BASTILLE DAY arrive sur nos écrans quelques mois après les attentats qui ont visé les lieux de fête non loin d’une autre place iconique de Paris celle de la République. Deux jours après sa sortie, un tragique attentat à Nice réactive l’effroi qui nous a saisi lors des attaques du 13 novembre. Avec un synopsis rappelant ces événements, quelles réactions a-t-on devant ce divertissement ?
L’histoire : Sean Briar (Idris Elba), un agent de la CIA mis au placard à Paris après un incident en Irak, arrête le suspect d’un attentat à la bombe, Michael Mason, un pickpocket américain paumé à Paris.
Le contexte de sortie de BASTILLE DAY diffère sensiblement de celui de Made in France. La sortie de ce dernier était prévue quelques jours à peine après les attentats de Novembre, or l’histoire relatait précisément la radicalisation de jeunes français puis leur passage au terrorisme dans un style réaliste qui entrait en résonance avec les tragiques événements. L’attentat de Nice, aussi meurtrier soit-il, arrive lui deux jours après la sortie de BASTILLE DAY.
Le terrorisme dans BASTILLE DAY n’est pas le sujet central, il est un point de départ de l’intrigue qui s’en éloigne ensuite, permettant de recevoir à la fois l’œuvre comme un divertissement malgré le contexte anxiogène, et comme une réflexion sur ce qui participe à ce climat de terreur. Si la piste terroriste après l’attentat est évidemment suivie par les protagonistes, très vite elle mène à une organisation qui puise ses racines dans des institutions officielles. Un twist qui, au-delà de la simple technique scénaristique, permet de faire passer les terroristes dans la catégorie de voyous.
C’est le même changement qu’avait opéré en son temps McTiernan lorsqu’il avait été embauché pour mettre en scène Die Hard (Piège de cristal). Le célèbre building devait en effet être attaqué par des terroristes, mais McTiernan trouvait que cette dimension politique empêchait au public de s’amuser. Il préféra donc faire de cette identité un masque sous lequel les cambrioleurs avançaient.
Le scénario de BASTILLE DAY reprend à son compte cette mécanique. Au premier quart d’heure qui glace d’un sentiment d’effroi entourant l’explosion à proprement dite, succède une évolution dans l’enquête qui arrive rapidement à la conclusion que « quelque chose cloche », avant de nous révéler l’identité réelle des soi-disant « terroristes. »
A ce moment, le film fait clairement un saut qualitatif dans son propos. En nous menant sur la fausse piste d’islamistes dans un contexte pré-électoral en faveur d’un parti d’extrême droite (« toute ressemblance avec la réalité serait fortuite »), BASTILLE DAY interroge clairement le terme même de « terroriste. » S’il s’agit bien à proprement parler de « terroriser » la population, on est en droit de se demander à qui profite le crime. Tout en ne quittant jamais l’action sèche menée par Idris Elba, l’histoire développée par BASTILLE DAY soulève les tensions entre l’État, la question sécuritaire, les partis politiques, les médias, les forces de police, les militants radicaux… et même Anonymous, dont la parodie est assez drôle d’ailleurs.
Le film est d’autant plus fort en France dans le contexte qui suit la répression des manifestations contre la Loi Travail, la mobilisation Nuit Debout et la polémique autours des casseurs. On se rappelle en effet que le gouvernement fut accusé de « laisser faire » ces groupes marginaux pour décrédibiliser le mouvement de contestation. Fausses images et vrais complots constituent le canevas du scénario de BASTILLE DAY qui se trouve être un miroir troublant de notre société actuelle, terrorisée au sens premier du terme, mais peut-être pas par ceux qu’on croit.
BASTILLE DAY n’est donc pas Made in France. La question n’est pas de savoir pourquoi des cinglés tuent des innocents, mais que fait on de cette obsession sécuritaire une fois qu’elle s’installe ? A qui donnent-on tous ces pouvoirs exceptionnels ? Alors qu’à la suite de l’attentat de Nice, le gouvernement vient de proposer de prolonger (encore) l’État d’urgence, une Loi accompagnée d’autres restrictions de libertés individuelles, le film traite très exactement de cette escalade sécuritaire. Plutôt que d’être un rappel douloureux de l’attentat en lui-même (comme Made in France), BASTILLE DAY en explore les conséquences sur le débat démocratique. A sa dimension de divertissement s’ajoute donc un fil rouge réflexif qui le rend totalement légitime, même dans le contexte de deuil national qui suit le tragique attentat de Nice.
« BASTILLE DAY est donc un film d’action à la structure sans grande originalité, mais efficace grâce aux thématiques soulevées et sa capacité à nous faire réfléchir tout en nous amusant. »
Mis dos à dos, Made in France et BASTILLE DAY, permettent également de comprendre le hiatus majeur entre le cinéma américain et le cinéma français. Après avoir vu BASTILLE DAY j’ai compris rétrospectivement l’obsession du cinéma populaire français de la « reconstitution », du « véridique » ou du « vraisemblable. » Le cinéma de divertissement américain de son côté a depuis longtemps évacué la notion de réalisme au profit d’une sublimation du réel. Au-delà d’une mécanique du récit plus efficace, les films américains tendent ainsi davantage à l’universalisme que la plupart des films de divertissement français, souvent prisonniers d’un particularisme ou d’un soucis de reconstitution historique.
Au sujet de Made in France, je me souviens que Nicolas Boukhrief insistait sur ses recherches et infos personnelles issues du renseignement et en même temps tenait à ce qu’on prenne son film pour un « polard », c’est à dire que les spectateurs se reconnaissent davantage dans la forme du genre que dans le fond du film. Sauf qu’on ne va justement pas voir un film de divertissement répondant aux codes d’un genre pour être mis nez-à-nez avec le réel, surtout lorsqu’il est aussi effrayant que le terrorisme. On cherche bien souvent dans un film de genre à ce qu’il transcende notre expérience quotidienne, pas qu’il la reproduise à l’identique.
Si Made in France avance autour d’une idée qui finit par se répéter, donc lasser (la jeunesse désabusée explique le radicalisme), BASTILLE DAY malmène son message initial pour mieux duper son spectateur. Le résultat est que même s’il s’agit d’un film d’action, il invite à réfléchir avec lui, plutôt que d’imposer un point de vue soit-disant « véridique. » Comme bien d’autres films populaires avant (Die Hard en tête) on a vraiment l’impression que les scénaristes de BASTILLE DAY se sont amusés à disserter sur leur sujet en prenant le contrepied de ce qu’ils mettaient en avant précédemment, sur le modèle : thèse, antithèse, synthèse.
Ce n’est pas pour rien qu’outre-atlantique la structure en trois actes est presque sacralisée. Il y a comme une affinité électives entre le développement de l’intrigue et la réflexion thématique qui l’accompagne. Dans BASTILLE DAY les personnages évoluent très peu, mais notre regard sur le contexte de leur action, lui, change à mesure qu’on se représente le tableau global.
Les personnages, s’ils sont assez fonctionnels, disposent tout de même d’une certaine profondeur, bien qu’elle tienne plus de l’ironie que d’une quelconque analyse psychologique. Les scénaristes s’amusent même à tourner en dérision la notion de back story, et réaffirment l’idée très américaine qu’un personnage est ce qu’il fait, non ce qu’il dit.
BASTILLE DAY est donc un film d’action à la structure sans grande originalité mais efficace grâce aux thématiques soulevées et sa capacité à nous faire réfléchir tout en nous amusant. Si le dénouement est somme toute attendu et le twist final assez convenu, le film distille chemin faisant des éléments d’une réflexion politique plus large que le simple et rébarbatif dilemme liberté vs. sécurité. Le dernier acte est même l’occasion à un pied-de-nez jubilatoire avec l’histoire française, où notre obsession de Révolution permanente finit par légitimer un retour à l’ordre conservateur. En somme, laisser le peuple croire qu’il a changé les choses pour que rien ne change.
Au niveau de la forme, l’objet filmique est également réjouissant. L’action mène toujours le film, quelle soit de l’ordre de la baston ou de vols d’objets clefs. On pense avec joie à Pickpocket de Robert Bresson dans ce qui finalement restent les meilleurs scènes du film en terme de pure réalisation. James Watkins (auparavant La Dame en noir) recycle avec intelligence ses références cinéphiles dans ces pastilles savoureuses. Le reste de la mise en scène se focalise sur les jeux de regard et la tension crée par des éléments du décors et accessoires utilisées judicieusement, à l’image d’un Mission Impossible : Rogue Nation.
Contrairement à ce que dit un des personnages, Paris, dans BASTILLE DAY, n’est pas juste la ville du vin rouge, du romantisme et du luxe. Receleurs planqués dans des épiceries à Barbes, course-poursuite dans un marché couvert ou fusillade à Saint-Ouen, le réalisateur évite avec justesse l’énumération de cartes postales et donne à voir un autre aspect de la capitale finalement peu mis en avant. Étonnamment peu de monuments iconisent la ville (ou du moins on passe vite dessus via une vue aérienne nous donnant plus l’impression d’être dans n’importe quelle ville américaine de thriller). Cet aspect ainsi que l’usage intelligent du français et de l’anglais donnent un cachet anticonformiste à cette super-production au casting AAA.
Le changement entre le français et l’anglais est toujours légitimé par l’intrigue ou les personnages, c’est une contrainte qui a été apprivoisée durant l’écriture. Le français a une place conséquente et n’est pas juste le détail cosmétique chic. Avec une production totalement bilingue et un Paris qui sent autant le kébab que le Chanel n°5 on se dit que BASTILLE DAY met à mal plus d’une idée reçue qui paralyse nos producteurs. De ce côté-ci de l’Atlantique le public serait incapable de lire des sous-titres, de l’autre côté n’importe quelle autre langue que l’anglais signifie un échec au box-office. BASTILLE DAY montre qu’on peut allier testostérone et neurone, sans que ce soit pour autant le fiasco annoncé.
La présence d’un acteur noir dans le rôle titre devrait aussi nous inciter à un peu plus de courage dans la distribution des rôles de héros. Dernier déboulonnage, les étiquettes acteurs comique/tragique. José Garcia est excellent en patron de la DGSE, avec un mélange réussi du Colonel Landa (Christopher Waltz) et Tony Stark (Robert Downey Jr.) ! Charlotte le Bon et José Garcia étonnent par leur parfaite maîtrise de l’anglais (à l’écran du moins) et la justesse de leur jeu, malgré certaines répliques un peu touchy. Les dialogues sont effectivement le point faible du film, mais s’intègrent remarquablement bien dans le feeling global.
Avec ses emprunts cinéphilies discrets et par sa relecture très actuelle de thèmes classiques, BASTILLE DAY va au-delà du divertissement estival. Film d’action à la recette efficace et intelligent, BASTILLE DAY acquiert au sein du cadre restreint du thriller/action à gros casting, un supplément d’âme grâce à sa réflexion et ses choix « risqués. » Des « petits plus » qui le font passer de la catégorie « production Besson au rabais » à « divertissement pertinent et ambitieux. »
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