À voir également – notre critique d’INHERENT VICE, replacée au sein de la filmo de P.T.A.
Inherent Vice aurait pu s’intituler « Joaquin Phoenix, la came et moi », tant le film tourne presque exclusivement autour de cette relation triangulaire. Paul Thomas Anderson aime son acteur fétiche, et ça se voit ! Avec ses cheveux longs déjà passés de mode pour l’époque et ses chemises sorties tout droit d’une autre dimension, Larry « Doc » Sportello (Phoenix, donc) fait déjà tache dans le paysage qu’il habite, à savoir Gordita Beach, petite ville balnéaire californienne sans grande animation. Du moins, jusqu’à ce que Shasta Fay Hepworth (Katherine Waterston), son ex-petite-copine-qui-pourrait-bien-le-redevenir, débarque un soir pour lui demander de protéger Mickey Wolfmann (Eric Roberts), son riche amant, des machinations de son épouse, qui prévoit de s’en débarrasser dans un asile de fous afin de filer le parfait amour avec son propre amant.
Si l’intrigue semble déjà assez complexe comme cela, les diverses addictions de Doc n’arrangent rien à la situation. Son « enquête » se résumerait plutôt à un trip permanent, cocasse mais aussi un peu lassant, lorsqu’au bout de deux heures films le détective (très) amateur sniffe son énième rail de coke à même la table de son salon. Le cœur du film n’est pas là, il est vrai. Le cœur du roman éponyme de Thomas Pynchon n’y était pas non plus. Car la pseudo-affaire emberlificotée qui préoccupe tous les personnages à des degrés divers n’est en effet que prétexte à l’exploration d’un Los Angeles psychédélique. Ici-bas, des flics fiers comme Artaban côtoient des avocats plutôt décontractés (Benicio del Toro), des prétendus dentistes (le caustique Martin Short) aussi camés que leurs patients et des trafiquants sans trop d’envergure croisés dans les arrière-cours de restaurants. Les mouvements délivrés d’une caméra sans complexe accentuent encore cette tourbillonnante sensation générale, où l’on passe sans transition d’un individu à l’autre, d’un décor à l’autre, comme face à un immense kaléidoscope sur-coloré.
L’univers forcement décalé qui en découle offre l’occasion de beaux moments de ‘déconne’ totale, ainsi que quelques dialogues rendus drôles par leur absurdité. Mais cette réalité d’apparence se trouble aussi parfois de drames plus ancrés, de familles, de jeunes femmes perdues à la dérive, des doutes de Bigfoot Bjornsen et de sa mâchoire carrée (le fameux Josh Brolin), certainement le personnage le plus passionnant du film, sa psychologie masquée par l’uniforme et le badge. Bref, par l’alternance de scènes légères et de drames subtilement saupoudrés, Inherent Vice passe du roman décalé à la fresque andersonienne typique, qui plonge et ré-émerge sans cesse. Il y a un parfum de surréalité dans cette ville que tout le monde croit pourtant connaitre. Et en suivant tant bien que mal le fil de l’histoire (si tant est que ça soit possible !), on se rappelle parfois la pluie de grenouilles de Magnolia et les parties fines autour de la piscine dans Boogie Nights. La patte du maitre est là, ainsi que l’œil de la camera de Robert Elswit (un autre habitué des projets P.T.A.). Doc Sportello est un de ces personnages flottant constamment entre deux mondes, à la limite de la schizophrénie, sur un fil périlleux. Il ne s’enracine jamais dans cette société qu’il évite.
Si la photographie est sans surprise soignée, on saluera également au passage la musique, comme toujours finement arrangée par le guitariste Jonny Greenwood, qui avait déjà signé pour There Will Be Blood ou The Master. Plus que de donner au film une résonnance dans l’œuvre globale de son réalisateur, elle souligne, tantôt ici, tantôt ailleurs, l’irréalité ou la gravité des choses, mais jamais les pointes d’humour (comique absurde très « américain » à ce propos, qui risque de ne pas provoquer autant d’hilarité à l’international), qu’on nous donne à apprécier à sec, dans des scènes où seules les paroles comptent.
”Pour véritablement apprécier Inherent Vice, deux solutions se présentent : soit être philosophe, soit être soi-même sous ecstasy”
Bref, que retenir de cette critique nécessairement aussi emmêlée que le film lui-même ? Eh bien que pour véritablement apprécier Inherent Vice, deux solutions se présentent : soit être philosophe, soit être soi-même sous ecstasy. En essayant d’analyser l’œuvre logiquement, à tête reposée comme l’on dit, on se heurte fatalement à un mur. Tous les codes scénaristiques ont disparu, ce qui peut laisser admiratif ou pantois mais aussi agacer, surtout vers la fin. Rien n’avance, rien ne bouge, tout semble devoir patiner jusqu’à la nuit des temps. Comparer le film aux précédentes réalisations de P.T.A. entraine forcement une déception. Mais c’était peut-être nécessaire au vu des attentes si hautes et du roman de départ, difficile d’adaptation. On pardonnera même à un cinéaste aussi talentueux de s’y casser un peu les dents.
Le film vaudra donc surtout pour un Joaquin Phoenix gonflé à bloc et parfaitement dans son élément, dont le détachement et les rêveries font écho à ses rôles précédents, notamment Her. En somme, même junkie et à côté de la plaque, il reste un antidote contre la dureté du monde corrompu et violent qui l’entoure, et qui ressemble toujours au nôtre, par certains aspects.
Tom Johnson
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– notre critique d’INHERENT VICE, replacée au sein de la filmo de P.T.A.
• Réalisation : Paul Thomas Anderson
• Scénario : Paul Thomas Anderson, d’après l’oeuvre de Thomas Pynchon
• Acteurs principaux : Joaquin Phoenix, Reese Witherspoon, Jena Malone, Josh Brolin, Owen Wilson, Benicio Del Toro
• Pays d’origine : U.S.A.
• Sortie : 4 mars 2015
• Durée : 2h28min
• Distributeur : Warner Bros. France
• Synopsis : L’ex-petite amie du détective privé Doc Sportello surgit un beau jour, en lui racontant qu’elle est tombée amoureuse d’un promoteur immobilier milliardaire : elle craint que l’épouse de ce dernier et son amant ne conspirent tous les deux pour faire interner le milliardaire… Mais ce n’est pas si simple…
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