello connaissait parfaitement son sujet, on ne peut qu’être déçu de voir à quel point SAINT LAURENT est empli de sa propre personnalité. Car bien que son film soit à ranger parmi les biopics, il n’a pu s’empêcher de faire s’opposer une tentative vaine de naturalisme pendant les scènes de jour et une vision clippesque et un brin psychédélique de la nuit. Malheureusement, quelques ralentis et travellings ne sauvent pas le tout: on s’ennuie rapidement tant les interactions entre les acteurs sont théâtrales voire absurdes. Si au début le jeu de regard entre Louis et Yves est sensuel, au-delà de 30 secondes, on le trouve un peu ridicule. En particulier parce que leur corps ne font rarement qu’un. Leur passion est à peine tangible et ça, Bonello tente de le compenser avec une bande originale faite maison. Une idée qui aurait pu être pertinente. Tout comme les sauts dans le temps qui déroutent pendant la première partie du film et énervent le reste du temps.
Techniquement, on ne peut que reprocher à SAINT LAURENT son esthétique parfois faiblarde et peu originale. « La faute à Yves Saint Laurent et sa sortie antérieure » diront certains. Mais le fait est que jouer avec les décadrages ou rajouter des miroirs pour remplir le vide finit par se voir et que c’est rarement une bonne chose. Tout comme ces zooms qui choquent et cette lenteur qui en assommera beaucoup parmi nous, ainsi qu’un manichéisme à peine caché. Yves Saint Laurent est un génie qui se repose sur les autres. Pierre Bergé un homme d’affaires redoutable et superficiellement amoureux d’Yves. Quant à Jacques de Bascher, son délire faussement vulgaire s’en ira avec sa mort. Comprenez ici que le piquant des scènes de défonce disparaît dès lors que Pierre s’en mêle. C’est cet enchaînement logique des faits qui nous laisse, spectateurs médusés et à moitié endormis, avec un Yves dont l’âge et les troubles mentaux font peine à voir.
Plus personnel que Yves Saint Laurent, ce SAINT LAURENT version Bonello se révèle à la fois terne et décousu. Entre sauts dans le temps éreintants, lenteur affolante et choix de mise-en-scène très critiquables, le résultat est finalement très moyen. Comme si le réalisateur n’avait pas voulu aller au bout de ces idées, qu’il s’était censuré à de multiples reprises ou qu’il avait réalisé bien trop tard que l’on peut difficilement faire du beau avec du vide. Loin du tumulte cannois, SAINT LAURENT se pose là, entre déception et incompréhension.