[CRITIQUE] UN HOMME INTÈGRE

Pour avoir abordé dans son dernier film, UN HOMME INTÈGRE, la corruption systématique dans son pays, le réalisateur Mohammad Rasoulof risque six années de prison.

Jamais un film n’aura aussi bien porté son titre, UN HOMME INTÈGRE. Peut-on en effet rester un homme intègre et refuser la corruption endémique qui gangrène chaque pan de l’Iran d’aujourd’hui: entreprises, collectivités, police, justice, éducation, banques et assurances ? Peut-on même décider de ne pas jouer le jeu et tenter de modifier le système ? Manifestement non, puisque le cinéaste Mohammad Rasoulof, à cause du sujet même de son film, s’est vu confisquer son passeport en septembre dernier. Il risque une condamnation de six ans de prison pour atteinte à la sécurité nationale. Le réalisateur ne dénonce évidemment pas frontalement la corruption, mais plus subtilement, par le biais de son héros Reza (Reza Akhlaghirad).

Photo du film UN HOMME INTÈGRE

Reza est à la tête d’une petite entreprise d’élevage de poissons d’eau douce, pour laquelle il s’est lourdement endetté. Il tente de ne pas céder à la pression de vendre son terrain à une grande compagnie privée. Tous les moyens sont pourtant bons pour faire repartir Reza, venu de Téhéran pour s’installer dans la région avec son épouse Hadis (Soudabeh Beizaee), directrice de l’école de jeunes filles. On lui coupe l’eau indispensable à son élevage, on lui empoisonne ses bassins. On lui envoie des gars pour le menacer et même le maire lui conseille de vendre. Mais tel David contre Goliath, Reza essaie de réagir légalement. Il ne veut être ni corrompu, ni corruptible. Il paye ses pénalités à la banque plutôt que de payer un pot-de-vin pour les contourner. Il vend sa voiture pour ne pas s’endetter avantage. En somme, il résiste et refuse de se soumettre au système et de céder au chantage et à la peur.

« Aller voir UN HOMME INTÈGRE, film pudique et puissant, c’est aussi faire œuvre d’un acte politique. »

C’est évidemment tout à son honneur de ne pas lâcher prise. Pourtant, l’une des forces de UN HOMME INTÈGRE est de montrer précisément que l’honneur et la dignité- valeurs qui ont encore une grande importance dans cette partie du globe- ne doivent pas se transformer en orgueil et entêtement. Surtout quand sa femme et son jeune fils se retrouvent aussi mêlés à cette situation kafkaïenne, au péril de leur vie. Car la pression et l’enfermement dans lequel Reza se retrouve peu à peu, sous le regard désapprobateur de Hadis, lui fait commettre des erreurs. Seul contre tous, obstiné, acculé, face à une telle injustice, sa rage intérieure va s’extérioriser. Sa colère va le faire frapper le représentant de la Compagnie. C’est le début de l’engrenage dramatique infernal.

La réussite de UN HOMME INTÈGRE provient aussi de la décision du réalisateur de ne pas faire de son héros un homme sympathique au premier abord. Reza n’est pas aimable, ne sourit pas et a plutôt une haute opinion de lui-même. Comme souvent dans les films iraniens, le rythme est lent et les personnages communiquent rarement leurs ressentis. Les acteurs ont même interdiction de se toucher et l’amour entre mari et femme est subtilement montré par le réalisateur grâce à l’échange des regards ou à un voile enlevé précipitamment dans la chambre à coucher.

Photo du film UN HOMME INTÈGRE

Pourtant, l’empathie du spectateur est sollicitée avec pudeur lorsque Reza disparaît de temps à autre. Il se baigne dans l’eau de source d’une caverne, un verre à la main d’un nectar de pastèque qu’il a patiemment fabriqué. On le voit s’y ressourcer, réfléchir, souffrir et même pleurer. Et alors seulement, on est touché par sa fêlure et de tout cœur avec lui. Car chacun peut reconnaître ces situations vécues d’abattements, quand tout s’effondre autour de soi et que seul le silence et les pleurs peuvent apaiser, avant de repartir affronter les problèmes.

L’eau est d’ailleurs omniprésente dans le film : source de vie mais aussi et de mort pour les poissons de l’élevage, et métaphore de ses problèmes dans lesquels il se noie pour sauver son entreprise. On ne dira rien de la fin du film, si ce n’est qu’aller voir UN HOMME INTÈGRE, film pudique et puissant qui a obtenu le Prix Un Certain Regard au Festival de Cannes cette année, c’est aussi faire œuvre d’un acte politique.

Sylvie-Noëlle

Le distributeur ARP Sélections a lancé une pétition en ligne pour la liberté d’expression du cinéaste Mohammad Rasoulof:

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Note des lecteurs10 Notes
Titre original : Lerd
Réalisation : Mohammad Rasoulof
Scénario : Mohammad Rasoulof
Acteurs principaux : Reza Akhlaghirad, Soudabeh Beizaee
Date de sortie : 6 décembre 2017
Durée : 1h58min
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