Cela faisait près de vingt ans que Jeff Bridges souhaitait adapter le roman de Lois Lowry sur grand écran ; et hélas on peut dire qu’en sortant maintenant, le film souffre d’une comparaison directe avec les autres récits de science-fiction et de dystopie puisés dans la littérature jeunesse ces dernières années (Hunger Games, Divergente et autre Labyrinthe se taillant allègrement la part du lion au box-office).
Ici, on retrouve une nouvelle fois un personnage principal adolescent se découvrant un destin messianique qui l’incitera à remettre en questions toutes les règles et les vérités établies par la société dans laquelle il a grandi. Si au premier abord, The Giver risque de se voir reprocher la ressemblance de la cérémonie de passage à l’âge adulte et le parcours initiatique qui s’en suit avec les mêmes éléments déclencheurs de l’intrigue de Divergente, le spectateur ne doit pas oublier que le roman d’origine date en 1993, bien avant que les sagas dédiées aux adolescents n’envahissent les rayons des librairies.
Toutefois, si l’originalité du concept n’est pas à remettre en cause, je reste davantage perplexe en ce qui concerne son traitement choisi par Phillip Noyce, un réalisateur qui n’en est pourtant pas à son coup d’essai. Le film a le mérite de proposer une évolution de l’image mettant en exergue l’apprentissage de Jonas, son héros : au début le noir et le blanc exprime la monotonie et la fadeur de son existence, puis l’apparition progressive des couleurs soit par un effet ponctuel façon Sin City, soit par la coloration minimale de toute l’image, révèle les émotions qui naissent chez le jeune adulte en quête de maturité. Une idée judicieuse mais qui à elle seule ne suppléait pas au manque d’inspiration de la narration.
Le film semble rester prisonnier jusqu’à la fin de son registre destiné à un jeune public, se privant ainsi de la subtilité qu’exige pourtant son récit.
La mise en scène aurait pu servir à décrire les émotions de Jonas dans la première demi-heure, puis sa confusion suivie de sa prise de conscience par la suite, si Noyce et son équipe avait su trouver quelques idées expressionnistes et métaphores visuelles. Mais The Giver semble rester prisonnier jusqu’à la fin de son registre destiné à un jeune public, quand il appuie chaque révélation du mentor et rend explicite chaque questionnement de l’élève, au risque de gâcher toute tentative de subtilité. Le manque d’inspiration se fait clairement sentir quand se répètent sur une musique sans personnalité, des séquences fourre-tout reprenant les images fortes et sensationnelles des publicités pour appareil photo ou pour agence de voyages (vous savez ces montages d’instants magiques venus des quatre coins du monde). A croire que les producteurs ont estimé qu’un traitement plus sensoriel et plus audacieux n’était pas accessible aux plus jeunes: étonnant non ?
Rien de bien maladroit dans le déroulement de l’intrigue cependant, quelques éléments secondaires (notamment le sort des nouveaux-nés et le comportement des parents) apportent même une certaine crédibilité à la société dans laquelle vit le héros, et on se prend assez vite d’affection et d’estime pour ce bon vieux Jeff Bridges, dont le personnage semble pour le coup, habité, vivant voire hanté. Mais la faiblesse du film vient plutôt de sa trop courte durée, qui ne laisse pas le temps à une narration et une réalisation plus inspirée de s’installer et cloisonne le récit dans un rythme qui empêche toute subtilité. Si l’ensemble se laisse voir sans laisser place à l’ennui, ni même à la moquerie, on regrette que la précipitation de son histoire fondée sur des postulats technologiques plausibles (distribution de pilules, drones de surveillance, communication par hologrammes etc…) donne l’impression que son dénouement n’est a contrario qu’un raccourci mystique; et que les dialogues trop naïfs et manichéens ne font pas honneur à ce concept ambitieux où devrait se mêler réalité politique et hypothèse philosophique. Dommage.
Arkham