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NUMÉRO UNE, solidarité bienveillante – Critique

Pour son dernier film, NUMÉRO UNE, Tonie Marshall raconte la lutte acharnée mais périlleuse d’une femme pour accéder au pouvoir dans une grande entreprise du CAC 40 .

On sait que l’accession au pouvoir des femmes n’est pas chose aisée. On connaît le fameux plafond de verre, la défense par les hommes de leur pré carré et les limites que se fixent elles-mêmes les femmes. NUMÉRO UNE permet de mieux comprendre les enjeux, les difficultés, les risques et le prix que les femmes doivent payer si elles veulent le pouvoir. Emmanuelle Blachey / Emmanuelle Devos est brillante et ambitieuse. Elle a fait Polytechnique et l’Ecole des Mines, parle le chinois couramment et fait partie du comité de direction d’une très grande entreprise.

Mariée, maman d’une petite fille, elle travaille dans un monde d’hommes qui, s’ils lui reconnaissent ses compétences, ont encore avec elle un comportement aux tendances paternalistes et condescendantes. Ils la ramènent toujours sur le champs des valeurs dites féminines, l’obligeant à faire toujours mieux et plus qu’eux, lui demandant implicitement et sans cesse de prouver sa légitimité.

Tonie Marshall, rencontrée à Bordeaux lors de la présentation du film, dit “avoir découvert une misogynie bienveillante naturelle, pas agressive, mais dont les automatismes semblent profondément ancrés dans une espèce d’ADN culturel”.

Photo du film NUMÉRO UNE

Car la réalisatrice s’est inspirée de ces femmes de pouvoir dans le monde de l’entreprise que sont Anne Lauvergeon, Véronique Morali ou  Laurence Parisot. Elle les a rencontrées grâce à la journaliste Raphaëlle Bacqué, qui a collaboré au scénario. Ce qui peut paraître glaçant, c’est que toutes les anecdotes qu’elle a repris dans NUMÉRO UNE sont vraies, “sauf ce club féministe capable de pousser une femme et de l’amener aussi haut dans les sphères du pouvoir, qui n’existe pas car sans l’appui d’hommes puissants, il n’y a pas de femmes assez puissantes”.

Alors, quand Emmanuelle est approchée par le groupe féministe Olympe pour prendre la tête d’un grand groupe, elle va évidemment y voir une chance. Ce qui intéressait Tonie Marshallce n’était pas tant d’évoquer le pouvoir qui permet de simplement prendre possession, mais celui qui consiste à être dans des endroits stratégiques de décision pour pouvoir réorganiser les modes de fonctionnement et de travail ayant une répercussion sur la société”.  NUMÉRO UNE déroule ainsi toutes les étapes de l’accession à ce pouvoir et donne à voir la façon dont chaque pion se déplace sur l’échiquier.

Numéro Une permet de faire réfléchir à la façon dont les femmes doivent être solidaires entre elles pour pouvoir accéder à un pouvoir qui initie aux changements dans la société.

NUMÉRO UNE se perd parfois dans les dédales complexes de négociations et de sujets hautement stratégiques, avec une volonté d’exhaustivité de faits un peu trop flagrante. Mais le film aborde néanmoins avec une certaine vraisemblance les points de vue des différents protagonistes et livre les arcanes de chaque camp, sous couvert d’enjeux politiques. Et ce qui ressort, c’est que pour parvenir au pouvoir, les femmes semblent obligées d’utiliser les mêmes armes que les hommes, pour occuper leur terrain: chausse-trappes, manœuvres en douce, menaces, chantages, corruption. Ce n’est pas joli-joli, mais le film part du principe qu’elles n’ont pas le choix des armes, justement. En tout cas pas tout de suite. Ainsi, les trois battantes du groupe Olympe, qui jouent parfois un double jeu: Adrienne / Francine Bergé, Véra / Suzanne Clément ou Claire / Anne Azoulay.

Le spectateur peut même se sentir un peu frustré, tant leurs vies et parcours insuffisamment effleurés laissent entrevoir autrement plus d’intérêt et de fascination que l’histoire même d’Emmanuelle. Tonie Marshall avait d’ailleurs à l’origine le projet d’une série racontant le trajet de 8 personnages féminins, mais l’absence d’intérêt et de financement par les chaînes de télévision lui a fait transformer son projet en film. Dommage, car il y aurait eu matière à développer.

Photo du film NUMÉRO UNE

Tonie Marshall a délibérément fait le choix de ne pas faire de son héroïne une “tueuse, agressive et dure”. Au contraire, pour favoriser l’identification du spectateur, elle la voulait “solide, puissante, travailleuse, compétente et réfléchie”, tout en lui octroyant des doutes et des failles et notamment la disparition tragique de sa mère, lorsqu’elle était enfant. Élevée par son père / Sami Frey, professeur universitaire de philosophie évoluant dans d’autres sphères de pouvoir, dont les questions et remarquent permettent à sa fille de prendre un recul nécessaire. Pourtant, à à trop vouloir humaniser cette femme en pleine ascension, à refuser d’en faire une guerrière (la terminologie de combat, de lutte, d’armes et d’adversaires n’est d’ailleurs pas anodine), la réalisatrice prend le risque de ne pas rendre son parcours suffisamment crédible.

Surtout qu’en face, il y a la bande de Jacques Beaumel / Richard Berry, dont la réalisatrice voulait faire le portrait “d’un homme influent , talentueux et charismatique capable d’exprimer la brutalité de sa misogynie et son omnipotence tout en étant sympathique et charmant”. Il est flanqué d’un adjoint qui lui doit beaucoup (Benjamin Biolay) filou et hâbleur. On ne sait pas si NUMÉRO UNE, dont l’une des forces réside dans le casting impeccable, permettra de faire avancer sensiblement la cause des femmes et si l’utopie de Tonie Marshall portera ses fruits. Mais le film permettra sans nul doute de faire réfléchir aux raisons et aux façons pour les femmes d’accéder au pouvoir, qui ne pourra s’envisager sans solidarité bienveillante.

Sylvie-Noëlle

Note des lecteurs11 Notes
Affiche Numéro Une - NUMÉRO UNE, solidarité bienveillante - Critique
Titre original : Numéro Une
Réalisation : Tonie Marshall
Scénario : Tonie Marshall, Marion Doussot avec la collaboration de Raphaëlle Bacqué
Acteurs principaux : Emmanuelle Devos, Richard Berry, Suzanne Clément, Benjamin Biolay, Sami Frey
Date de sortie : 11 Octobre 2017
Durée : 1h50min
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