Marc Dugain continue d’explorer le pouvoir, son domaine de prédilection littéraire et cinématographique, et nous plonge avec L’ÉCHANGE DES PRINCESSES au cœur des intrigues de la Cour de Louis XV.
On croit souvent que la vie des princes et des princesses est merveilleuse et magique. Chantal Thomas, dans son livre L’ÉCHANGE DES PRINCESSES, avait pourtant prouvé le contraire et décrit la vie assez glauque de ces jeunes enfants de la Maison de France et de la Maison d’Espagne. Ils étaient voués à n’être que des pions dans la géopolitique des Cours d’Europe, souvent affaiblies par les guerres et les décès. Car les princesses étaient faites pour être mariées à des rois et se devaient de perpétuer la dynastie.
L’écrivain-réalisateur Marc Dugain, rencontré au Festival International du Film de Pessac, lassé d’adapter ses propres œuvres au cinéma (Une exécution ordinaire et La malédiction d’Edgar) s’est emparé avec bonheur du livre. C’est son épouse éditrice qui lui a conseillé d’acheter les droits du livre et de le porter à l’écran. Il a offert à l’écrivain d’être sa co-scénariste « pour ne pas casser son ouvrage et pour ses connaissances historiques ». Ils se sont partagé la psychologie des personnages : à Marc Dugain le Roi Louis XV, qu’il trouvait « très émouvant et très malin car manipulé par des adultes qui sont eux-mêmes restés des enfants, sans repères ni expérience ». À Chantal Thomas les princesses.
En replongeant le spectateur dans ce début du 18ème siècle, le réalisateur parvient très bien à faire vivre le spectacle de la Cour et ses enjeux de pouvoirs, ses intrigues, ses manipulations et le ridicule de nombreuses situations et décisions. On fait évidemment le lien avec les formidables films qui traitent de cette époque, tels Ridicule de Patrice Leconte ou Que la fête commence de Bertrand Tavernier, même si le Régent Philippe d’Orléans (Olivier Gourmet) est ici présenté comme moins jouisseur et plus austère que Philippe Noiret.
On pense aussi au récent La mort de Louis XIV de Albert Serra, qui montrait l’ignorance des médecins et le danger paradoxal qu’ils représentaient pour la santé de leurs illustres patients. Car la mort rôde dans tous les couloirs des palais, dans le sillon de la variole ou de la peste, qui décimaient les sujets des deux Cours. Dieu, la peur de l’au-delà et la traque des hérétiques tourmentaient aussi Philippe V, Roi d’Espagne (Lambert Wilson), dont les conséquences d’une endogamie outrancière sont subtilement rappelées par sa folie dégénérescente.
« Écartelée entre les devoirs et la nécessité absolue de dissimuler les ressentis, la vie d’enfant de princesses et de rois n’est faite que de renoncements et d’abnégation. »
Dès lors, comment ne pas s’attacher aux destins de ces quatre pantins? À la Cour de France: le perspicace Louis XV (Igor Van Dessel) et la malicieuse infante Marie-Victoire (Julianne Lepoureau). À la Cour d’Espagne: la rebelle Louise-Elisabeth (Anamaria Vartolomei) et le timide Don Luis (Kacey Mottet-Klein). Chacun d’entre eux suscite une empathie immédiate car, comme l’explique Marc Dugain, « tous privilégiés qu’ils sont, ils vivent un truc sordide ». Écartelée entre les devoirs et la nécessité absolue de dissimuler les ressentis, leur vie d’enfant n’est faite que de renoncements et d’abnégation.
La seule chaleur et la part d’humanité dont ils bénéficient provient de leur gouvernante (Catherine Mouchet), à laquelle il ne leur faut pourtant pas s’attacher. Car la séparation est douloureuse. Surtout lors du fameux échange, où il faut tout abandonner de son ancienne vie pour mieux embrasser la nouvelle. Cette scène, par ses bruissements des étoffes et des robes, ses embrassades et ses regards, est l’une des plus belles du film, telle un ballet que le réalisateur dit pourtant ne pas avoir chorégraphié.
D’un palais à l’autre, on suit les vies en parallèle des infantes. On pourrait certes reprocher au réalisateur d’avoir trop voulu humaniser ces enfants privilégiés. Et même de s’apitoyer sur leur sort, car celui du peuple était bien pire. Peuple qu’on ne voit d’ailleurs jamais. Mais c’était le choix de Marc Dugain que d’aborder l’histoire sous l’angle « du drame intimiste et de ne pas montrer les pauvres, mise à part la petite fille croisée dans la forêt, comme une métaphore du peuple ». Par ailleurs coproducteur, Marc Dugain était aussi conscient de la nécessité de maîtriser le budget d’un film avec costumes et décors d’époque. Porté par un esthétisme et un remarquable travail sur la couleur, inspirée de certains tableaux du peintre Gainsborough, L’ÉCHANGE DES PRINCESSES est aussi réussi par la qualité de son casting.
La pression d’un héritier et les mariages non consommés auront raison de cet accord, malgré les efforts diplomatiques de l’Ambassadeur Saint-Simon (Vincent Londez). Car L’ÉCHANGE DES PRINCESSES, aussi magnifique que didactique, c’est aussi le récit d’un fiasco historique et des humiliations qui vont de pair avec le renvoi des infantes. Seront définitivement conquis par le film ceux pour qui « ce ne sont pas les faits qui révèlent la vérité sur une époque, mais plutôt l’angle sous lequel on l’aborde, dans le sensible ou l’émotionnel » .
Sylvie-Noëlle
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• Réalisation : Marc Dugain
• Scénario : Marc Dugain et Chantal Thomas, d’après l’oeuvre de celle-ci
• Acteurs principaux : Lambert Wilson, Olivier Gourmet, Catherine Mouchet, Igor Van Dessel
• Date de sortie : 27 décembre 2017
• Durée : 1h40 min