Juste au cas où vous n’auriez pas bien lu les affiches, le réalisateur de Rango est le type à qui on doit les 3 premiers Pirates des Caraïbes, Gore Verbinski. Le 4e opus de la franchise de blockbuster se fait sans lui et, même s’il affirme haut et fort être toujours en bons termes avec Disney, c’est chez Nickelodeon qu’il a développé, produit et réalisé Rango, un film d’animation plein de promesses dont les bandes-annonces indiquent clairement qu’il cherche à s’approprier les codes du western, tantôt pour le tourner en dérision, tantôt pour lui rendre hommage. Mais comme on ne va pas tarder à le voir, la dualité est sa caractéristique principale…
Le pitch : un caméléon de compagnie (si, si) est éjecté du pick-up à l’arrière duquel il voyageait et se retrouve au milieu du désert. Un tatou écrasé lui indique alors la ville la plus proche, de laquelle il devient sheriff après avoir tué un aigle. Son nouveau statut le pousse alors à tenter de résoudre la tragédie qui frappe les habitants : leur unique source d’eau s’est tarie. S’en suivront moult péripéties rocambolesques et maints rebondissements gros comme des maisons, qui gonfleront un peu les parents mais amuseront et surprendront les gosses qui n’ont pas encore assez d’expériences cinématographiques pour se rendre compte de l’étroitesse du scénario.
A part dans le cas assez spécifique d’une certaine portion de la production japonaise, on sait bien que les films d’animation sont destinés aux petits, et les adultes qui se trouvent dans la salle ne font que les accompagner. Ils sont donc, dans une certaine mesure, réticents : ils savent qu’ils vont sûrement se faire chier, qu’ils vont se taper une histoire d’amour niaise, du pathos à deux balles et de l’humour de merde. Au mieux, ils y vont sans attente particulière, parce qu’il n’y a jamais grand-chose à attendre d’un film pour enfants (troll inside).
Alors, c’est justement parce qu’on ne s’attend à rien que Rango part du bon pied, en nous surprenant d’emblée : le film n’est même pas commencé depuis un quart d’heure que notre caméléon de protagoniste est violemment projeté sur le pare-brise de… Hunter S. Thompson. Wow, la classe. Je veux dire, sérieux, vous connaissez beaucoup de films de Disney qui font des références directes à Las Vegas Parano ? S’en suivront une montagne d’autres allusions de tout aussi bon goût (Chinatown, Il était une fois dans l’Ouest, Arizona Dream, Apocalypse Now), qui attendront leur paroxysme avec l’apparition LSD-esque de Clint Eastwood, qui amènera peut-être même certains d’entre vous à rapprocher Rango de Dead Man. On y retrouve par certains côtés une fascination semblable pour le mystique et les réflexions sur le destin et la fatalité. L’ombre de la mort plane d’ailleurs constamment sur le film, rappelée à notre bon souvenir à intervalle régulier par un groupe de hiboux mariachis s’adressant directement au spectateur… et, bien entendu, par l’omniprésence des armes à feux. Ce dernier point est d’ailleurs une des vraies particularités de Rango.
Alors, évidemment, on pourra arguer que ce n’est pas la première fois qu’on voit un flingue dans un film d’animation pour la jeunesse. Le méchant chasseur de Rox et Rouky avait bel bien un fusil. Et ce n’est pas non plus la première fois qu’on voit un cadavre dans ce genre de film : toute une génération a été traumatisée par celui de la maman de Bambi, et la suivante par celui du père de Simba. En cherchant, on doit aussi pouvoir trouver d’autres occurrences d’alcool ou de cigarettes, et il serait donc facile de conclure que faire figurer tout cet attirail dans Rango n’est finalement pas si badass que ça. Pourtant, je maintiens que ça l’est, et que Gore Verbinski a exhibé une paire de couilles considérables avec son film, non pas parce qu’il y a fait figurer des flingues, de la violence et des morts, mais parce qu’il les a présentés d’une manière qui est contraire à la bonne morale puritaine : chez Verbinski, toutes ces choses révoltantes sont cool. En y réfléchissant, c’est même complètement dingue que les comités ricains n’aient pas purement et simplement interdit la diffusion de son film auprès des enfants, tant il est porteur de valeurs douteuses.
Voilà le topo : au début du film, Rango est un pauvre petit caméléon mal dans sa peau (comme en témoignent ses difficultés à changer de couleur) qui a du mal à trouver son chemin dans la vie. Comme Clint dans la Trilogie des Dollars ou Charles dans Il était une fois dans l’Ouest, il n’a pas de nom. Il ne sait pas qui il est, pas plus qu’il ne sait réellement qui il voudrait être. Au cours du film, il suit un parcours initiatique qui forgera sa personnalité et fera de lui quelqu’un, tandis qu’auparavant il n’était personne ; ça sonne un peu comme La Psychologie pour les Nuls, mais vous voyez l’idée. Les premiers évènements significatifs de sa nouvelle vie seront un mensonge et un meurtre. Le meurtre est accidentel, mais il en est tout de même l’auteur et, plus important, il tient pleinement à en assumer la paternité, car cet acte est ressenti comme héroïque, et lui attire la sympathie des habitants de la ville.
Son mensonge initial sera par la suite démasqué, avant qu’il se retrouve obligé de quitter la ville face à la vindicte populaire. Les bons-penseurs seront alors satisfaits, car la morale est sauve : au bout du compte, les menteurs sont punis. Rango est humilié sur la place publique par un monstrueux serpent à sonnette qui révèle que notre cher caméléon – auquel les enfants s’identifient, souvenez-vous en – n’a pas assez de tripes pour le descendre d’une balle entre les deux yeux, et n’est donc pas le héros qu’il prétend être.
A la fin du film, les deux antagonistes se retrouvent dans une situation similaire, à une différence près : à présent, le regard de Rango brille d’une lueur féroce, et le serpent flippe sa race. Symboliquement, c’est le moment exact à partir duquel on comprend clairement qu’il a outrepassé sa crise existentielle et qu’il a enfin trouvé qui il était. Pour faire court : Rango a achevé son passage à l’âge adulte au moment où il a trouvé en lui la force d’être un meurtrier de sang-froid. Et c’est un flingue qui lui a donné le pouvoir nécessaire pour achever cette transition. Dans tous les Disney et les Pixar que vous pourrez trouver, ce sont toujours les méchants qui utilisent des armes à feu, et les cadavres nous rendent tristes parce qu’ils sont ceux d’être chers. Dans Rango, les armes à feu, c’est cool, et on est content de voir les méchants mourir, puisque c’est le héros lui-même qui les a descendus, qu’on les voit mourir à l’écran ou non.
Tout ceci tendrait à prouver, évidemment, que Rango est un film résolument moderne, couillu, destiné à un public qui sait faire la différence entre une salle de cinéma et une salle de classe : des ados ou des jeunes adultes, les mêmes qui se régaleront devant Akira quelques années plus tard. Malheureusement, tout n’est pas si facile, et le film se prend rapidement les pieds dans les contraintes intrinsèques liées à son public-cible. Car dans les faits, on ne les répètera jamais assez pour pondérer les bouquets d’éloges sous lesquels il croule, Rango est un film pour les enfants, les vrais, ceux qui trouvent ça rigolo quand un personnage pète ou quand un lézard hurle en sautant partout. C’est ce public-ci qui tendra à rentabiliser les 135 millions de budgets accordés à Gore Verbinski, et c’est donc à ce public-ci qu’il doit faire plaisir, avant tout. Alors, quand on parle de la manière dont le réal réinvente les codes du western et quand on vante l’univers référentiel du film, il ne faut jamais oublier que tout cela se fait dans les limites de ce qui est permis par un film pour gosses.
Le scénar de Rango est d’une simplicité affligeante pour bien que les enfants puissent en saisir les non-subtilités. Les personnages sont pratiquement tous archétypaux et inintéressants, bien que superbement designés d’un point de vue visuel. Le rythme du film, quant à lui, est juste insupportable : les courses-poursuites et les scènes d’actions sont beaucoup trop nombreuses pour pouvoir développer une ambiance de fond solide et, surtout, beaucoup trop longues pour qu’on ne s’en lasse pas rapidement. Si les gamins s’amuseront à voir des taupes chevaucher des chauves-souris pendant 20 minutes, les autres s’emmerderont ferme au bout de 5. D’ici là, ils n’auront qu’à prendre leur mal en patience d’ici que l’intrigue puisse progresser, et qu’on puisse enfin voir les personnages faire autre chose que hurler et bondir dans tous les sens… Plus on vieillit et moins on est sensible au comique de geste, faut croire.
Alors, à défaut de pouvoir vraiment rentrer pleinement dans un film qui passe son temps à flirter avec le spectateur adulte avant de le rejeter, on peut prendre du recul pour kiffer les caractéristiques techniques de l’animation.
Et là, il y a de quoi se régaler : visuellement, Rango est une petite merveille, un chef d’œuvre qui se place à plusieurs coudées au-dessus de l’énorme majorité de ce qui se fait actuellement en la matière, non seulement en matière de texture, mais aussi du point de vue du style et du ressenti humain. La ville et les décors de Rango forment une toile de fond à mi-chemin entre Tim Burton et John Ford, sans pourtant tomber dans la faute de goût. La plastique du film constitue en grande partie à la réussite de son ambiance western, mais cette dernière ne serait rien sans la BO qui l’accompagne. Comme sur Pirates, c’est Hans Zimmer qui est en charge de donner une texture musicale à l’action, une tâche dont il s’acquitte avec plus ou moins de brio… D’abord, Zimmer nous surprend agréablement en se révélant plutôt doué pour composer des pièces mi-mariachi mi-spaghetti – jouées par une bande de hiboux aux grands yeux tristes qui font office de running gag – avant que son naturel reprenne le dessus. Et son naturel, on le connaît bien : des cordes, des cuivres, des tambours, des rythmes soutenus en canon, un goût toujours trop prononcé pour la démesure et la grandiloquence, qu’il pousse jusqu’au-delà des limites de l’écœurement. Il nous ressort la même merde de film d’action avec laquelle on nous bassine depuis au moins 30 ans, apparemment sans se soucier de questions évidentes de cohérences, et sans que ça l’emmerde de démolir la saveur poussiéreuse que son réalisateur s’escrime à construire. Zimmer est trop vieux et trop surestimé pour qu’il change sa personnalité aujourd’hui, mais ce point méritait tout de même d’être évoqué.
Le fait que Zimmer joue sur 2 plans, qu’on n’arrive pas à discerner clairement quelle est son intention ni la direction dans laquelle il va réellement se révèle au final être totalement symptomatique du film qu’il habille. Rango est une perle visuelle et le cast vocal est peut-être un des meilleurs jamais assemblé, mais les enfants n’en ont sûrement rien à foutre, tout comme ils ne seront pas sensibles aux allusions et références qui balisent le film ; ils aimeront, en fait, exactement tout ce qui insupportera le cinéphile moyen. Rango est à ajouter à cette longue et désespérante liste de films qui auraient pu être réellement géniaux tandis qu’ils se contentent d’être bons. Une petite pointe d’amertume subsiste, mais pas de lézard cependant, le verdict global reste positif : si les enfants ne sont pas encore des adultes, il reste en tout adulte une part d’enfance.