[dropcap size=small]K[/dropcap]inji Fukasaku, avant LE CIMETIÈRE DE LA MORALE a réalisé de très bons films de commande sur le sujet de la pègre Japonaise.
Ces longs métrages appartenaient au genre Yakusa-Eiga, un classique du divertissement cinématographique au pays du soleil levant : leurs scénarios se situaient d’ordinaire dans une période située avant la Seconde Guerre mondiale, mais traitaient déjà de sujets contemporains, comme l’influence de l’Occident, généralement sous la forme d’un honorable hors la loi déchiré entre des valeurs contradictoires (devoir et sentiments personnels).
Avec Combat sans code d’honneur en 1973 et ce CIMETIÈRE DE LA MORALE en 1975, le réalisateur entreprend de révolutionner le genre, en proposant une vision novatrice et inédite du Yakusa : celle d’un bandit sans honneur, individualiste et lâche, symbole d’un Japon en perte de repères.
Ainsi, passée une présentation très documentaire rappelant que ce film est inspiré de personnages réels et qui permet d’inscrire notre « héros » Ishikawa en tant qu’homme dans l’histoire du Japon ainsi qu’ en tant que yakuza dans l’histoire de la mafia japonaise,
le film commence.
Là, surprise.
En lieu et place du classicisme attendu, promis par ce prologue bien littéraire et pédagogique, le film adopte une forme qui se rapproche de celle du nouvel Hollywood :
Le montage est nerveux, la caméra s’agite dans tous les sens mais reste étonnamment précise. La violence est très présente, mais sèche, sans éclats. Le résultat est d’un réalisme indéniable.
Pour ramener à quelque chose d’occidentalement identifiable, cela fait penser au Scorsese de Mean Streets. On retrouve également quelques gimmicks « empruntés » par Tarantino, comme ce génial arrêt sur image, pour présenter un personnage ou mettre en exergue une situation particulièrement dure, ou ces changements subits de tonalités visuelles.
Ces différents codes esthétiques et formels, par le prisme de l’inconscient collectif, sont de facto associés à l’univers des gangsters. Ils permettent une identification immédiate et donnent au film une aura intemporelle, indépendamment du contexte culturel.
Ishikawa y est un yakusa sans morale.
Poseur, brutal, ambitieux… Ishikawa pille, poignarde et viole sans états d’âme, sans même, d’évolution psychologique ; tous constatent son caractère ingérable mais personne ne se résout à le contrôler, voire le supprimer.
Le gang yakuza dont il fait partie possède comme les autres, un code d’honneur qui, privilégie la punition à l’exclusion : cette mafia ne reniera jamais l’un de ses membres, même s’il est l’instigateur des pires catastrophes.
Une vision proprement fascinante d’un Japon empreint d’honneur, finalement assez archaïque, confronté à la logique très matérialiste et individualiste, d’Ishikawa.
Il est toutefois intéressant d’envisager le comportement d’Ishikawa comme une extrapolation du mal capitaliste qui ronge subtilement la société japonaise, notamment ces fameux yakuzas. Car LE CIMETIÈRE DE LA MORALE permet également de constater l’état complexe d’un pays cherchant à se relever de la très récente seconde guerre mondiale et du désastre de la bombe, qui à prouvé la domination occidentale / américaine et causé un bouleversement de certitudes culturelles.
L’opinion publique, en plein questionnement identitaire, ne perçoit des yakuzas que leur nature organisée et familiale marqué par le respect et l’honneur, occultant volontairement ses nombreux commerces illégaux…
Le peuple est même prêt à suivre certains gangs dans un paradoxal mouvement politique !
Hors ce sont ces mêmes yakuzas qui profitèrent du chaos amené par la guerre pour s’enrichir grâce aux trafics de drogues et d’armes, d’humains via la prostitution, trafics rendus possibles notamment grâce à l’occupation américaine.
Ils profitèrent également pour acquérir des terrains en toute illégalité, lorsque les actes de propriétés furent perdus ou détruits dans le conflit mondial.
Leur alliance avec les politiciens et la police pour combattre les mafias étrangères chinoises et coréennes, fut un moyen supplémentaire d’asseoir leur main mise sur ces marchés via une corruption de plus en plus présente.
”LE CIMETIÈRE DE LA MORALE est une fascinante vision de la dualité du Japon d’après guerre : entre héritage culturel et percée du capitalisme.”
La morale en perdition du titre est donc autant symbolisée par l’individualisme cupide d’Ishikawa, que par ce capitalisme phagocytant les codes yakuzas, finalement assez hypocrites et emplis de contradictions ; les guerres de propriété qui en découlent, l’association contre-nature avec les américains.
Ishikawa, finalement, endosse métaphoriquement, par son comportement amoral et autodestructeur, la responsabilité de tous les maux de cette société préalablement pervertie.
Fukasaku, nous montre aussi sa vision de la jeunesse japonaise ;
Jeunesse qui dans ce film, par manque de repères et de principes, cherche chez les gangs mafieux une famille de substitution et surtout l’accès à une forme de reconnaissance sociale.
Les promesses de richesse à travers l’illégalité via l’appartenance à une « famille » et cette notion de respect mutuel, paraissent bien plus intéressants que la réussite par l’effort et une existence solitaire.
Hors ce n’est que poudre aux yeux : le destin d’Ishikawa, personnage lâche, cupide et autodestructeur (il finira drug-addict, renié et mourra sans honneur), est l’embryon des différentes générations décrites dans les films toujours très politisés de Kinji Fukasaku. De Kamikaze Club à Battle Royale, en passant par ce CIMETIÈRE DE LA MORALE;
Le film est donc un chef d’oeuvre du film de gangster, impressionnant par sa forme si actuelle, mais également par sa description d’une époque charnière dans l’histoire sociale du japon.
C’est aussi le portrait fascinant d’un bad guy incurable, symbole du capitalisme corrompant le si-respectable honneur japonais.
[divider]CASTING[/divider]
• Titre original : Jingi no hakaba• Réalisation : Kinji Fukasaku
• Scénario : Kinji Fukasaku
• Acteurs principaux : Tetsuya Watari, Tatsuo Umemiya, Yumi Takigawa
• Pays d’origine : Japon
• Sortie : Sortie DVD : 1 janvier 2012
• Durée : 1h34min
• Distributeur : Wild Side
• Synopsis :Au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, un yakuza devient totalement incontrolable. Ces incidents sont sur le point de faire naître une guerre de gangs.
[divider]BANDE-ANNONCE[/divider]