CROSSWIND s’attache à lutter contre la raison qui risque de s’abattre également sur le film : l’oubli (nous étions deux dans la salle). On ne peut que lui souhaiter une distribution plus heureuse lors de sa sortie en DVD/BLU-RAY, même si il apparaît évident que cette œuvre élégiaque mérite amplement d’être découverte dans l’obscurité d’une salle et l’immensité d’un écran de cinéma.
Située en Juin 1941, l’histoire de CROSSWIND nous raconte la déportation d’une famille estonienne vers la Sibérie et plus particulièrement la relation épistolaire que la mère d’une petite fille va entretenir durant 15 ans avec le mari et le père dont elles ont été séparées. Transposées à l’écran de manière minimaliste sur un peu moins de 1h30 de métrage, ces lettres sont l’occasion pour le réalisateur Martti Helde d’effectuer un remarquable travail d’orfèvre au sein d’un dispositif cinématographique unique qui convoque plusieurs arts.
Les premières images baignent dans un noir et blanc somptueux qui rend mystique les rayons du soleil perçant à travers un pommier en fleurs ou reflétant le cours d’une rivière. Plus tard, lorsque ces moments de paix, captés au ralenti chez cette famille, ne seront plus qu’un lointain souvenir, nous serons étouffés par le caractère anxiogène des camps de travail et le noir austère de la boue puis éblouis par la blancheur surréaliste d’un paysage enneigé.
Utilisant constamment la voix-off de Erna, la mère (Laura Peterson), qui narre ses propres lettres, le film immobilise littéralement tous ses personnages à partir du moment où cette famille se voit arrachée à son foyer, ses idéaux, ses croyances, sa vie. La caméra nous dévoile alors de véritables tableaux vivants, magnifiquement scénographiés, en ayant recours uniquement à la prestation physique de l’acteur (pas de trucage visuel). On est saisi par la beauté pudique de la mise en scène, qui utilise la dilatation temporelle et une succession de plans séquences, tous plus forts les uns que les autres, de par leur évocation symbolique et l’histoire qu’ils nous racontent.
« Une toute nouvelle expérience de cinéma pour un film précieux et marquant.«
Au milieu de cette perfection visuelle s’ajoute le rôle du son, superbement travaillé, qui lui est toujours en mouvement au milieu de ces scènes figées à jamais. Une porte claque, des bruits de pas se font entendre, le moteur d’une voiture au loin se déclenche, mais ni un objet ou un personnage bougeant ne vient violer la grâce ou l’horreur qui émane de ces instants.
Sur le papier, CROSSWIND pouvait ressembler à une énième variation sur une période cauchemardesque que nous ne devons pourtant jamais oublier. Ce bijou précieux s’avère d’autant plus nécessaire qu’il innove radicalement les codes narratifs et visuels auxquels nous sommes classiquement habitués. Martti Helde nous offre une toute nouvelle proposition de cinéma, fusion grandiose avec la littérature et la peinture. Le septième art, dans sa plus grande noblesse.
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• Titre original : In The Crosswind
• Réalisation : Martti Helde
• Scénario : Martti Helde
• Acteurs principaux : Laura Peterson, Mirt Preegel, Ingrid Isotamm
• Pays d’origine : Estonie
• Sortie : 11 mars 2015
• Durée : 1h27min
• Distributeur : ARP Sélection
• Synopsis : Le 14 juin 1941, les familles estoniennes sont chassées de leurs foyers, sur ordre de Staline. Erna, une jeune mère de famille, est envoyée en Sibérie avec sa petite fille, loin de son mari. Durant 15 ans, elle lui écrira pour lui raconter la peur, la faim, la solitude, sans jamais perdre l’espoir de le retrouver. « Crosswind » met en scène ses lettres d’une façon inédite.
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