[critique] Une Chinoise

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L’histoire de Mei, une jeune femme chinoise qui quitte sa vie monotone au village pour découvrir la fièvre de la grande ville la plus proche, Chongqing. Cependant, sa nouvelle vie ne ressemble pas vraiment à ce qu’elle attendait ; licenciée de son usine, elle tombe amoureuse de Spikey, un tueur à gages qui est rattrapé par son passé. Du jour au lendemain elle décide de se rendre à Londres…

Note de l’Auteur

[rating:6/10]

Date de sortie : 8 septembre 2010
Réalisé par Xiaolu Guo
Film sino-britannique
Avec Lu Hang, Wei Yibo, Geoffrey Hutchings, Chris Ryman
Durée : 138min
Titre original : She, A Chinese
Bande-Annonce :

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=B9WV-R_UMVg[/youtube]

A part s’ils sont remarqués à Cannes ou s’ils bénéficient de la présence d’une tête d’affiche internationale, on entend assez rarement parler des productions asiatiques, et encore moins des productions asiatiques indépendantes. On n’entendra donc pas parler des masses d’Une Chinoise, qui en plus est l’œuvre d’une jeune réalisatrice qui nous vient de Chine communiste, une zone culturelle qui s’exporte assez peu. Et ce n’est pas son léopard d’or au festival international du film de Locarno qui aidera à promouvoir son film auprès du public : si tout le monde sait ce qu’est un léopard, personne ne sait ce qu’est le festival de Locarno.

De toute manière, Une Chinoise n’est pas à conseiller à tout le monde. Il y a fort à parier que la plupart des gens le trouveront chiant et vain, peut-être même prétentieux ou impudique. Il est un de ces objets cinématographiques denses et profonds, qui ne s’offre pas au public comme un bête blockbuster mais auquel le spectateur doit s’offrir ; quand les personnages s’emmerdent, on s’emmerde avec eux, et ce n’est pas forcément du goût de tout le monde. Xialo Guo revendique une liberté totale dans son art, tant du point de vue de la réalisation que dans la narration ; elle se dit éternelle punkette et prône un cinéma ultra-indépendant (de tout) et donc ultra-fauché, qui s’éparpille, se disperse, dont le scénario semble s’être construit au fur et à mesure de son écriture, et qui n’est pas sans rappeler les élans de folie créatrice de la Nouvelle Vague.

La référence la plus évidente qui vient à l’esprit quand on regarde Une Chinoise, c’est Vivre sa vie, de Godard. On y retrouve bien sûr le découpage en tableaux, mais aussi la volonté de porter un regard particulier sur la condition féminine dans le contexte contemporain. Malgré leurs différences d’époque et de nationalité, les deux protagonistes ont pour trait commun cette attitude intemporelle consistant à afficher une apathie de surface sur leur visage pour protéger ce qui se trouve dans leur cœur même si, avec sa silhouette longiligne, sa sensualité à fleur de peau et ses difficultés linguistiques, Li Mei, l’héroïne, rappelle plutôt la Jean Seberg de A bout de souffle.

Du point de vue du style, on est dans quelque chose qui se rapproche plus du Dogme 95 (auquel Xiaolu Guo ne veut cependant pas être affiliée) : caméra à l’épaule en style documentaire, recherche quasiment extrême d’un rendu visuel aussi proche du naturel que possible. Tout est là pour qu’on oublie que Li Mei est un personnage de fiction et qu’on arrive à croire qu’elle est Une Chinoise bel(le) et bien réelle comme il peut en exister tant d’autres, qui ont quitté la campagne pour aller à la ville, puis la ville pour l’Occident et qui, une fois déçues pour la troisième fois, ne savent plus dans quelle direction chercher la Terre Promise.

Car, au passage, tous les synopsis et autres résumés qu’on pourra trouver au sujet du film mentent, et celui qui trône au-dessus de cette critique n’est certainement pas une exception. Cette histoire d’usine, de tueur à gages, c’est du pipeau. Le passage de l’usine est anecdotique, et le tueur est terriblement éphémère, comme pratiquement tous les personnages et lieux qui gravitent autour de la figure polarisante de Li Mei : elle les attrape, puis les rejette ou s’en éloigne, et part voir ailleurs ce que la vie a de mieux à lui proposer. Le réel sujet du film, s’il faut absolument lui en trouver un, c’est la quête de cette femme morose et blasée avant l’âge, qui ne sait pas comment être heureuse et qui tâtonne pour trouver sa place quelque part, n’importe où mais en-dehors des chemins que les autres ont tracés pour elle. Elle vit dangereusement pour ne pas mourir d’ennui, se remet constamment en question pour ne pas se noyer dans les sables mouvants de l’immobilisme, ne trouve l’amour que quand elle ne le cherche pas, et fait à plusieurs reprises la douloureuse expérience de la solitude en couple. Après avoir expérimenté 6 hommes et 3 modes de vie différents, on peut s’imaginer que la fin du film offre enfin une réponse à ses insolubles questionnements : elle marche, seule, et ne va nulle part, mais si elle sourit – un contraste frappant après 1h30 passées à faire la gueule -, c’est parce qu’elle a fini par faire la paix avec elle-même en réussissant à admettre que la solitude (tant sociale qu’amoureuse) n’était pas un fardeau. Sur ces derniers instants plane la voix de Feist et les notes éparses de Lonely Lonely, un morceau qui pourrait avoir été composé spécialement pour clore cet épilogue lumineux.

Une Chinoise ne fera pas date dans l’histoire du cinéma, on peut en être assez certain. Néanmoins, en dépit, ou peut-être grâce à ses défauts et à ses approximations, il en ressort une impression générale très positive : ce film a du cœur. Quelque part entre le Dogme, la Nouvelle Vague et le cinéma punk, on y sent une volonté farouche de dire quelque chose, de prouver que le cinéma peut être plus que du cinéma, et que si on n’a pas d’argent, alors la détermination suffit. Xialo Guo a réussi à insuffler une force prodigieuse et déroutante à son film, et elle n’en est qu’à son second long métrage, alors un conseil : même si vous avez du mal, retenez son nom.

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