• Réalisation : Marco Bellocchio
• Acteurs principaux : Lou Castel, Paola Pitagora, Marino Mase
• Durée : 1h45min
Cinquante ans après, LES POINGS DANS LES POCHES n’a pas pris une ride. Restauré en version 4K sous la direction du réalisateur lui-même, le premier long-métrage de Marco Bellocchio, qu’il réalisa à vingt-six ans, reste une œuvre intense et intemporelle, critique de la société de l’époque.
Un an après la sortie de Prima della rivoluzione de Bernardo Bertolucci, LES POINGS DANS LES POCHES devient, en 1965, un précurseur des événements de mai 1968 et de la révolte de la jeunesse, symbolisée ici par son personnage principal. Un personnage qui provoque un mélange de fascination et d’effroi, un monstre manipulateur et destructeur décidé à faire exploser le carcan familial et le milieu bourgeois. Comme beaucoup de jeunes de l’époque, Bellocchio est un révolté. Après avoir étudié le cinéma à Rome, il décide de quitter l’Italie, jugée trop provinciale, pour Londres. De là naît LES POINGS DANS LES POCHES, dont l’histoire se révèle étroitement liée à sa famille, ou du moins à son éducation.
Alessandro est un jeune garçon qui souffre de crises d’épilepsie. Avec sa mère aveugle, son frère soufrant d’un handicap mental et sa sœur Giulia, ils donnent à l’aîné, Augusto, un dur labeur. En l’absence de père, tout repose sur ce dernier. Et ses échappées auprès de sa fiancée ou de prostituées occasionnelles ne parviennent pas vraiment à soulager sa frustration et l’étouffement familial. C’est alors qu’Alessandro, admiratif de son grand-frère, s’engage à lui offrir la vie qu’il mérite en se tuant, lui et leur famille, pour le débarrasser de ces « poids ». Un projet qu’Augusto apprend via une lettre écrite par Alessandro. Mais Augusto ne réagit pas. Accepte-t-il cette terrible proposition ou n’y croit-il simplement pas ? Le doute subsiste, bien que l’éventualité de pouvoir enfin vivre sa vie semble particulièrement lui plaire.
L’horreur vient alors aussi bien de l’acte prémédité que de l’absence de réaction et de culpabilité de ce frère témoin et finalement complice. Mais Alessandro n’y parvient pas. Du moins pour l’instant. Distrait, il laisse filer l’occasion. Mais l’envie est toujours là, seule la manière changera. Car sous l’influence de ses pulsions et de sa folie il voit dans ce monde qui l’entoure quelque chose de répugnant. Dans son monde utopique le handicap, la maladie et autres faiblesses n’ont pas de place. Il sera alors le décideur du sort des autres. Même avec sa sœur, un temps sa complice et avec qui il partage une relation incestueuse fortement insinuée par Bellocchio – preuve déjà de toute la finesse du réalisateur. Le cinéaste fait ainsi directement écho à une idéologie nazie, et porte ce personnage vers une horreur toujours plus troublante.
« Un chef d’œuvre dur, où se sublime l’abomination de l’être. »
Avec ce noir et blanc sublime et sa mise en scène si moderne, portée par d’intenses gros plans, Marco Bellocchio nous happe à merveille dans la perversité d’Alessandro. Bourré de tics, imprévisible et inquiétant, il est interprété avec brio par le jeune Lou Castel. Mais la véritable force du réalisateur reste cette intelligence d’écriture, critique de la famille, de la bourgeoisie et de l’Eglise, les bases de la société italienne des années 1960. Des thématiques qui, par la représentation du quotidien d’une famille qui n’a plus rien d’humain et se désagrège de l’intérieur, restent encore très parlants aujourd’hui. Tous coupables (entre vices et folies) et complices, et tous punis, un moment ou un autre, dans l’horreur la plus ultime. A l’image de cette dernière séquence, sublimée par le montage virtuose, faisant passer du visage terrifié de Giulia (déroutante Paola Pitagora) à celui d’Alessandro, en détresse, auquel la composition d’Ennio Morricone répond parfaitement.
Tandis que sortira en fin d’année 2016 son dernier film, Fais de beaux rêves, avec lequel Bellocchio semble avoir fait (en partie) la paix avec la famille, voire la religion, il est intéressant de voir à quel point ce premier film est abouti. Un chef d’œuvre dur, où se sublime l’abomination de l’être.
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