LE JEUNE KARL MARX est un film militant et instructif sur la vingtaine de l’un des plus grands penseurs politique. Il réussit son pari d’intéresser le grand public à un homme trop souvent laissé aux pages grisonnantes des manuels d’Histoire. Il assume sa forme classique et son efficacité, sans tomber dans les pièges… enfin presque, à une séquence près.
On a l’habitude de sauter au plafond à la simple évocation du nom de la personnalité sur laquelle va porter le biopic. Barbara, youpi ! Dalida, trop hâte ! Pour Karl Marx, sans doute, les planchers ont dû moins vibrer. Raoul Peck a totalement conscience que dans l’inconscient collectif, c’est le gros barbu que l’on confondait avec Victor Hugo lorsque l’on était petit. C’est un peu exagéré, mais c’est une figure en désuétude. On a tous vu la même photo grisonnante, qui donne envie de refermer le manuel d’histoire immédiatement. Alors, même si LE JEUNE KARL MARX ne marquera pas le genre biopic de son empreinte, il a le mérite de dépoussiérer cette figure rébarbative. Le réalisateur nous raconte les jeunes années du philosophe allemand. Le film s’étend, en gros, de sa rencontre avec Engels, jusqu’à la rédaction du manifeste du parti communiste. Tout ça sur fond de révolution industrielle et de guéguerre idéologique avec Proudhon.L’idée qui fait la différence, c’est la délimitation de la période (d’ailleurs le réalisateur, pas bête, l’a mise dans le titre). Il se restreint à la vingtaine du personnage, avant la reconnaissance. Ce sont les années méconnues, de la vie d’un immense penseur méconnu. Ce n’est pas révolutionnaire, mais encore faut-il bien le faire. Deluc pour Gauguin a pris un angle qui paraît similaire, il a borné son propos au voyage à Tahiti. Mais le problème c’est que la période tahitienne de Gauguin, on ne connaît que ça. Tout de suite c’est moins intéressant. Ce genre de figure tutélaire, Marx, Curie, Gandhi… on ne les connaît que vieillissantes, une fois l’acmé de l’oeuvre passé. C’est un peu comme nos parents, on ne les imagine pas dans leurs fringantes années, allumant la piste de danse. Ici, il boit, il baise, il court, il pouponne… C’est d’une vitalité surprenante.
Raoul Peck, ce n’est pas un secret, est acquis à la cause. C’est une carrière militante qu’il dessine de film en film. Que se soit par le documentaire : I am not your negro, consacré à la lutte des Noirs américains pour leurs droits civiques, ou par la fiction, avec son portrait de Lumumba, figure de l’indépendance congolaise. Pour son petit dernier, il a trouvé l’appui du réalisateur/producteur, et non moins marxiste, Robert Guediguian. Ensemble sans en faire un tract idéologique, ils ne perdent pas le nord et signent un petit acte de réhabilitation. C’est un personnage impétueux qu’ils nous ont façonné. Il est rempli éloquence, charismatique, ça sent le soufre sur son passage. Bref, c’est quelqu’un que l’on a envie de suivre.
Formellement, il n’y a pas de folie, de tentatives expérimentales, il faut plaire aux masses pour pouvoir les renseigner. C’est un petit paradoxe de faire un film si convenu et policé sur un révolutionnaire sans cesse à rebrousse-poil du système. Mais c’est tout à fait compréhensible, ça s’inscrit dans un projet global. Le travail que rend Peck a le mérite d’être de bonne facture, sans tomber dans le piège du lourdingue.
Toutefois dans ce petit système huilé, il y a quand même une séquence qui nous fait tiquer. C’est celle de la rencontre de Engels et sa femme. Dans l’usine de textile que dirige le père du philosophe, les gueux se font engueuler, il veut leur passer l’envie de se révolter. Il gonfle la poitrine, fait taper les mots méchamment, regarde durement. Les ouvriers, plutôt ouvrières dans une usine de textile, essaient de donner le change et de défendre leur cause, mais elles plient sous la menace. Parmi toutes les têtes baissées, une seule se relève. Elle est jeune et très belle. Son joli minois répond avec un aplomb bluffant, conjuguant ainsi la lutte et la photogénique.
Parce qu’au 21e siècle, mais au 20e siècle c’était déjà le cas, si tu es une femme au physique commun tu incarnes la docilité, si tu as un physique gracieux tu incarnes l’exception. Dans la scène qui suit, Engels épris, s’incruste dans une taverne où les ouvriers boivent des coups. À la table la bougie éclaire les visages burinés et sales des ouvriers. Le plan est travaillé comme un tableau jouant du clair-obscur pour dénoncer une condition. Mais lorsque la lumière de cette même bougie atteint la jeune femme, elle flatte sa beauté, soulignant les angles fins de son visage doux et propre.
Depuis Marx un nouveau médium a été inventé, le cinéma, et dès lors la représentation des femmes s’est multipliée tous azimuts. Les images ne sont plus naïves depuis bien longtemps, elles sont même d’une manière ou d’une autre, politiques. Filmer un personnage féminin, c’est filmer les femmes. L’erreur est grossière, il est abscons de mettre en scène des hommes aussi clairvoyants, en avance sur leur temps, et de ne pas se prémunir des vices de son époque et de son art. Les luttes sont transversales, la preuve, Engels fut précurseur sur les questions concernant l’émancipation des femmes.
Guillaume Pavia
[button color= »white » size= »normal » alignment= »center » rel= »nofollow » openin= »samewindow » url= »#comments »]VOTRE AVIS ?[/button]
• Réalisation : Raoul Pack
• Scénario : Raoul Peck, Pascal Bonitzer, Pierre Hodgson
• Acteurs principaux : August Diehl, Stefan Konarske
• Date de sortie : 27 septembre 2017
• Durée : 1h58min