• Réalisation : Danièle Thompson
• Acteurs principaux : Guillaume Gallienne, Guillaume Canet, Alice Pol
• Durée : 1h54min
« Tu es tellement doué Paul… mais parfois tes personnages n’expriment rien ». Cette réplique solennelle d’Émile Zola à Paul Cézanne révèle parfaitement le paradoxe fondamental sur lequel repose CÉZANNE ET MOI.
Sur le papier c’est un projet d’une belle envergure : deux biopics en un, deux grandes figures de la culture française, la reconstitution du XIXe siècle, le conte d’une amitié de toute une vie, des amours, et toute l’histoire de L’art avec un grand H et un grand A en toile de fond ! Tout cela valait donc bien un casting prestigieux, Guillaume Gallienne de la comédie française et Guillaume Canet, acteur, scénariste et réalisateur qu’on ne présente plus. Malheureusement, pour CÉZANNE ET MOI le constat est extrêmement amère. Danièle Thompson aura vu grand, trop grand et elle rate son film faute d’avoir su le canaliser et de le pourvoir de l’essentiel : une histoire.
Impossible à pitcher, CÉZANNE ET MOI se fourvoie radicalement sur ce qu’il est. Bien loin de son ambition de retracer une amitié entre deux hommes, deux artistes, ou même d’en brosser un portrait biographique, le film se perd dès le départ dans une absence totale de scénario (entendre par là une intrigue, un enjeux, un intérêt quelconque). Au programme pendant 1h 50, un imbroglio de séquences inextricables entre Aix en Provence et Paris où l’on se perd à force d’essayer de compter le nombre de cheveux qu’il reste à Guillaume Gallienne pour situer si nous sommes dans le passé lointain, le passé moins lointain ou le présent…
De toute manière, dès la première demie-heure, force est de constater que nos efforts sont vains puisque finalement l’époque importe peu. De la prime jeunesse à l’orée de la mort, les personnages de CÉZANNE ET MOI n’auront pas bougé d’un iota ; hier, avant hier ou aujourd’hui… On décroche ! Danièle Thompson n’aura décliné qu’un seul et même trait de personnalité de Zola et son ami, et répété indéfiniment la même discussion dans les mêmes prérogatives, et ce dans toutes les scènes. Ainsi, l’engueulade d’il y a 30 ans est la même qu’aujourd’hui, la voix un peu plus chevrotante seulement.
Le problème de Danièle Thompson semble de n’avoir pas su choisir un angle, ou plus précisément de ne pas avoir su renoncer aux autres.
On est pourtant en droit d’attendre de la part d’un grand film historique comme celui-ci, des personnages, des nuances, une évolution, un portrait psychologique un tantinet travaillé. Mais ici la réalisatrice n’a pas su le faire, et cette impasse est désastreuse. Les héros souffrent terriblement de leur monochromie et d’une absence de dynamique. Résultat, on ne s’attache à personne et on sombre dans l’indifférence la plus totale.
CÉZANNE ET MOI semble avoir misé sur l’écriture des dialogues qui se veulent pointus, précis et théâtraux. Mais là encore l’ambition est démesurée et enfonce le film au lieu de le sauver. On ne comprend rien, on se perd une fois de plus dans une logorrhée tout ce qu’il y a de plus factice. Les personnages ne se parlent jamais, ils déclament, s’affrontent et discourent. On assiste à presque deux heures de digressions imbuvables et surjouées par des comédiens qui embrassent leurs rôles avec passion et un investissement que la réalisatrice pourra amplement saluer, mais qui brassent de l’air. Aussi vaillant et talentueux qu’ils soient, les acteurs ne pourront jamais pallier à des personnages mal écrits, une absence d’histoire et de direction.
Le problème de Danièle Thompson dans ce film semble de n’avoir pas su choisir un angle, ou plus précisément de ne pas avoir su renoncer aux autres. Elle a voulu tout traiter avec comme postulat l’amitié de deux artistes, mais par excès de zèle (peut-être), et d’ambition (surement), elle s’est éparpillé et est passée à coté de l’essentiel : la matière psychologique et l’intrigue. Le comble de CÉZANNE ET MOI est qu’il jouit d’une belle production, les décors sont superbes, les costumes grandioses et la lumière et l’image sont chiadées et en cela il est très inconfortable pour le spectateur de ressentir l’ennui qui l’écrase car il génère un malaise. Il y quelque chose de révoltant d’être face à tant de possibilités scénaristiques, dans des conditions de productions idéales et de n’en tirer qu’un résultat aussi en deçà de tout ce qu’on aurait pu imaginer.
Émile Zola ou Paul Cézanne avaient à eux deux de quoi offrir des biopics passionnants, mais personnages trop gros ou projet trop grand pour Danièle Thompson, le destin de ces deux artistes paraît tristement insignifiant dans CÉZANNE ET MOI.
Sarah Benzazon
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