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[CRITIQUE] CORPS ÉTRANGER

Pour son dernier film, CORPS ÉTRANGER, Raja Amari explore audacieusement l’exil et l’intégration à travers le désir qui circule entre ses personnages.

Rares sont les premières images saisissantes d’un film qui glacent d’entrée le spectateur et restent longtemps dans ses esprits. C’est le cas de CORPS ÉTRANGER, quatrième long métrage de la réalisatrice tunisienne Raja Amari. La première scène filmée au ralenti est très réaliste, donne le ton et le sujet du film: le corps. Le son produit par les corps des migrants qui tombent dans l’eau et se noient, s’agrippant maladroitement aux pieds de ceux qui savent nager, est effrayant. CORPS ÉTRANGER embarque alors le spectateur dans le quotidien français de Samia/Sara Hanachi, jeune héroïne débrouillarde et volontaire, qui s’en est sortie. Sur son chemin, deux anges gardiens, dont le parcours est proche du sien, vont l’aider. Eux aussi ont traversé la Méditerranée quelques années auparavant et se sont bien intégrés en France.

Photo du film CORPS ÉTRANGER

Car CORPS ÉTRANGER est un film qui traite subtilement de l’exil, de l’intégration, mais aussi du renoncement. Les exilés déracinés évoquent souvent la douleur et le terrible manque de leur pays abandonné. Tel un membre absent de leur corps et de leur vie, ils doivent apprendre à en faire le deuil, ne sachant pas s’ils pourront y revenir un jour. Certains choisissent de continuer à perpétuer les traditions et la culture de leur pays natal, mais se retrouvent souvent écartelés entre leur passé et leur présent. C’est le cas de Imed/Salim Kechiouche (La vie d’Adèle), un ami du frère emprisonné de Samia. Le jeune homme se veut protecteur envers elle, lui trouve un logement et lui explique comment vivre au mieux sa clandestinité. Bien adapté, il accorde toujours beaucoup d’importance à sa religion.

Mais ses retrouvailles avec Samia le confrontent à la lutte de la jeune femme contre son passé religieux, à sa volonté de s’affirmer et de s’affranchir du poids de sa culture et du regard d’autrui. De son personnage masculin, la réalisatrice, rencontrée avec Salim Kechiouche et Hiam Abbass au Festival Francophone du Film d’Angoulême, dit qu’il « incarne quelque chose d’une jeunesse perdue, comme ces nombreux jeunes hommes pétris de convictions, avec leurs ambiguïtés et leurs contradictions, qui vivent dans un déchirement et se cherchent une voie ».

L’interprétation tout en nuances des acteurs donne à CORPS ÉTRANGER, beau film non conformiste, une énergie qui galvanise autant le spectateur qu’elle le bouscule dans ses certitudes.

D’autres exilés choisissent de rompre brutalement avec leur passé, parfois même en le reniant, pour mieux se fondre dans le présent. Ainsi Madame Bertaud/Hiam Abbass (Une vie syrienne), que le hasard a mis sur le chemin de Samia. Veuve esseulée, elle a besoin de quelqu’un pour l’aider à faire le tri des vêtements de son défunt mari et elle se propose de loger Samia. Car avant de devenir Madame Bertaud, elle s’appelait Leïla. Elle s’était échinée à faire disparaître toute trace de sa vie d’avant et la rencontre avec Samia ravive cette partie de sa vie.
L’une des réussites de CORPS ÉTRANGER est de montrer de quelle manière chaque membre de ce trio détonnant se transforme au contact des deux autres. Car la réalisatrice Raja Amari s’intéresse « aux failles des personnages qui sont en transformation, notamment aux personnages féminins forts, qui prennent leur destin en main vers une libération intime ou sociale ».

Photo du film CORPS ÉTRANGER

Elle a choisi de ne pas traiter frontalement la question politique de l’exil et de l’immigration. Elle a préféré l’aborder dans une mise en scène plus audacieuse et originale, en rapport « avec la circulation du désir entre les personnages et leurs corps étrangers« . CORPS ÉTRANGER est en effet un très beau film sur l’expression du désir de ces trois personnages. Ils se tournent autour, s’apprivoisent, se désirent, se séduisent, essayent de se comprendre, souffrent, font des choix. Samia accepte pleinement sa féminité et apprend à en jouer, quand Leïla s’autorise à se réapproprier son corps après son deuil. Salim Kechiouche dit de son personnage « qu’il est plus déstabilisé qu’affaibli par ce désir et par le monde qui avance, représenté par ces deux femmes fortes« .

L’acmé de CORPS ÉTRANGER est une (un peu trop) longue scène de danse incroyablement sensuelle entre les trois personnages, dont l’un d’eux ne sortira ni vainqueur, ni grandi. Car la réalisatrice est consciente que « le vecteur de la danse et de la musique permet le franchissement de certaines limites et d’être plus proche de l’ambivalence des personnages ». Hiam Abbass, qui avait tourné dans Satin rouge, premier film de Raja Amari, lui reconnaît « une finesse pour parler du désir –celui qui s’exprime et celui enfoui- de cette manière audacieuse, à la fois sans limite et pudique ». Les trois acteurs offrent une belle palette de nuances dans leur interprétation, conférant à CORPS ÉTRANGER, beau film non conformiste, une énergie qui galvanise autant le spectateur qu’elle le bouscule dans ses certitudes.

Sylvie-Noëlle

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corpsaff 1 - [CRITIQUE] CORPS ÉTRANGER
Titre original : Corps étranger
Réalisation : Raja Amari
Scénario : Raja Amari
Acteurs principaux : Hiam Abbass, Salim Kechiouche, Sara Hanachi
Date de sortie : 21 février 2018
Durée : 1h32 min
3.5

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