Comme toute la galaxie, j’étais très impatient de regarder STAR WARS VII : LE REVEIL DE LA FORCE, non pas pour témoigner de la résurrection d’une histoire vieille de 30 ans, mais parce que ce film est réalisé par J.J. Abrams, que j’estime énormément depuis la création de sa série Alias jusqu’à sa relecture de Star Trek. Son film Super 8 m’avait plu également pour sa capacité à renouveler les thèmes et variations des blockbusters hollywoodiens, dans la pure veine d’un Spielberg. J.J. Abrams avait toutes les qualités pour relever le défi de concevoir une suite à la trilogie la plus célèbre de tous les temps, tout en insufflant de sa personnalité, comme tout bon auteur.
Malheureusement, STAR WARS VII est en tout point la copie conforme au Star Wars IV : Un nouvel espoir, premier film écrit et réalisé par George Lucas. Autant du point de vue scénaristique, thématique ET visuel, les deux films se confondent. Malgré l’apparition de nouveaux héros, ils sont l’écho lointain des anciens et ne sont destinés qu’à rassembler ces vieilles icônes : Han Solo, Chewbacca, la princesse Leïa, Luke Skywalker, Dark Vador, l’empereur Palpatine, l’étoile de la Mort, etc. J’étais évidemment conscient dès la bande-annonce d’en retrouver certain, c’est le principe d’une suite. Mais mon plaisir a été gâché en constatant qu’il s’agissait surtout d’une accumulation sans logique scénaristique. Les personnages et les références semblent sortir du chapeau d’un magicien. Difficile alors de ne pas y voir du pur « fan service. » Personnellement cette logique m’insupporte. Pour moi on écrit d’abord une bonne histoire et on tente après de donner quelques références pour flatter la connaissance des fans. Dans STAR WARS VII on a inversé cette logique : d’abord accumuler les références pour les fans, puis essayer de trouver un fil conducteur pour que cela semble « logique » de les croiser. Mais ça ne l’est pas.
Avec sa connaissance des épisodes précédents, du trailer et du pré-générique, le spectateur aura la désagréable sensation qu’il connaît d’avance ce qu’il va advenir à l’écran. Hommage ? Nostalgie ? On atteint un degré de ressemblance où il faudrait plutôt parler de plagiat, si l’achat de la licence par Disney à Georges Lucas n’autorisait pas légalement le studio à un tel pillage intellectuel et artistique.
A mesure que l’intrigue se développe, on se rend compte que l’essentiel de l’enjeu n’est pas sur l’écran, mais autour de la sortie du film. On a beaucoup vu, entendu et lu la fatidique question : « STAR WARS VII contentera-t-il les fans ? », comme s’il s’agissait de nourrir un monstre, de peur qu’il nous dévore. Il est absolument certain que le film ravira ceux qui attendent la même chose qu’en 1977 mais en (légèrement) différent, ainsi que leurs enfants ou petits-enfants qui ne voudraient pas regarder les vieux films. Par contre pour tous les autres spectateurs, qui ne sont pas des fans hard-core de Star Wars mais qui ont tout de même apprécié les anciens films, le spectacle est beaucoup moins divertissant… par manque d’originalité.
Le marketing autour de STAR WARS VII a été conçu pour les fans, mais il semble avoir préexisté à l’histoire qu’il était censé vendre. D’habitude on crée un film, puis on essaye de trouver la meilleur stratégie marketing. Ici, les priorités semblent avoir été inversées.
Depuis ses origines les plus lointaines, le cinéma a toujours été sous l’influence de deux côtés complémentaires et antinomiques à la fois : la création et le marketing. Impossible de pouvoir faire un film sans l’un ou l’autre, mais le danger est grand lorsque le cinéma est déséquilibré, qu’il ne penche qu’exclusivement d’un seul côté. A la fin des années 60, une bande de preux chevaliers Jedi du cinéma américain indépendant osèrent défier l’empire moribond d’Hollywood ; un empire devenu décadent à force d’employer les mêmes recettes jusqu’à l’épuisement des spectateurs. Le public s’était progressivement lassé des films noirs, des films de gangsters, de pirates, de romance à l’eau de rose et des comédies musicales. Plus un seul genre ne semblait convenir au goût du public. Il faut dire que le côté obscur du cinéma, le marketing, aime par dessus-tout la reproductibilité et la prévisibilité. C’est sa grande force, mais aussi ce qui semble in fine le détruire de l’intérieur.
Pourtant le public ne répondait plus à ses formules toutes prêtes, il voulait voir du neuf. Arrivèrent alors les jeunes cinéastes de ce qu’on appellerait plus tard le « Nouvel Hollywood » (De Palma, Coppola, Spielberg et… Georges Lucas), formés à l’université et inspirés par la « politique des auteurs » promue par une revue de cinéma française : les Cahiers du Cinéma. Ces jeunes cinéastes comprenaient la nécessité de divertir le public, mais aussi de leur proposer quelque chose de neuf, qui vaille la peine de se déplacer plutôt que de regarder la télévision. Ils savaient aussi qu’ils avaient besoin de plus de liberté que celle accordée d’ordinaire à un réalisateur par les studios. Ils profitèrent donc de la faiblesse de cet empire qu’était Hollywood pour le pervertir de l’intérieur. Le blockbuster moderne était né : Les dents de la mer, Le Parrain et bientôt … Star Wars IV: Un nouvel espoir.
A l’époque, le cinéma semblait avoir retrouvé un équilibre entre le marketing et la création. Les œuvres étaient divertissantes et originales, le merchandising aidait à la promotion du film et vice-et-versa.
Je n’avais jusqu’ici aucun problème avec ce système tant qu’il permettait l’émergence à intervalle régulier de bons films. J’aime personnellement plusieurs suites de films originaux. Je considère même Mad Max : Fury Road et Mission Impossible : Rogue Nation comme deux des meilleurs films de l’année 2015. Donc l’exploitation commerciale d’une licence n’est pas a priori contradictoire avec une vision d’auteur et un spectacle surprenant. On pense évidemment à Christopher Nolan qui avait réussi à tirer la licence Batman vers ses problématiques personnelles. Il était à la fois revenu à la source du personnage et en avait « trahi » le cahier des charges, pour un succès critique ET publique.
Avec STAR WARS VII, Hollywood a mon sens a définitivement plongé vers le côté obscur de la force : le marketing pur dont la finalité est déconnectée du propos du film ou de sa capacité à divertir. Hollywood semble de moins en moins vendre du rêve grâce aux franchises, mais de plus en plus les franchises elles-mêmes. Au-delà de l’argent récolté par les jouets, jeux-vidéos et autres produits dérivés, une partie sans-cesse croissante des revenus dégagés par un film produit dans ce système vient des droits que la compagnie cède sous condition à d’autres entreprises pour bénéficier de l’image de la sortie du film. Vous avez tous pu constater le nombre de publicités avant le film, qui vendaient l’esprit « Star Wars », parfois dans un sens totalement absurde. La tendance est de faire du film une pub pour d’autres pubs… La stratégie a le mérite d’ancrer dans l’esprit d’une nouvelle génération Star Wars comme référence culturelle inévitable.
Il est clair qu’en vendant sa licence à Disney, Geroges Lucas a finalement succombé au côté obscur, alors même qu’il avait tenté d’en échapper avec l’écriture (longue et difficile à ce qu’on raconte) du tout premier Star Wars de 1977. On peut en effet aussi voir Star Wars IV : Un nouvel espoir comme la volonté d’un jeune auteur (un apprenti Jedi) de s’émanciper de l’empire oppressant (Hollywood) en se dotant de « pouvoirs » (Lucas Art et toutes les autres sociétés qu’il a fondé pour innover dans les effets spéciaux, le son, la production, etc.). (cf. Techniques de scénario, par Pierre Jenn) Les sirènes de l’argent auront eu raison de cet ancien maître…
Mais qu’en est-il du jeune padawan J.J. Abrams ? Le réalisateur ne s’est pas caché de son premier refus de s’atteler à la suite des aventures de Georges Lucas, sous la tutelle de Disney. Et puis il a vu la possibilité de pouvoir jouer avec les anciens personnages qui l’avaient fait rêver enfant, comme s’il pouvait se servir des vrais personnes à la place des figurines de collection qu’il affectionnait tant. L’attrait a du être immense, car J.J. Abrams avait également déclaré en avoir « marre des films dont le titre est suivi d’un numéro« . Des franchises, las, comme nous, il était.
Pourtant avec son STAR WARS VII ne fait rien d’autre que de transformer ce prestigieux héritage en « Marvel dans l’espace ». C’est la même logique que celle des reboots de super-héros. On nous présente chaque année un nouveau film du même super-héros, en nous prétendant que c’est plus grand, plus fort, plus incroyable, mais au fond c’est toujours la même m$$de, avec toujours plus de comédiens en collants sur fonds verts.
Bien sûr, cette entreprise de capitalisation par franchise n’a pas commencé avec STAR WARS VII, mais mon ras-le-bol vient en proportion des grandes attentes que j’avais de ce film. Avec un réalisateur-producteur talentueux et innovant à sa tête on pouvait espérer que le film soit plus original que la simple transcription des épisodes passés. 10 ans séparent l’épisode III de l’épisode VII, mais ce temps n’a pas servi à la réflexion pour proposer aux fans et aux spectateurs amateurs de divertissements, un film vraiment surprenant.
« STAR WARS VII aurait pu être un film, c’est avant tout du fan service. Hollywood ne vend plus du rêve, mais des franchises. »
Mon agacement va de paire avec l’extension sans fin des univers Marvel, X-Men, James Bond et Jurassic World. Par son origine indépendante (Lucas en 1977 était un franc-tireur), je mettais dans Star Wars de grandes espérances. La « marvélisation » de l’identité Star Wars est pour moi le symptôme d’un mal beaucoup plus grand. Si Star Wars n’a pas pu empêcher sa prolifération, alors il y a bien peu d’espoir pour que cette épidémie s’arrête. Ce qui me dérange le plus dans STAR WARS VII est la disparition totale de la vision de l’auteur qu’a J.J. Abrams dans d’autres films. Il y a un thème très fort qui émane de la première trilogie (IV, V, VI), celui de la formation du héros, auquel le spectateur pouvait s’identifier. Dans STAR WARS VII on passe de la nostalgie, à la formation de deux héros, puis à l’affrontement du Bien contre le Mal et finalement au poids du passé sur le présent. Ces thèmes étaient certes déjà présents dans les précédents films, mais disposaient d’un thème principal plus clair, reflétant la vision de l’auteur. STAR WARS VII manque d’une colonne vertébrale sur laquelle appuyer son récit, c’est uniquement un immense patchwork des précédents Star Wars.
On peut reconnaître à J.J. Abrams le talent d’avoir imposé de nombreux effets-spéciaux à l’ancienne (animatronics, masques, accessoires et décors construits physiquement) et de les avoir très bien dosé avec les effets-spéciaux numériques. Mais à part cette touche de « magie » (qu’avait déjà très bien utilisée Guillermo del Toro dans Hell Boy II) il est difficile de retrouver la personnalité ou les obsessions de J.J. Abrams dans ce nouveau film.
Alors oui, J.J. Abrams a bien répondu à toutes les exigences des fans, comme s’il remplissait au fur et à mesure une liste de provisions au supermarché. Mais a-t-il crée une œuvre ? Par rapport à Super 8 ou Star Trek, pas le moins du monde. Le voici désormais au sommet de sa carrière. En tant que producteur il peut faire et défaire les gloires futures. Que fera-t-il de cet immense pouvoir ? Tombera-t-il définitivement du côté obscur ? Ou reste-t-il un espoir ? Aujourd’hui, le véritable Nouvel Ordre, pas celui du film, mais celui imposé par le marketing à l’œuvre dans le cinéma, semble avoir écrasé toute rébellion. Parce que je crois que ce qui en fait sa force, sera aussi ce qui le détruira une nouvelle fois de l’intérieur, le marketing dans le cinéma de divertissement finira par connaître une nouvelle défaite aussi tonitruante que celle qu’il a connu fasse au Nouvel Hollywood. Plus que jamais nous avons besoin d’artistes, auteurs, scénaristes et réalisateurs pour rétablir l’équilibre.
Je sens un frémissement dans la création. Partout dans le monde des cinéastes indépendants réinventent de nouvelles manières de financer, distribuer et communiquer autour de leurs films. Qui sait, peut-être est-ce le réveil d’une nouvelle force ?
D’ACCORD ? PAS D’ACCORD ?
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[column size=one_half position=last ]+ CRITIQUE
+ Star Wars VII : de l’autre côté du miroir
+ Star Wars VII : stop au fan service !
+ Star Wars : quand le futur s’immisce dans le passé
+ Star Wars : une expérience propre à chacun
+ Rétrospective honnête : Star Wars, dans les épisodes précédents…
• Réalisation : J.J. Abrams
• Scénario : Lawrence Kasdan, J.J. Abrams, Michael Arndt, d’après George Lucas
• Acteurs principaux : Daisy Ridley, John Boyega, Oscar Isaac
• Pays d’origine : U.S.A.
• Sortie : 16 décembre 2015
• Durée : 2h16min
• Distributeur : The Walt Disney Company France
• Synopsis : Dans une galaxie lointaine, très lointaine, un nouvel épisode de la saga « Star Wars », 30 ans après les événements du « Retour du Jedi ».
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