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© Twentieth Century Fox

KUNG FU PANDA 3, approche spirituelle – Critique

Voilà presque dix ans que sévit le panda Po, aka The Dragon Warrior, au sein de la maison DreamWorks dans laquelle il a su se faire une place de choix parmi les icônes du studio fondé par les non moins célèbres Spielberg, Katzenberg et Geffen en 1994 (Shrek et l’Âne, Alex et Marty de Madagascar, etc.).

Comme souvent dans la production de films d’animation, la logique du sequel prime tant que le box-office suit derrière (Les Croods 2 et Dragon 3 sont déjà annoncés pour 2017 et 2018) obligeant ainsi les scénaristes (Jonathan Aibel et Glen Berger) à explorer les personnages et l’univers jusqu’à épuisement. Les deux premiers volets de la saga KUNG FU PANDA ayant rapportés plus d’un milliard de dollars, il était donc « normal » qu’un troisième épisode voit le jour, même si paradoxalement, l’attente fut plus longue que prévue (cinq ans entre les deux derniers films !). Au-delà de ces quelques considérations économiques, le succès de la saga repose avant tout sur des choix scénaristiques et visuels marqués.

Le premier est lié à son humour régressif qui travaille par les contrastes de tailles, de formes et de poids, une certaine hiérarchie de l’absurde (Po a longtemps cru que l’oiseau Mr Ping était son père biologique). C’est vrai qu’il y a quelque chose de jubilatoire de voir un gros « patapouf » de panda devenir un expert en kung-fu. Idée brillante, car après trois films, Po conserve toujours cette innocence devant ses propres pouvoirs de plus en plus improbables que lui confèrent sans cesse le film, laissant ainsi son vieux Maître Sifu un brin perplexe par rapport à cette surenchère scénaristique. Parmi les nouveautés plaisantes, ce troisième opus semble se détacher de certaines contraintes réalistes faisant même des caractéristiques animales du panda (fervents amateurs de roulades, de câlins et extrêmement gourmands) des techniques de combat efficace. Non pas que la philosophie bouddhiste ou les préceptes des arts martiaux soient tournés en ridicules – l’importance de la notion de « chi » dans cet épisode le prouve une nouvelle fois – mais bien que la rencontre entre l’asthmatique panda et la rigueur physique et mentale du kung-fu créée des décalages et des situations burlesques forcément appréciables. C’est quelque part la rencontre entre deux cultures, américaine et chinoise, que la saga vient confronter, non dans un souci de rivalité ou de mise en échec, mais bien dans un élan rassembleur figuré par l’infatigable et l’inénarrable Po (le choix de Jack Black pour la voix participe à cette folie insouciante qui habite le personnage).

Photo du film KUNG FU PANDA 3
© Twentieth Century Fox

La deuxième qualité propre aux trois films réside dans l’écriture du méchant : du léopard des neiges Taï Lung au maléfique Kaï en passant par le paon Shen, chacun a donné la possibilité à Po de gagner en épaisseur et en sensibilité tout en s’offrant des scènes de prestige souvent spectaculaires (personne n’a oublié la scène de libération de Taï Lung dans le premier volet). Dans cet épisode, c’est la séquence d’ouverture mettant en scène le combat entre Maître Oogway et Kaï dans le Royaume des Esprits qui impressionne le plus visuellement. Car la véritable singularité des KUNG FU PANDA réside essentiellement dans son esthétique plurielle et multiculturelle. Mélangeant le pop’art (Roy Lichtenstein et son Soleil Levant) avec la peinture chinoise (Le Jour de Qingming au bord de la rivière), le découpage du manga (split-screen) avec l’animation peinte et l’animation 3D, les scories de Hans Zimmer avec ceux de Lang Lang, le film affiche fièrement ses élans protéiformes à la fois graphiques et abstraits. Et si les gags sont parfois moins drôles que dans les précédents films, la mise en scène conserve ses atours esthétiques et donc proprement jubilatoires (les chorégraphies de combat sont toujours aussi incroyables). À ce titre, il semble important de souligner le fait que cette saga respecte profondément la pensée chinoise car, à l’heure où la ressemblance à une certaine réalité matérielle fait figure de modèle esthétique dans l’industrie de l’animation, elle prend le pari inverse et offre un univers visuel défait de toute exigence réaliste et physique.

Après deux épisodes basés sur l’apprentissage de techniques, KUNG FU PANDA 3 approfondit le parcours initiatique de son héros via une approche spirituelle.

Après deux épisodes basés sur l’apprentissage de techniques, KUNG FU PANDA 3 approfondit le parcours initiatique de son héros via une approche spirituelle. Sous couvert d’un questionnement existentiel (« qui suis-je ? »), Po poursuit sa formation de soi sur l’idée d’une sensation corporelle concrète, c’est-à-dire sa sensibilité originelle de panda. Si le « chi », dont l’axiome serait : « ne gagne pas après avoir frappé, mais frappe après avoir gagné », évoquant des sensations physiques et des impressions mystérieuses liées à la primauté du combat de l’esprit, il n’est en rien un concept tangible ou rationnel, ce qui peut paraître un peu flou pour le spectateur occidental. Po finira néanmoins à maîtriser cet « aspect » fondamental de l’art martial lorsque son corps aura capté ce nouvel environnement (ce que signifie être un panda) et lorsque son état d’esprit dans lequel il se positionne à l’intérieur sera également harmonieux (s’accepter soi-même passe par une acceptation de ses origines, de ses deux papas et de sa sensibilité de panda). Le film montre brillamment que l’art du combat n’est pas uniquement un art technique ou moral, mais qu’il reste un art pragmatique (Po doit se servir de ces qualités propres). En libérant son esprit de toute pensée consciente telle que la victoire sur l’ennemi Kaï, Po acquiert cette spontanéité qui fait depuis toujours sa force lui permettant de remporter de nombreux défis (cf. l’idée du sacrifice de soi en est un bel exemple). Ainsi illustrée par le film, la pensée chinoise offre une vision du monde « organiciste », autrement dit les choses arrivent parce qu’elles arrivent comme elles arrivent réglé par un protocole cosmique (Oogway, aka l’Univers, savait depuis le début que Po serait un maître en kung fu, voire plus). Pas de transcendance créatrice ici, le Ying et le Yang, symbole ultra-référencé et extrêmement présent dans le film, par ailleurs coloris de la peau du panda, s’interpénètrent et alternent cycliquement sans dépense, ni rivalité bien loin d’une logique de pensée occidentale.

Photo du film KUNG FU PANDA 3
© Twentieth Century Fox

Avec KUNG FU PANDA 3, Dreamworks montre sa capacité à expérimenter sur les univers de ses franchises tout en explorant d’autres possibilités artistiques, qu’elles soient esthétiques ou culturelles (il est d’ailleurs le premier film d’animation à être coproduit avec un studio chinois, China Film Co. Ldt). Souhaitant se démarquer du modèle emphatique de Disney/Pixar, Dreamworks propose un tout autre modèle esthétique, alliant le régressif au spectaculaire, qui, au cours des dernières années, leur a plutôt réussi : les deux Dragons et Megamind en sont la preuve la plus éloquente.

Antoine Gaudé

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