Les rides se creusent, les cheveux blanchissent. Robert Guédiguian en est à son 20e film et à sa 63e année. Et ses partenaires de contrebande ce n’est pas mieux, 37 ans que devant sa caméra, nous voyons s’épanouir sa femme Ariane Ascaride (63 ans également), ses potes, Jean-Pierre Darroussin (63 ans toujours) et Gérard Meylan (64 ans… le doyen) et le littoral marseillais.
Dans « LA VILLA » cette éternelle calanque est grisâtre. L’hiver la dépeuple de ses touristes et le prix des loyers de ses habitants. C’est une petite utopie qui s’éteint doucement, qui n’a su résister au monde moderne. Grelottante dans le froid, elle est comme en deuil du communisme. C’est là que se rassemble, Angèle, Joseph, accompagné de sa jeune compagne Bérangère et Armand, au chevet de leur père , plongé dans le coma. Il est inerte, alité dans la maison qu’il a construite de ses mains. Les soupirs sont lourds et les discussions graves. Les circonstances invitent à la réflexion. Chacun fait le point de ce qui lui reste de ses envies, de son humanité, de son enfance.
Ce purgatoire, laisse s’exprimer les choses déclinantes ou mourantes : les personnages à la fleur (fanée) de l’âge, leur père, leur village, et leur gauche. Tout est conjugué au passé, tout est déclamé avec emphase. La calanque se fait petit théâtre où une tragédie se récite. Guédiguian observe ses personnages et amis, faire leurs premiers pas dans le troisième âge. Ça fait longtemps qu’ils n’ont pas que les tempes grisonnantes et plus que quelques kilos en trop. Et c’est avec ses gros sabots qui martèlent le sol jusqu’à devenir ballerine qu’il va filmer leur renaissance. Le retour, timide parfois, dans leurs vies de l’ambition, de l’amour, et surtout du combat. Le printemps à l’hiver.
Dans ce début cafardeux, ils pleurent une époque révolue, mais c’en est une autre qui les rattrape et les baffe. Et par sa contemporanéité la plus terrible, les migrants. Le sujet de société fait irruption dans le canevas du cinéaste, comme pour botter le cul des personnages. Les retirer de leur mélancolie pour soudainement éprouver leurs idéaux gauchistes. Par la même occasion c’est le cinéaste qui est remis en question. Cette actualité béante forme une plaie purulente qui ne cesse de s’infecter. Sa mise en scène et le discours à porter déçu est périlleux.
Guédiguian porte un regard différent et très cliché sur les militaires et les migrants. Les premiers, qu’ils détestent, cherchent et traquent les seconds, sans se poser la question du pourquoi du comment. Leur libre arbitre est enfoui profondément sous l’uniforme. Les migrants ne sont représentés que par des enfants chétifs, orphelins, inattaquables. Aucun mot ne leur est mis en bouche, ils ne resteront que la pure figure de l’enfance. La réponse du cinéaste est sans doute trop dogmatique et très simpliste mais elle fait mouche. Dès lors que la fratrie a trouvé les orphelins dans les bois, les scènes sont déchirantes. Les prolos patauds font face aux enfants mutiques. La solidarité est exprimée avec une maladresse bouleversante. Elle ravive les idées, les combats et mouille nos yeux de spectateurs.
Guédiguian, avec ses positions fermes et sa mise en scène fine, filme le retour à la vie d’une fratrie. Laissant le faux pénétrer son cher sud, pour en extraire la vérité de ses personnages.
Guillaume Pavia
• Réalisation : Alain Guirraudie
• Scénario : Alain Guirraudie
• Acteurs principaux : Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Jean-Pierre Darroussin, Anais Demoustier
• Date de sortie : 29 novembre 2017
• Durée : 1h48min