[critique] Le Festin de Babette

Affiche du film Le Festin de Babette

Un soir d’orage de 1871, Babette débarque sur la côte danoise. Elle fuit Paris et la répression qui s’abat sur la Commune. Dans un petit village du Jutland, elle frappe à la porte de Filippa et Martine, deux vieilles demoiselles filles de pasteur. Babette trouve à s’y employer comme servante. Elle s’intègre au pays, son seul lien avec la France étant un billet de loterie qu’elle rejoue tous les ans. Un beau jour, elle gagne le gros lot. Avec l’argent, elle va offrir aux habitants du village un repas à sa façon…

Note de l’Auteur

[rating:9/10]

Date de sortie : 23 mars 1988
Réalisé par Gabriel Axel
Film danois
Avec Stéphane Audran, Bodil Kjer, Birgitte Federspiel
Durée : 1h42min
Titre original : Babettes gæstebud
Bande-Annonce :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=uO6ulyXF_Fk[/youtube]

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Lecteur, te laisserais-tu tenter, en ce Temps de l’Avent, par cette ripaille grivoise…une soupe de tortue géante accompagnée d’un Xeres amontadillo, des blinis au caviar et à la crème accompagnés d’un Champagne Veuve Clicquot 1860, des cailles en sarcophage au foie gras et sauce aux truffes accompagnées d’un Clos de Vougeot 1845, une salade d’endive aux noix, un assortiment de fromages, un baba au rhum et sa salade de fruits glacés accompagnés d’une Fine champagne…sus aux fourneaux !

Au menu de ce conte, goulûment composé par Isak Dinesen (sous ce nom de plume se cache une femme de lettres danoise, Karen Blixen, auteur de La Femme africaine, adapté au cinéma sous le titre Out of Africa), un ‘dîner français’ offert pour douze convives. Hôtes quelconques ou bien disciples qui, enveloppés de leur garniture luthérienne, se trouvent confrontés aux fastes gastronomiques d’une cuisine de tradition, symbole d’une opulence qui s’oppose aux principes mêmes de leur dogme ?

Photo (1) du film Le Festin de Babette

Cette agape, concoctée et accommodée par Babette, ancienne cuisinière au Café Anglais, est une invitation à une tablée que n’aurait pas refusée un certain histrion si cher à Rabelais. Gabriel Axel aura mis du temps, quatorze longues années, pour nous servir le couvert, et la note, service compris, n’en a pas été moins salée (Oscar du meilleur film en langue étrangère). Convaincre un producteur, à une époque où la malbouffe tient le haut du pavé, d’incorporer dans le scénario des dévotes entonnant des cantiques du 16ème siècle n’est pas une entreprise aisée. Et cette histoire, celle du renoncement, est pourtant la leur. Martine et Filippa se refusent à l’amour pour préserver la communauté religieuse, ce milieu refermé sur lui-même, qui ne laisse que très peu de place au regard extérieur. Ce regard, oserons-nous parler d’intruse, est celui de Babette, fervente catholique. Le choix de Stéphane Audran n’est pas le fruit du hasard, elle incarne cette ‘autre’ culture.[pullquote]Par l’art culinaire, le sol aride dans lequel s’est enracinée cette intransigeance de la foi est éprouvé par la sensualité et la grâce des gestes de Babette.[/pullquote]

Garbiel Axel filme avec délicatesse, trop de lenteur diront les ogres, mais n’est-ce pas là le secret pour une sauce parfaitement liée ? Le palais aguerri y décèlera sans nul doute un zeste d’Ingmar Bergman et une pincée des Sœurs Brontë, y humera les arômes du 19ème siècle sur fond de peinture Flamande – les saynètes gastronomiques semblent appartenir à un autre temps. A l’abri, dans l’âtre des maisons aux toits de chaume, la vie se déroule, la spiritualité est le maître mot, comme l’a si bien inculqué le père des deux sœurs. Babette vient bouleverser l’ordre moral, ce ‘continuum doxologique’, car tout, dans la posture, rappelle l’orthodoxie : l’affectation des convives lors du repas, les cantiques, les vêtements, la profusion de signes religieux, le refus de la tentation. Comme une longue mélopée, ces positions figées vont petit à petit s’ébranler, sous la baguette de ce cordon bleu français, le schisme entre le corps et la spiritualité tend à se diluer, au gré des plats cuisinés pas Babette. Par l’art culinaire, le sol aride dans lequel s’est enracinée cette intransigeance de la foi est éprouvé par la sensualité et la grâce des gestes de Babette, les couleurs vives des différents mets altèrent cette noirceur quasi-monastique.

Photo (2) du film Le Festin de Babette

Lorsque le rideau s’ouvre sur le dîner, nous somme plongés au cœur de la comédie humaine, ces quinze minutes que les acteurs s’accaparent deviennent une authentique pièce de théâtre, subtilement truffée d’humour, car au-delà de réjouir nos papilles gustatives, l’on sourit. Somptueusement mise en scène – là se trouve le zeste de Bergman – l’œuvre s’accomplit par elle-même, spectacle vivant d’une symbiose parfaite de tous les ingrédients : lumière, décor et interprétation. La Guilde des chefs operateurs ne doit d’ailleurs pas hésiter de décerner trois étoiles à Henning Kristiansen pour l’ensemble de son travail.

’Un cri jailli du cœur de l’artiste retentit dans le monde entier, donnez-moi une chance de me surpasser’’ par ces mots, estimé lecteur, Babette – ainsi que toute l’équipe du Blog – te souhaite les plus mémorables des réjouissances pour ces Fêtes de fin d’année…

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