[critique] Bad Lieutenant

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Affiche du film BAD LIEUTENANT

Un flic pourri et drogué accumule les dettes. Lorsqu’une nonne est violée par deux hommes dans une église, celle-ci place une récompense sur la tête des deux criminels. Le Lieutenant voulant payer les dettes qui mettent en danger sa propre vie, décide de rechercher les criminels, tel un chasseur de primes. Sa descente au enfer ne verra plus de fin…

Note de l’Auteur

[rating:10/10]

Date de sortie : 10 mars 1993
Réalisé par Abel Ferrara
Film américain
Avec Harvey Keitel, Frankie Thorn, Victor Argo
Durée : 1h 38min
Titre original : Bad Lieutenant
Bande-Annonce :

Bad Lieutenant est d’abord la description hyper réaliste d’une terrifiante descente aux enfers. Celle de ce si « mauvais lieutenant » donc, policier aux méthodes pas très légales, drogué, alcoolique, mauvais père de famille, et parieur invétéré. Tout au long du film, on suit ses errances dans New York, ville de tous les excès, de tous les péchés et de tous les crimes. En tant qu’homme de loi, il enquête à sa façon et se considère finalement au-dessus des lois : s’affirmant catholique, il use de pratiques finalement pas très catholiques, détournant de la drogue sur les lieux de crime pour la refourguer à des dealers, réglant les conflits un peu comme ça l’arrange… Ce personnage est incarné à l’écran avec une intensité folle et désespérée par Harvey Keitel, qui a visiblement mis tout ce qu’il pouvait dans ce rôle. Il est parfait dans cette incarnation à la fois rageuse et fragile, oscillant entre excès de colère et pleurs incontrôlés.

Photo (1) du film BAD LIEUTENANT

Pour rendre avec force la pente vertigineuse sur laquelle le personnage est en train de glisser et de s’effondrer à une vitesse démesurément folle, Abel Ferrara use d’une mise en scène incroyablement brutale dans le regard qu’elle offre sur la ville, lieu sale et désespérant, où évolue la lie de l’humanité. Par une image sans fioriture, il cadre un décor et des personnages très réalistes. Pour l’intensité du rendu, la légende dit que le tournage s’est d’ailleurs souvent fait à la sauvage, que les scènes de prises de drogues sont authentiques et que le dernier plan, où le personnage se fait assassiner dans sa voiture en pleine rue, est en prise de vue « réelle », filmant les véritables réactions des passants… et le spectacle est d’ailleurs effrayant, triste spectacle d’une humanité qui exhale la veulerie et l’indifférence.

Photo (2) du film BAD LIEUTENANT

Mais en filmant l’acheminement crasseux du lieutenant vers la mort, Ferrara en propose une vision étonnamment mystique. Des plans de Christ crucifié sont incidemment insérés au cœur de certaines séquences clé, mais c’est aussi les positions que peut prendre le personnage principal à plusieurs reprises qui évoquent cette figure christique du sacrifié ou du damné. On retient bien sûr essentiellement ce plan mythique, où Harvey Keitel nu, drogué et débauché auprès de prostituées, s’avance les bras en croix en se mettant à pleurer. Alors, le « bad lieutenant » serait donc un Jésus moderne ? Tout n’est cependant pas si simple. Si le Christ biblique fréquentait lui aussi plus volontiers les hommes et les femmes des bas-fonds, les voleurs, les prostitués et tous les marginaux qu’il pouvait trouver, il ne participait pourtant pas lui-même à leurs débauches (du moins, à ce qu’on en dit). Pourtant, notamment par le biais de l’histoire d’une nonne violée sur un autel par deux jeunes voyous, on s’apercevra que le personnage de Keitel possède un pouvoir proche de celui de Dieu. Comme la bonne sœur qui parvient à pardonner à ses agresseurs, il finira en effet par faire comme elle, et même à aider les criminels à s’en sortir. Ce sera le dernier effort vers la rédemption, le dernier geste salvateur de cet homme qui vivait jusque là dans les ténèbres. Il peut désormais mourir, élevé enfin par la grâce de ses derniers instants, capables de racheter toute une vie.

Photo (3) du film BAD LIEUTENANT

Contre toute attente, Ferrara signe peut-être là un film profondément et indiscutablement chrétien, loin de l’hypocrisie de ceux qui ne conservent de la religion que son apparat et ses rituels.

Contre toute attente, Ferrara signe peut-être là un film profondément et indiscutablement chrétien, loin de l’hypocrisie de ceux qui ne conservent de la religion que son apparat et ses rituels. On pourrait ainsi le rapprocher de La Dernière Tentation Du Christ de Martin Scorsese, qui fut très mal interprété à sa sortie et qui fut condamné pour de mauvaises raisons. Scorsese a d’ailleurs très bien évoqué le film de Ferrara : « C’est un film clef, j’aurais aimé que La Dernière Tentation Du Christ lui ressemble. Mais je n’ai pas obtenu certaines images, sans doute parce que je traite directement de l’image du Christ. […] C’est un film exceptionnel, extraordinaire, même s’il n’est pas au goût de tout le monde. […] C’est également un film pour lequel j’ai la plus grande admiration. On y voit comment la ville peut réduire quelqu’un à néant et comment, en touchant le fond, on peut atteindre la grâce. C’est le film new-yorkais ultime. […] Si on ose, il faut suivre le personnage jusque dans la nuit. C’est pour moi l’un des plus grands films qu’on ait jamais fait sur la rédemption… Jusqu’où on est prêt à descendre pour la trouver… »

Photo (4) du film BAD LIEUTENANT

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alainrobert
alainrobert
Invité.e
13 juillet 2012 17 h 45 min

Impressionnant que l’on puisse écrire un pamphlet tel que celui-ci, si jeune…Et tout à fait d’accord ! ;-)

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