Filmer l’immatériel est peut-être le plus grand défi du cinéma. Des cinéastes ambitieux s’y sont collés avec plus ou moins de réussite : Jan Kounen a fait Blueberry (moins), Pan Nalin a fait La Vallée Des Fleurs (plus).
La spiritualité est une force vive mais vague dont les ressorts sont nécessairement invisibles et, par conséquent, ardus à capter. Xavier Beauvois ajoute son nom à la liste des chercheurs d’âmes. C’est un ajout qui compte.
Des Hommes Et Des Dieux raconte le grand dilemme et la prise de position historique de neuf moines français domiciliés en Algérie et confrontés au fanatisme religieux d’une frange de la population locale. Menés par le frère Christian, les moines résisteront à l’envie de faire place nette, convaincus que leur foi brille au-dessus des conflits et que leur mission universelle est d’apporter de l’amour sans condition. Cette admirable cause se heurtera à de funestes oppositions, puisque sept d’entre eux seront enlevés et assassinés.
Le film est moins une apologie du christianisme qu’un effort a priori honnête de réconcilier tous les hommes à travers la beauté muette de l’empathie. A ce titre, l’absence d’une bande originale est donc légitimée. Le silence a ses quartiers dans la plupart des scènes. Les dialogues ont une profonde qualité littéraire dont tous les scénaristes devraient s’inspirer car elle rehausse le propos sans jamais déposséder les comédiens de leur naturel. Tout au contraire, l’impact des mots avive notre intérêt pour ce débat sur l’implication spirituelle pendant que la simplicité du jeu fait son travail de séduction.
A ce jeu-là, Lambert Wilson, Michael Lonsdale et leurs coreligionnaires font charité de leur talent. Leur maîtrise du sujet impressionne. L’unique scène en musique est un bel exemple de cette force de l’émotion sans maquillage et de ce qu’un réalisateur gagne à laisser ses acteurs dominer la technique. Le dénuement du style graphique est ici un dénuement fructueux. Ce qui l’est moins, c’est la philosophie fataliste des moines pour qui l’échec, la pauvreté et la mort mènent à Dieu. S’il ne s’agit pas d’une franche inclination à la passivité et s’il est vrai que les neuf compagnons participent à la vie autochtone de leur mieux et dans les règles de leur fonction, on ne peut s’empêcher de voir qu’ils n’ont aucune influence autour d’eux et que leur bonté d’âme n’a d’effet pratique que dans les mains de frère Luc, le médecin.
Tournés davantage vers le Très-Haut que vers le bas monde, ils ne communiquent pas leur passion. Inaptes à fuir le danger, ils sont aussi inaptes à le conjurer. Leur impuissance devient sacrée parce qu’elle est avouée. Cet aveu, à notre avis, ne ressemble pas à la force propagatrice d’un Gandhi. Cependant, le film en lui-même évite l’écueil de la mièvrerie et sans pour autant trouver des réponses satisfaisantes aux questions de rapprochement des peuples, il encourage la sincérité des idées et la dignité d’en être responsable.
Ewan