• Réalisation : Rupert Goold
• Acteurs principaux : James Franco, Jonah Hill, Felicity Jones
• Durée : 1h40min
Dans une prison de l’Oregon, Christian Longo (James Franco, sur tous les fronts ces derniers temps !) attend son jugement pour meurtre sur les personnes de son épouse et de leurs enfants. Dans une maison isolée du Montana, le journaliste Mike Finkel (Jonah Hill) tente de remonter la pente après avoir été congédié pour faute professionnelle par son employeur, le prestigieux New York Times. Intrigué par le fait que le premier est choisi d’utiliser son nom comme couverture lors de sa fuite, le reporter en quête de blason à redorer se met en tête de le rencontrer.
Leur joute verbale va durer plusieurs mois d’une intense partie d’échecs sans pions. A mesure que Christian lui révèle des pans de sa vie, l’obsession de Mike pour son condamné croît de manière disproportionnée. Chacun cherche des connexions, un lien entre eux qui pourrait expliquer leur fascination mutuelle. Mais rien. Le destin. Deux brebis presque égarées retrouvant leur identité dans la Némésis qu’ils se créent, au fil de leurs conversations. Ce n’est pas par hasard que Mike choisit le titre du livre qu’il entend écrire sur Christian : TRUE STORY.
Une histoire vraie ? Pas si sûr. Christian Longo rappelle un peu ce personnage de dessins animés, ce loup tourné en ridicule, qui porte généralement une peau de mouton afin d’infiltrer le troupeau qu’il veut dévorer. Est-ce ce sourire en coin ou sont-ce ces silences contrôles ? Difficile certes d’accorder sa confiance à un homme que l’on accuse d’avoir étranglé sa fille de trois ans avant de la jeter au fond d’une rivière, dissimulée dans une valise. A l’autre extrémité de l’éventail de références, on trouve alors Hannah Arendt et son courageux Eichmann à Jérusalem (1963), dans lequel la philosophe évoquait déjà la « banalité du Mal », observant le paradoxe suprême : comment cet homme si rachitique, si commun, Adolf Eichmann, ancien officier nazi jugé en Israël pour crimes contre l’humanité, pourrait-il avoir été un tel monstre ?
En acceptant d’entendre son histoire, Mike Finkel réécrit Christian Longo, lui réinvente une identité. La fertilité de leurs échanges se calque sur la stérilité de leur environnement, la blancheur de la cellule, les angles droits de la salle d’audience, l’open space du New York Times, vite quitté, ou la neige du Montana. Pour eux, l’existence devient celle de leurs discussions. Leur seule échappatoire contre la page vierge qu’est leur monde et qu’ils noircissent ensemble. Christian et Mike s’écrivent souvent, s’autorisent l’un l’autre à survivre. Mike remplit la promesse narcissique d’un homme ordinaire qui ne veut que le feu des projecteurs. Christian remplit la promesse d’un nouveau départ pour un journaliste discrédité par ses erreurs. Et lorsque la loi vient rappeler à Mike qu’il protège peut-être l’intimité d’un coupable, ce dernier refuse de partager la moindre information. Leur cloche de verre est celle d’une plante rare, d’une plante fragile et venimeuse. Un microclimat.
On ressort avec l’impression d’avoir vu cela cent fois et pourtant d’avoir accédé à de l’inédit.
Petit à petit, ces deux identités d’abord singulières se fondent en une synthèse. James Franco et Jonah Hill brouillent les lignes distinctives entre eux, leurs caractères s’égalisent, leur jeu d’acteur se répond. Ce sont Liv Ullmann et Bibi Andersson dans Persona, de Bergman, leurs visages mélangés dans le reflet d’un miroir. En fermant les yeux, on pourrait même confondre leurs voix, ne plus savoir qui a réellement tué les gamins ou qui joue sur le voyeurisme de qui, qui chasse à vue et qui se terre. Autour de la table émergent un Mike Longo et un Christian Finkel, journaliste meurtrier et prisonnier écrivain.
Le grand paradoxe de TRUE STORY apparaît alors. Ce genre d’affrontement dual, cette mécanique du ‘un-contre-un’, a beau être une marotte du cinéma, le film renouvelle le propos encore et encore. On ressort avec l’impression d’avoir vu cela cent fois et pourtant d’avoir accédé à de l’inédit. Une explication des critiques mitigées reçue par le film lors de sa sortie américaine. Au rallumage des lumières, le générique défilant, toute la salle a quoi qu’on en dise été soufflée, estomaquée de l’expérience et partagée entre compassion et dégoût. Grisée par le mystère en tout cas. Il y a, il fut le dire, un certain charme dans ce montage, qui enchaîne les plans d’extérieur et les plans rapprochés angoissants depuis la cellule de prison. Il y a une maîtrise, aussi, dans le rythme auquel les choses se révèlent et les zones floues sont remises en focus, une à une. Feuillet par feuillet.
« Les mains dans les mains//Restons face-à-face//Tandis que sous le pont de nos bras passe//Des éternels regards, l’onde si lasse ». Dans ce film, primé à Sundance, on trouvera aussi un peu de la poésie d’Apollinaire (croyez-moi). Plus qu’un thriller, il s’accorde (et nous accorde) également des moments de contemplation, de réflexion, des pauses. Mike et Christian deviennent comme ces amoureux tristes chantés par le poète. Sur eux, la société coule, violente. Ils se coupent de ses réalités pour entrer un univers qui leur est propre, celui de leurs peurs et de leur maladif désir de reconnaissance. Ils ne réalisent pas, cependant, que ce faisant ils ne peuvent plus compter que sur eux-mêmes, se mettant le reste des Hommes à dos. Et on se demandera donc où se trouve le point de non-retour, indubitablement franchi ici, entre mentir à quelqu’un par calcul et se mentir à soi-même par dépit.
Tom Johnson
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