La caméra à hauteur d’homme et à hauteur d’âme, le réalisateur et scénariste Emmanuel Finkiel nous a happé et embarqué très loin dans les émotions et la réflexion avec JE NE SUIS PAS UN SALAUD ! Le film avait été présenté en avant-première au Festival du Film Francophone d’Angoulême, fin août 2015, et avait obtenu deux Valois : celui de la meilleure mise en scène et celui du meilleur acteur pour Nicolas Duvauchelle.
Drame puissant et poignant, JE NE SUIS PAS UN SALAUD décrit le parcours très réaliste et émouvant d’Eddie, interprété par Nicolas Duvauchelle. L’acteur est bluffant et attachant dans ce très beau rôle que lui a offert le réalisateur. Il donne à son personnage une incroyable intensité, une nervosité, une matière brute à la lisière du désespoir et de la tentation de la haine. Conscient de ses limites, frustré de son état et de sa condition sociale, Eddie essaie d’avancer malgré tout. C’est un bon garçon qui veut s’en sortir avec les moyens dont il dispose (au chômage, il fait des formations et cherche un boulot de commercial). Il s’est séparé de sa femme Karine (Mélanie Thierry, toute en douceur et retenue) et essaie malgré tout d’être un bon père pour son jeune fils Noam, qui l’adule.
A travers le regard acéré d’Eddie sur sa propre classe sociale, le film offre au spectateur une réflexion sans concession sur notre société et en dresse un portrait réaliste et peu reluisant. La classe des petites gens qui vivent dans les cités, rament pour un salaire minable, font leurs courses le dimanche « comme des blaireaux« , rêvent de vivre comme dans les vitrines du magasin d’ameublement dans lequel travaille Karine. Une classe certes peu gâtée par la vie, avec peu d’espoir de s’en sortir, mais qui s’accroche et ne se plaint pas et parfois s’en contente, trouvant, comme Karine, des raisons d’être heureux malgré tout.
Eddie, lui, a pleinement conscience qu’il devra rester à cette place qu’il n’a pas choisie. La confrontation à l’autre monde, celui du patron de Karine, Régis (le toujours très juste Nicolas Bridet) qui lui tourne un peu trop autour, le renvoie sans cesse à sa propre condition. Alors, pour supporter tout cela, il boit plus que de raison ou va s’entraîner à son club de tirs. Comment ne pas penser à La loi du marché, de Stéphane Brizé, dont la mise en scène emploie le même procédé cinématographique, à hauteur de nuque de Vincent Lindon et va au plus près de la vie de ces sans grade ? Mais le choix d’Eddie ne sera pas le même que celui de Thierry. Car JE NE SUIS PAS UN SALAUD est un film terrible sur l’enterrement des rêves, la désespérance et la résignation. Il nous décrit un tunnel sans fin, un puits sans fonds, un déterminisme duquel un homme tente de s’extirper. Il s’accroche à la vie, se débat, essaie mais semble rejeté par elle. De l’injustice ressentie naît la frustration, qui engendre la colère, émotion qui brouille le raisonnement et provoque la perte de repères.
L’agression gratuite qu’Eddie subit souligne d’ailleurs la tension et la violence dans lesquelles évoluent ces êtres qui volent et plantent un couteau dans un corps pour un rien. Nous suivons le parcours de cet homme dans les méandres de la justice. Emmanuel Finkiel met très subtilement en scène les doutes d’Eddie dans la désignation du suspect puis la confrontation dans le bureau de la juge d’instruction avec son agresseur présumé, qu’il affronte seul sans les conseils d’un avocat, puisque c’est lui la victime.
« JE NE SUIS PAS UN SALAUD est un drame social et humain bouleversant, qui nous donne à voir la descente infernale d’un homme seul. »
Le réalisateur a souhaité nous faire vivre en parallèle l’arrestation de l’agresseur présumé Ahmed (Driss Ramdi), renforçant l’idée qu’Eddie s’est trompé de personne – ce n’était pas vraiment nécessaire car notre empathie est déjà totalement acquise à Eddie. Les pressions dont ce dernier fait l’objet de la part de l’entourage d’Ahmed, lui feront prendre conscience qu’il n’est pas le salaud que les autres insinuent qu’il est. Il reconnaîtra même avec un certain courage devant la justice qu’il s’est trompé- avec des conséquences judiciaires pour lui. Une forme de rédemption, en somme. Cette agression permettra d’ailleurs à Eddie de mener à nouveau une vie normale : revenu vivre avec son épouse, qui tente d’aider son mari en lui trouvant dans l’entreprise de Régis un simple boulot de cariste, très en deçà de sa formation et de sa valeur.
Le rythme lent et la musique très anxiogène composée par Chloé Thévenin soulignent la montée en puissance dramatique et le cheminement de cet homme taiseux et si seul aux traits tirés et dont les cernes se creusent de plus en plus, qui perd pied. En empathie absolue avec le personnage, nous sombrons avec lui peu à peu dans une spirale infernale. Avec lui, nous lâchons prise. Avec lui, nous souffrons, en silence. Nous ressentons sa tristesse, son humanité, son renoncement. JE NE SUIS PAS UN SALAUD est un drame social, mais avant tout un drame humain, dont le réalisateur a réussi le bouleversant et inoubliable tour de force de ne pas juger Eddie, mais de ne pas le plaindre non plus. Juste nous le faire aimer et le reconnaître pour ce qu’il est, un homme à la dérive mais un homme digne, jusqu’au bout.
Sylvie-Noëlle
D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?
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Titre original : Je ne suis pas un salaud• Réalisation : Emmanuel Finkiel
• Scénario : Emmanuel Finkiel
• Acteurs principaux : Nicolas Duvauchelle, Mélanie Thierry, Driss Ramdi, Nicolas Bridet
• Pays d’origine : France
• Sortie : 24 février 2016
• Durée : 1h51mn
• Distributeur : Bac Films
• Synopsis : Eddie se sent noyé dans une société qui oublie ceux qui la composent, entre violence du quotidien et anonymat de la misère. Lorsqu’il est violemment agressé dans la rue, Eddie désigne à tort Ahmed, coupable idéal qu’il avait aperçu quelques jours avant son agression. Alors que la machine judiciaire s’emballe pour Ahmed, Eddie tente de se relever auprès de sa femme et de son fils et grâce à un nouveau travail. Mais bientôt conscient de la gravité de son geste, Eddie va tout faire pour rétablir sa vérité. Quitte à tout perdre…
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