[critique] Kitchen Stories

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Dans les années cinquante, durant le boom industriel de l’après-guerre, un groupe d’observateurs suédois du Home Research visite un village norvégien en vue d’étudier la routine des hommes célibataires dans leur cuisine. En aucun cas, les observateurs ne doivent parler à leurs hôtes. Il en résulte une fable pleine d’humour sur l’amitié et l’éternel désir humain d’échapper aux classifications.

Note de l’Auteur

[rating:9/10]

Date de sortie : 17 décembre 2003
Réalisé par Bent Hamer
Film norvégien, suédois
Avec Joachim Calmeyer, Thomas Norström, Bjorn Floberg
Durée : 1h35min
Titre original : Salmer fra Kjøkkenet
Bande-Annonce :

A-t-on encore souvent la chance de voir des films qui évoluent dans le mystérieux no man’s land entre le cinéma artistique et le cinéma commercial ? Des films qui titillent autant l’intelligence et l’émotion que les zygomatiques et les tripes ? Des films dans lesquels engagement et amusement ne sont pas fatalement antinomiques ?

Bent Hamer (Eggs, Factotum, O’Horten) nous livre une fresque rurale caractéristique du cinéma scandinave : épurée, sombre, écorchée, profondément sociale, teintée d’humour aussi corrosif que ravageur.

Kitchen Stories est l’histoire d’un Observateur scientifique suédois, et d’un paysan norvégien qui sert de cobaye à la science, les deux héros ne pouvant, selon les termes du traité scientifique, pas communiquer entre eux ! Folke, l’Observateur, passe ses journées sur sa chaise haute d’arbitre, étudiant faits et gestes d’Isak pour les besoins du monde moderne (l’intrigue se déroule au début des années 50).

Bent Hamer filme cette partie d’échecs avec maestria, l’histoire se transformant au fil du temps en relation amicale, l’observateur devenant observé à son insu, l’observé prenant la place de l’observateur. Le ‘rythme’ repose sur de longs plans séquences, mais cette pseudo-lenteur est le reflet d’une relation qui s’enfante devant vos yeux, elle a besoin de temps, de réflexion, de compréhension, et tout le propos du scénario trouve son essence lorsque vient la scène finale, où l’on se rend compte intuitivement que ce film n’est ni statique, ni vide de substance, que du contraire, les héros acquièrent leur pleine dimension.

Bent Hamer transpose remarquablement la rigidité bureaucratique qui peut se transformer en prise de conscience vers un changement radical. Joachim Calmeyer et Tomas Norstrom jouent avec une authenticité déconcertante, et la musique de Hans Mathisen vient tapisser ces ambiances nordiques de sonorités très planantes, à l’instar de Sigur Ros dans « After the Wedding ».
Même si la majeure partie de l’intrigue se déroule à huit-clos, Bent Hamer filme une Norvège fidèle à elle-même, sous les auspices hivernaux, aux couleurs envoûtantes et boréales. Les personnages évoluent dans ce climat perpétuel de fracture sociale, nous sommes proches émotionnellement de films comme Anklaget (Jacob Thuesen), The Bench (Per Fly) ou encore Brothers (Susanne Bier).

Fable métaphorique de l’arroseur arrosé, Bent Hamer joue du subterfuge par un procédé éminemment cinématographique, le trou de la lorgnette ! Les plans deviennent des images fixées dans le continuum espace-temps si cher à Gilles Deleuze.

Les plans alternant plongée et contreplongée dans la cuisine soulignent l’habileté de Bent Hamer à disséquer la psychologie des personnages, lieu qui devient un authentique laboratoire vivant. Isak porte les stigmates d’une vie éculée dans les forêts boréales de Norvège, Folke incarne cette raideur bureaucratique citadine, le rapport de force s’installe, la puissance scénique qui s’en dégage est prodigieuse.
Les plans de Dieu depuis la chaise de Folke illustrent parfaitement ce rapport, cette verticalité de la vérité absolue que ne renierait pas Krzysztof Kieślowski (Le Décalogue est à ce titre un parangon de la pire espèce !). La palette des couleurs est délibérément orientée vers des teintes grisâtres-verdâtres, évitant précautionneusement toute forme de brillance surnaturelle.

Voici donc une allégorie sur ce que l’Humanité engendre comme caricatures, comment le monde industriel de l’époque se portait garant d’un nouveau mode de vie, comment la communauté scientifique se considérait au-dessus de la mêlée, avec ses propres codes. Bent Hamer réussit là son plus bel ouvrage ; j’ai un instant eu l’impression de partager la vie de Folke et Isak…

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