Longtemps avec la saga cinématographique James Bond, commencée en 1962 avec Dr. No, on a pu noter le recours à une mécanique très précise. Les films suivaient les mêmes codes, se ressemblaient et apparaissaient dans un certain formatage, à la manière d’une série non-feuilletonnante. Comme Colombo, Mission Impossible ou Chapeau melon et bottes de cuir, se sont des épisodes tout à fait interchangeables entre eux – d’autant plus révélateur avec l’utilisation des génériques post introduction. On pourrait comparer cela aux adaptations au cinéma de Mission Impossible justement, dont chaque film peut être vu indépendamment des autres. Bien qu’on ressente une évolution des films, de plus en plus dynamiques et explosifs, le cahier des charges était respecté.
Depuis que Daniel Craig est devenu le visage de Bond en 2006, un changement drastique s’est opéré. Il ne s’agit plus tellement d’adapter un roman ou une nouvelle de Ian Fleming (dans la majorité des cas), mais plutôt de développer sur plusieurs films une adaptation de la mythologie Bond. Une série de films à caractère feuilletonnant donc, qui permet de faire le tour de la saga. Avec Casino Royale (avec le recul, selon nous le meilleur épisode de l’ère Craig), on découvrait les prémices de Bond. Pas encore un agent double zéro, James est alors une brute qui préfère cogner et ne réfléchit pas trop. Mais en plus des ficelles du métier qu’il apprend dans cet opus, James connaît la désillusion amoureuse, en développant des sentiments forts pour Vesper Lynd (Eva Green) qu’il perdra aussitôt. Élément déjà vu auparavant dans Au service secret de Sa Majesté (1969, où Bond assiste à la mort d’un être cher) et Les diamants sont éternels (1971, où Bond cherche à se venger de son meurtrier). Deux films qui formaient déjà une certaine continuité, presque inadéquate avec le format de films autonomes dans la saga à cet instant. Cette continuité faisait tout l’intérêt (si ce n’est le seul) de la suite de Casino Royale en 2008, Quantum of Solace le deuxième film avec Daniel Craig. Un film assez inégal mais où on voyait Bond faire une croix définitive sur son passé et basculer un peu plus vers son côté sombre, celui d’un homme qui abuse de l’alcool et enchaîne les conquêtes féminines. Soit le personnage découvert dès James Bond 007 contre Dr. No…
C’est finalement avec Skyfall (2012) que le plus gros de la mythologie de 007 fut mis en place. Si on y découvre la jeunesse obscure de Bond, on retient avant tout l’apparition des personnages secondaire qui l’entourent. Jusque là absente des radars de Daniel Craig, l’emblématique Moneypenny (Naomie Harris) se dévoile, tout comme Q (Ben Whishaw), le responsable des gadgets de Bond. Le symbole le plus fort viendra de M. Car en tournant la page Judi Dench, qui interpréta le rôle de GoldenEye (1995) à Skyfall, et en revenant à une représentation masculine de Q (Ralph Fiennes) – rattaché à un nouveau bureau à l’image de celui des premiers films -, Sam Mendes se replace dans les périodes les plus anciennes de la saga, les périodes pré-Pierce Brosnan.
SPECTRE arrive donc comme une conclusion d’une histoire (et une approche) entamée par Casino Royale. Le dernier élément de la mythologie à inclure étant évidemment l’ennemi ultime de Bond, la société terroriste secrète SPECTRE. Une conclusion qui nous ravit, tant cet opus se révèle être le film d’action attendu, mais également le James Bond le plus proche de ce qu’on espérait.
On retrouve en effet tous les éléments nécessaires pour faire un bon James Bond. Cela, dès la scène d’introduction, pré-générique, absolument remarquable. Un plan séquence (possiblement faux) virtuose composé de travellings en caméra à l’épaule puis sur grue. Sam Mendes utilise l’ensemble de l’espace pour nous plonger au cœur d’une fête des morts au Mexique. Le tout, parfaitement rythmé par la présence de percussions. Une séquence plutôt « calme », qui bascule en un instant dans de l’action spectaculaire. Ce spectaculaire est clairement la base de ce nouvel opus, dans un style moins réaliste que les précédents films mais justement parfaitement intégré au film. Au programme, combat au corps à corps dans un hélicoptère qui vole au dessus d’une foule, course poursuite en pleine montagne entre un avion et des voitures, et bien sûr fuite en Aston Martin (voiture mythique de la saga) blindée et équipée des gadgets habituels. Les scènes d’action sont grandioses et toujours dotées d’une pointe d’humour. Elles deviennent finalement assez improbables mais justement totalement assumées, aussi jouissives qu’impressionnantes, et fidèles à l’univers.
Le film d’action attendu, mais également le James Bond le plus proche de ce qu’on espérait.
Là où Skyfall nous avait déçu, c’était dans sa manière de se focaliser sur le passé de James Bond et de n’évoquer la saga que par des gentils clins d’œil adressés aux fans. SPECTRE a de son côté l’intelligence d’inclure tous les éléments, de prendre des symboles éparpillés dans les différents films et de les réinjecter dans l’intrigue – faisant ainsi tendre le film vers les épisodes plus formatés. On retrouve un digne héritier d’Oddjob ou de Requin avec l’homme de main interprété par l’ancien catcheur Dave Bautista (Les Gardiens de la galaxie). Une armoire à glace silencieuse mais violente et inarrêtable. Avec Franz Oberhausen (bien qu’a priori évident, on ne révélera pas ce qui se cache derrière ce personnage), en plus de révéler des zones obscures sur les origines de l’organisation SPECTRE, le film dispose d’un vrai méchant aussi monstrueux que fascinant. Bien que peu présent à l’écran, l’honneur revient évidemment à l’interprétation géniale de Christoph Waltz. L’unique relative déception du film vient finalement des bondgirls. Monica Bellucci ne sert que peu le film et n’apparaît qu’une dizaine de minutes. Léa Seydoux, quant à elle, avec un regard vide et une unique expression, a bien du mal à tenir tête à Daniel Craig (toujours aussi bon). Malgré des jolies tenues, on est bien loin du mélange de sensualité, de classe et d’élégance de ses prédécesseurs, comme Claudine Auger, Sophie Marceau ou Eva Green, toutes capable de retourner Bond (et nous) d’un simple regard.
Bien qu’un peu long (2h30 tout de même !), l’ensemble du film parvient à éclipser ce léger défaut. Jusqu’au bout SPECTRE nous captive. De par son scénario de film d’action ultra efficace, rythmé et éblouissant, mais surtout face à la suite incertaine des aventures de 007. On sent bien que la fin est proche tandis que SPECTRE parcourt les derniers éléments de sa mythologie. Daniel Craig pourrait s’arrêter là après avoir fait honneur au patrimoine de James Bond. Seulement qu’en sera-t-il de la saga après son passage ? Difficile d’imaginer une suite dans la même optique car SPECTRE ressemble fortement à la conclusion d’une intrigue développée durant quatre films. Le seul moyen serait de tourner définitivement la page et de retourner, avec un autre acteur, vers l’ancien format sériel, plus basique mais dont on reste nostalgique. D’autant plus possible qu’avec le trio Naomie Harris, Ben Whishaw et Ralph Fiennes, il y a désormais une base solide à de possibles épisodes futurs, comme l’était, par exemple, celle constituée par Bernard Lee (M), Desmond Llewelyn (Q) et Lois Maxwell (Monneypenny).
Pierre Siclier