• Réalisation : Florian Gallenberger
• Acteurs principaux : Emma Watson, Daniel Brühl, Michael Nyqvist
• Durée : 1h50min
Comme tout Potterhead qui se respecte, impossible de parler de ce COLONIA sans aborder la présence d’Emma Watson en tête d’affiche. Car l’actrice est devenue, grâce à la licence Harry Potter, l’une des représentantes les plus importantes de la génération Y (nés entre le début des 80’s et le milieu des 90’s), ce que Watson exploite pleinement dans certains films comme The Bling Ring, ou qu’elle met à profit, de façon personnelle ou à travers des projets artistiques, pour faire passer des messages et défendre des causes. Féministes, culturelles, ou humanitaires.
C’est ainsi cette confiance en ses choix et notre attachement à son aura qui nous ont incité à découvrir ce COLONIA. Un film qui à défaut de nous convaincre, nous à permis de nous intéresser à une période de l’Histoire que nous connaissions mal.
1970: Salvador Allende est élu président du Chili.
Il met alors en place un régime socialiste (= communisme dans un contexte de Guerre Froide) qui s’avérera peu florissant mais pacifiste; un régime accessoirement favorable à l’expropriation de grandes compagnies américaines exploitant la richesse première du pays, le cuivre. Comme ça fait beaucoup quand même, les U.S.A. mettront officieusement en place un coup d’état qui, le 11 septembre 1973, renversera le président Allende pour le remplacer par le général Pinochet. Un coup à double tranchant puisque Pinochet mettra immédiatement en place une dictature militaire censurant toute contestation et n’hésitant pas à torturer et/ou faire disparaître les opposants au régime. Une dictature dont la violence fut vite reconnue sur la scène internationale, mais dont la politique économique maintint le Chili dans l’économie mondiale avant de relancer, après une grande période de récession, la croissance du pays.
COLONIA, observe alors cet environnement politique d’un point de vue périphérique mais riche en informations sous-jacentes, en situant son action dans la Colonia Dignidad. Si la mission officielle de ce lieu fondé en 1961 par des expatriés allemands est l’accueil et la guérison d’ « ames perdues », il se révélera être, sous Pinochet, une sorte de secte religieuse en autarcie doublée d’une fabrique d’armes pour la junte militaire, ainsi que d’un lieu de torture pour les opposants au régime. À sa tête, Paul Schäfer. Un personnage décrit et suggéré dans le film, comme schizophrène, manipulateur et pédophile (et interprété en conséquence par un Michael Nyqvist hautement cabotin). Bien que cela ne soit jamais explicitement précisé dans le film, Schäfer fut – d’après wiki – un soldat SS exilé au Chili; une piste de lecture tout à fait passionnante, non seulement d’un point de vue psychologique et comportemental (Schäfer façonne avec la Colonia Dignidad, son petit IIIème Reich personnel, avec ce que cela compte de droit de vie, de mort, et d’exploitations en tous genres de l’autre), mais également politiquement parlant puisque cela atteste des relations diplomatiques et économiques entre le Chili et l’Allemagne qui, au même titre que l’Autriche ou le Royaume Uni, est le principal fournisseur d’armes de la dictature de Pinochet.
Daniel, le personnage (fictif) interprété par Daniel Brühl, est quant à lui un journaliste-photographe participant à son échelle aux manifestations pro-Allende / anti-Pinochet. Repéré par la DINA (la milice de Pinochet), il sera torturé puis fait prisonnier dans la Colonia Dignidad. Le film suivra donc le périple de son « amoureuse » Lena (Emma Watson), pour le retrouver, le libérer de sa captivité, et ainsi rendre publiques les atteintes aux droits et libertés de l’Homme menées par la dictature de Pinochet à travers l’établissement de Schäfer.
TOUTEFOIS, il ne faut que 5 minutes à COLONIA pour réduire à néant sa passionnante substance tout en détruisant toutes nos attentes. En cause, la première rencontre Daniel Brühl / Emma Watson. Un moment en apesanteur où le temps semble subitement s’arrêter, pour que les deux tourtereaux puissent fendre une foule en pleine Revolución et se donner ce genre de bisou de conte de fées que l’on ne voit qu’au cinéma, avec un soleil crépusculaire en fond, la caméra qui tourne autour des acteurs et une musique orchestrale. Un instant d’une insupportable mièvrerie immédiatement complété par un ersatz de romance, constituée de lieux communs (compliments physiques, pelotages sur fond de jazz sensuel, compliments matinaux, courses-poursuites-chatouilles, compliments artistiques, etc.) et sensée nous faire croire en l’Amour Fou existant entre ces deux là.
Il y a sans doute un peu de mauvaise foi dans cette description, mais ces premières minutes posent tout de même les bases qui serviront de modèle à toutes les scènes du film: COLONIA, construit ses décors, ses péripéties, ses personnages et les interactions existant entre eux, sur une utilisation répétée du « cliché », les rendant ainsi plus cinégéniques que réalistes.
« On aurait bien vite oublié Colonia si ce n’était Emma Watson et son aura… »
Le véritable problème est que cela génère une exponentielle perte de crédibilité. Si nous ne croyons pas en leur histoire d’amour, nous ne pouvons pas ressentir d’empathie envers les motivations de Lena pour retrouver son homme. Les épreuves qu’ils traverseront tous deux (asservissement et tortures quand même) nous paraîtront triviales, et le double jeu nécessaire à leur survie d’autant plus ridicule quil nous semble inutile. Quant aux antagonistes du film (la junte militaire de Pinochet, la Colonia Dignidad, Schäfer), ils sont également définis par des clichés cinématographiques ainsi qu’un certain manichéisme. Si leur crédibilité est donc déjà défaillante, ils ne représentent pas non plus un danger pour l’ (inexistante) relation Lena/Daniel, de même que l’inverse est également vrai. Trop de clichés, pas de crédibilité. Pas de crédibilité, pas d’empathie. Pas d’empathie, pas de suspense, pas d’intensité, pas d’investissement émotionnel, pas de divertissement, et l’amère sensation d’un énorme foutage de gueule.
Alors que les intentions de COLONIA semblent sincères, la réalisation et l’écriture trop peu sérieuses rendent le film opportuniste en troquant toute réflexion vis à vis du contexte bien réel dans lequel l’action prend place, pour un assemblage sans saveur de symboles déjà-vus partout ailleurs. Malheureusement cela affecte la représentation du réel : comment le film peut-il nous convaincre de la gravité de cette période s’il ne parvient pas à la rendre palpable ?
Le devoir de mémoire, la cause à défendre, le point de vue engagé, un compte rendu de l’état du monde… Tout cela s’efface devant cette exploitation sans intelligence du « cachet réalité » incapable de trouver une résonance dans les destins des protagonistes. C’est ultra-dommage.
Heureusement pour COLONIA ou malheureusement pour elle, il y a Emma Watson.
Si de base nous avouons systématiquement succomber à son charme, et s’il faut reconnaître son investissement total dans son personnage (pourtant écrit à la truelle), c’est surtout que sa présence affecte notre objectivité en faisant intervenir un certain capital sympathie absolument indépendant de notre perception du film. C’est précisément cela qui nous incite à parler plus que de normal d’un film cinématographiquement raté comme COLONIA. Emma Watson, à défaut de gommer totalement son image d’ « Hermione » tel un « Jack » DiCaprio chez Scorsese, y devient, peut-être malgré elle, une fantastique porte d’entrée vers un pan de l’Histoire relativement oublié. C’est déjà ça.
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