[dropcap size=small]A[/dropcap]U PLUS PRÈS DU SOLEIL c’est le choc d’une écriture de haute volée !
Le sixième long métrage d’Yves Angelo nous rappelle que le scénario est un art dont il faut savoir gommer lignes et règles, encore perceptibles parfois chez les meilleurs, pour offrir à son histoire un caractère unique et singulier. Dans AU PLUS PRÈS DU SOLEIL le cinéaste livre une construction narrative brillante, libre mais extrêmement précise, pesée, pensée et parfaitement aboutie. Le film est une petite bombe dans le paysage du cinéma dramatique français et captive littéralement ! On est d’autant plus conquis que sur le papier le synopsis ne laisse rien présager d’original. On pense à un drame somme toute classique.
Sophie est juge d’instruction. Elle auditionne Juliette pour des faits d’abus de faiblesse sur son amant. Elle se rend compte après enquête que la prévenue est la mère biologique de l’enfant qu’elle a adopté. Loin de se dessaisir de l’affaire, Sophie s’acharne contre cette femme. Olivier, son mari, désapprouve son attitude et entre en relation avec Juliette sans lui révéler sa véritable identité. Mais la jeune femme découvre qu’Olivier est le mari de sa juge. Elle ne comprend pas ce qu’il cherche, lui ne peut plus lui révéler la vérité…
À l’affiche deux visages. Deux visages que nous retrouverons en plans inserts, regards face camera comme un leitmotiv tout le long du film. Deux visages forts, hypnotiques, qui se ressemblent, s’assemblent, ne font qu’un, viscéralement. On suit le sort inéluctable qui les mènera l’un à l’autre.
AU PLUS PRÈS DU SOLEIL nous plonge dans une tragique descente aux enfers avec pour toile de fond la quiétude et l’ensoleillement d’une ville de bord de mer. Le film est une immersion momentanée, ici et maintenant, dans l’existence des quatre personnages. Comme un oiseau de mauvais augure la camera d’Yves Angelo virevolte, se pose un instant, témoigne, puis s’en va. Elle ne fait que passer. Il choisit de ne jamais la lâcher, tout est en plan séquence, lumière directe, sans aucun champ-contre champ. L’image se déplace, va et vient d’un point à l’autre, en plan serré, toujours, à hauteur de regard d’homme. Une relation intime se créée entre le film et le spectateur, c’est presque une camera subjective de celui qui serait aussi là, comme témoin, nous, assis à la même table mais silencieux. On ne s’attarde pas à évoquer le parcours des personnages. L’avant ne compte pas, on ne sait rien d’eux et pourtant ils sont livrés riches, complexes, nuancés et extrêmement humains. Alors que chacun d’eux se voit embarqué dans un drame intime, le film aborde le sujet de la complexité et de la dualité, ici paradoxale, de l’intime et de la fonction sociale. Sophie et Olivier sont ancrés dans des valeurs professionnelles fortes de droit, de morale et de déontologie. Pourtant, lorsque leur sphère intime se voit menacée, ce sont bel et bien les instincts primitifs contre lesquels ils se battent à travers le personnage de Juliette qui reprennent le pouvoir. Et tout au long du film c’est bien de cela dont il s’agit, la dialectique pouvoir/instinct.
« C’est une sorte de chronique de la jungle ou chacun use du rang, de la force dont la nature ou l’éducation l’a pourvu dans une quête de domination et d’asservissement. »
Sophie règne grâce à son statut de juge d’instruction, elle a le pouvoir d’écarter Juliette par le biais de la justice. Olivier détient la connaissance juridique « je suis un avocat et toi tu n’es…tu n’as pas de preuve, tu ne peux rien » et pense ne rien avoir à craindre de personne. Mais voilà, Juliette, bête charnelle à la sexualité exaltée et à l’épiderme animal détient le pouvoir supérieur. Elle est la Vérité. La vérité que chaque personnage fuit comme la peste. La première scène dans un restaurant luxueux sur la plage sera un écho prégnant de tout le reste du film notamment de l’acte final ou les quatre personnages voguent vers leurs destins sur un superbe bateau de croisière. Dans ces deux scènes Juliette est là ou elle ne devrait pas être, sans rien dire , juste par sa présence, le sang se glace, la panique se répand dans le corps , l’âme vacille et la fatalité s’abat inexorablement. Elle est le diable sublime qui transforme la transparence paradisiaque de la mer en un fond marin opaque et funeste.
Yves Angelo semble suggérer que le pouvoir (divin ?) est entre les mains des femmes. Olivier aura cette phrase « De toute façon le vrai pouvoir des femmes c’est de donner la vie ? Non ? ». De donner la vie oui, les deux personnages féminins donnent tours à tours vie à ce fils, mais elles ont aussi le pouvoir de donner la mort. Alors que Sophie tue symboliquement par le biais du couperet de la justice, Juliette aura raison des deux hommes auxquels elle aura assigné le baiser de la mort. Elle n’en épargnera qu’un seul, le fruit de ses entrailles, en déposant les armes de la Vérité. Dans AU PLUS PRÈS DU SOLEIL, les femmes décident et donnent la vie alors que les hommes vacillent et meurent de peur.
Avant de laisser ses personnages poursuivre leurs chemins , Yves Angelo nous amène avec une grâce enjôleuse jusqu’à la transgression la plus absolue. La scène des retrouvailles entre la mère biologique et son fils est tout bonnement effrayante et insoutenable pour le regard et les tripes. Ils se sont retrouvés, se sont sentis, identifiés, grâce à leur flair et leur peau. Qui a dit qu’il fallait des images dures pour choquer ?
Le casting est sans fausse note, Sylvie Testud n’a depuis bien longtemps plus rien à prouver et le montre encore dans ce rôle de juge d’instruction nerveuse, efficiente et sensible. Gregory Gadebois interprète avec justesse et distance son rôle d’avocat à la force tranquille mais aux convictions intactes, il n’est d’ailleurs pas sans rappeler Eric Dupond-Moretti, une similitude physique sûrement recherchée par le réalisateur qui assoit considérablement le comédien dans son rôle. Mathilde Bisson, quant à elle, peu connue au cinéma, joui du charisme envoûtant d’Emmanuelle Seignier et se fait mante religieuse. Les dialogues sont à l’image du scenario, très bien écrits, chacun dispose de son propre vocabulaire, on pense parfois à de l’improvisation pour Juliette, mais son naturel naïf sert parfaitement le rôle.
AU PLUS PRÈS DU SOLEIL est un film brillant et captivant qui nous tient par les viscères. On en sort choqué mais indéniablement conquis. Au-delà d’une belle leçon de dramaturgie, le film est tout ce qu’on aime dans le cinéma français. Proche, accessible mais incontestablement riche et étonnant. Bravo.
AU PLUS PRÈS DU SOLEIL sera présenté au Festival d’Angoulême 2015.
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LES AUTRES SORTIES DU 9 SEPTEMBRE 2015
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• Titre original :Au plus près du soleil• Réalisation : Yves Angelo
• Scénario :Yves Angelo , François Dupeyron, Gilles Legrand
• Acteurs principaux : Sylvie Testud , Gregory Gadebois, Mathilde Bisson, Zacharie Chasseuriaud
• Pays d’origine : France
• Sortie : 9 septembre 2015
• Durée : 1h43
• Distributeur : Bac Films
• Synopsis : Sophie, juge d’instruction, auditionne un jour Juliette, pour des faits d’abus de faiblesse sur son amant. Elle se rend compte après enquête que la prévenue est la mère biologique de l’enfant qu’elle a adopté. Loin de se dessaisir de l’affaire, Sophie s’acharne contre cette femme. Olivier, son mari, désapprouve son attitude et entre en relation avec Juliette sans lui révéler sa véritable identité. Mais la jeune femme découvre qu’Olivier est le mari de sa juge. Elle ne comprend pas ce qu’il cherche, lui ne peut plus lui révéler la vérité…
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