Adapté du best seller de Maylis de Kerangal, REPARER LES VIVANTS raconte vingt quatre heures dans la vie de deux familles, l’une complètement bouleversée par la perte de leur fils, l’autre en attente d’un cœur salvateur. Après la mort, c’est la vie qui doit continuer et même possiblement réparer ceux qui restent. Une vie pour une autre grâce au don d’organe. Katell Quillévéré, qui a déjà à son actif deux très beaux films Le poison violent et Suzanne, revient avec un film d’une grande force. Un film cathartique et remuant.
Simon a 17 ans. Il aime Juliette, ses potes et faire du surf. Au petit matin, il retrouve ses amis à leur camionnette après avoir traversé tout le Havre en vélo, direction la mer. Cela pourrait être filmé en temps réel, peu importe, on a déjà basculé vers un compte à rebours intenable, une course inéluctable vers la mort car ici pas de surprise, on sait qu’on ne va pas pouvoir inverser le cours des choses. Nous sommes d’emblée embarqués par chacun des plans que l’on vit de façon cathartique. L’accident imminent donne à chaque geste une ampleur singulière et la réalisatrice compose son film comme une partition qui décline à la fois une sorte d’autopsie des événements et d’intériorité invisible de ce que vivent les personnages.
Ainsi les premiers plans de Simon littéralement dans le creux de la vague sont absolument éblouissants et au-delà de la beauté de l’image (très beau travail du chef opérateur Tom Harari), ils parviennent à montrer une autre profondeur, celle qui nous habite et nous transporte. Les éléments se confondent (la terre-bitume et l’eau) et finissent par nous aspirer comme Simon. Le réveil est dur pour Marianne (Emmanuelle Seigner), la mère de Simon. Là encore Katell Quillévéré prend le temps de raconter ces minutes-là sans ellipse possible.
Marianne se précipite à l’hôpital, bientôt rejointe par Vincent le père (Kool Shen). Simon est en état de mort cérébrale mais son coeur bat encore. Comment dès lors accepter qu’il n’y ait plus rien à espérer ? Le film raconte aussi le travail des médecins, des infirmières (Monia Chokri) et des coordinateurs (ici Thomas interprété par Tahar Rahim), leur mission pour le moins délicate d’annoncer la pire nouvelle que des parents peuvent imaginer. Et puis parvenir à leur faire entendre que le don d’organe pourrait sauver une autre vie au moment même où tout s’effondre pour eux. Ces moments-là sont extraordinairement justes et d’une pudeur extrême. Marianne et Vincent se retrouvent et, dans une très belle scène dans l’atelier de Vincent, alors que Marianne reste assise en silence, Vincent travaille le bois. Ils reviennent à l’hôpital, font leurs adieux à leur fils et acceptent le don d’organe. Ce chapitre se clôt magnifiquement par les derniers mots des parents de Simon que Thomas lui susurre à l’oreille pendant que le bruit des vagues l’accompagne à partir pour de bon. Tétanisant.
La seconde partie autour de l’histoire de la receveuse commence alors, comme un autre mouvement de cette partition. Claire (Anne Dorval) est atteinte d’une maladie du cœur qui la condamne à une mort certaine. Son médecin (Dominique Blanc) la persuade de recevoir un nouveau cœur, mais le sien balance : n’est-ce finalement pas le signe naturel que sa vie doit s’arrêter au rythme de son propre cœur atrophié ? Claire a deux fils déjà grands (Finnegan Oldfield et Théo Cholbi), une amante qu’elle ne voit plus (Alice Taglioni plus belle que jamais) et sa santé la contraint à quitter sa maison pour vivre dans un appartement parisien. Elle est à l’âge où l’on se dit qu’on approche de sa fin et qu’il faut peut être simplement accepter de partir même si c’est encore tôt. Comment vivre avec le cœur d’un mort ? Doit-on continuer à vivre pour soi ou pour ceux qui nous entourent et nous aiment ? Autant de questions qui transpirent derrière les silences, les moments où l’on se retourne une dernière fois vers le lieu qu’on quitte, les minutes où l’on aimerait enlacer son fils absent avant la greffe qui risque de sonner le glas.
Tous les personnages se déploient dans ce récit, pas de second rôle, chacun nous relie les uns aux autres comme une toile solidaire qui ressemble à cette chaine humaine mise en œuvre pour sauver une vie. Les scènes où l’on suit le protocole et le voyage du cœur de Simon jusqu’à l’opération finale est en cela un hymne à l’humanité et à la vie dans ce qu’elle a de meilleur. Katell Quillévéré choisit d’ailleurs de filmer la greffe de façon quasi documentaire tout en extrayant l’aspect purement magique de cette opération, nous rapprochant ainsi toujours plus près de ce qui nous échappe.
« Le cœur du film est la question du lien entre ces individus et comment s’organise cette chaîne pour prolonger une vie, pour transformer la mort. »
Katell Quillévéré
Sa mise en scène est en cela très instinctive, elle épouse la temporalité de ses personnages. Tout est mouvement mais rien n’est précipité, la caméra prend le temps de vivre avec chaque protagoniste pour les laisser s’incarner, être. D’ailleurs la cinéaste avoue que pour choisir son (merveilleux) casting, elle a passé du temps à regarder des interviews d’eux pour capter ce qu’il y avait de “vrai“ chez eux, derrière les acteurs qu’ils sont. C’est cette matière “vraie“ avec laquelle elle compose et qui permet au film d’être à la fois si juste et si profond.
Et puis bien sûr il y a la question cruciale du don, du don de soi, du don d’organe. Katell Quillévéré n’élude pas les questions légitimes qui se posent comme celle de l’identité non avouable du receveur, ni même celle des organes qui seront prélevés (“Pas ses yeux“, implore Marianne). J’ai un ami très proche qui a subi la même opération il y a deux ans. Il ne serait plus là aujourd’hui sans ce cœur anonyme qui bat désormais en lui. Une chose est sûre, une greffe soulève bien des interrogations mais c’est justement là que réside toute la beauté de ces histoires : ce don qui nous lie à jamais à d’autres êtres dans un secret enfoui.
Anne Laure Farges
• Réalisation : Katell Quillévéré
• Acteurs principaux : Emmanuelle Seigner, Anne Dorval, Tahar Rahim
• Durée : 1h43min