• Réalisation : Derek Cianfrance
• Acteurs principaux : Alicia Vikander, Michael Fassbender, Rachel Weisz
• Durée : 2h13min
Un ancien combattant de la Première Guerre Mondiale, Tom (Michael Fassbender), accepte un poste de gardien de phare sur une île déserte afin d’essayer d’oublier ce qu’il a vécu. Il rencontre Isabel (Alicia Vikander) avec qui il débute une belle histoire d’amour. Leur seul problème est que cette dernière ne peut pas avoir d’enfant. Heureusement, la mer amène à eux une barque dans laquelle se trouve un homme mort et un bébé, vivant. L’occasion est trop belle : ils s’emparent de l’enfant.
On comprend rien qu’à la lecture du synopsis ce qui a bien pu attirer Derek Cianfrance dans le roman éponyme de M.L. Stedman pour qu’il veuille l’adapter au cinéma. Les liens avec ses deux précédents projets (le bouleversant Blue Valentine et le très beau The Place Beyond The Pines) sautent d’emblée aux yeux puisque ce nouveau long-métrage remet en lumière des questions et thématiques qui semblent passionner le réalisateur américain : la création et destruction d’un couple, la filiation, les secrets familiaux enfouis et un goût prononcé pour le tragique.
Ainsi l’île sur laquelle vit le couple est nommée Janus, en référence au dieu romain des choix, du début et de la fin. Possédant deux têtes, une vers le passé et une vers le futur, il symbolise bien UNE VIE ENTRE DEUX OCÉANS qui est un film scindé en deux parties, où chacune dialogue avec l’autre. Derek Cianfrance a prouvé depuis le début de sa carrière son attirance pour la manipulation temporelle, trouvant toujours le moyen de faire apparaître au sein de sa construction narrative de brillants échos pour mieux expliciter toute la bouleversante fatalité de la situation. En plus de venir nous confirmer l’aisance avec laquelle le réalisateur de 42 ans sait manipuler l’ellipse, UNE VIE ENTRE DEUX OCÉANS n’est jamais aussi beau que lorsqu’il fait dialoguer deux couches temporelles, comme ce magnifique enchaînement où le regard d’Hannah (Rachel Weisz, la vraie mère de l’enfant disparu) se raccorde sur la nouvelle vie de sa progéniture. Ou lorsqu’avec un fondu enchaîné, il fait cohabiter sur l’île les deux protagonistes principaux, alors qu’ils sont physiquement éloignés. Ces raccords merveilleux nous rappellent la maestria avec laquelle était construit Blue Valentine, sans pourtant en atteindre pleinement la même grâce émotionnelle.
« On comprend ce qui a pu attirer Derek Cianfrance dans cette histoire tant elle rejoint ses obsessions thématiques »
Cependant, en empruntant avec un premier degré assumé la voie du mélodrame, tout était à la disposition du réalisateur pour nous tirer bien comme il faut les larmes. C’est un souci formel qui fait déjouer le film la plupart du temps, dans sa façon parfois surannée de filmer cette tragédie. Cianfrance abuse des plans sur la mer, le ciel ou les étoiles pour tenter de nous faire assimiler toute la portée mythologique de son récit. Puis l’aplomb avec lequel il cadre le couple, le soleil bien centré entre leurs visages, peut prêter à ricaner. Jusqu’au final il ne dénote pas de cette périlleuse ligne directrice, le film s’achevant sur Tom regardant le soleil se coucher face à lui, avec apaisement. On sent pourtant toute la sincérité du metteur en scène dans l’imagerie qu’il déploie, entre recherche d’empathie maximale et hommage à un genre que David Lean ou Jane Campion ont tant sublimé. Ce qu’on ne peut pas lui reprocher, en revanche, c’est sa capacité à être un formidable directeur d’acteurs. Dans un premier temps il sait s’entourer de talents et dans un second temps, il les sublime. Alicia Vikander, souvent créditée de bonnes performances, n’a jamais été aussi grandiose que devant sa caméra. Elle porte toute une charge émotionnelle sur son dos, alors que Fassbender, certes bon, reste dans une partition en intériorité.
On commence à cerner, en 3 films, les mécanismes du modus operandi de Derek Cianfrance. Et UNE VIE ENTRE DEUX OCÉANS a parfois des allures de patchwork de ses deux précédents essais, faisant surgir quelques réminiscences de merveilleux moments que l’on a vécu par le passé en découvrant son cinéma. Le final cite celui de The Place Beyond The Pines, la relation amoureuse et sa dégradation ne peuvent qu’évoquer Blue Valentine, le couple formé par les têtes d’affiches aimerait succéder dignement à celui composé par Ryan Gosling et Michelle Williams. Si l’on est parfois séduit de retrouver le style propre à Cianfrance, le film soulève quelques doutes sur le futur de sa carrière. Saura-t-il sortir de ses codes narratifs ou les prolonger avec intelligence ? Sa démarche d’auteur n’a-t-elle pas atteint ses limites ? On attend avec impatience la suite pour savoir si, à l’image d’une tragique histoire d’amour commençant à se détériorer, on n’a pas adoré passionnément Derek Cianfrance un peu rapidement et excessivement.
Maxime Bedini
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