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Il est des films qui, en un plan, parviennent à s’ériger en tant qu’œuvre majeure, que ce soit par leur qualité visuelle, par un symbolisme bien senti, ou par une maîtrise totale des outils cinématographiques. Le Frankenstein de James Whale est de ceux-ci, et l’auteur-réalisateur s’est payé le luxe de réitérer l’exploit avec le très réussi l’Homme Invisible sorti la même année. Dans le cadre du dossier UNIVERSAL MONSTERS (notre rétrospective: ICI), je m’attaque aujourd’hui à un film dépassant de loin le statut des autres productions de Carl Laemmle Jr (malgré leurs immenses qualités) et qui est considéré comme un produit majeur du patrimoine culturel américain, ce qui n’est pas peu dire tant le cinéma était à l’époque l’objet de débat sur sa légitimité en tant qu’art et était trop souvent réduit à un simple produit de consommation de masse. <strong>La Fiancée de Frankenstein est très souvent cité comme étant l’une des rares suites dépassant l’original. Après le chef d’œuvre qu’est Frankenstein, véritable choc qui s’est placé parmi les plus beaux films que j’ai pu voir ces dernières années, il me semblait impossible que le réalisateur fasse mieux encore. Et une fois de plus, James Whale se fait un malin plaisir à me donner tort et réalise un monument gothique absolument génial et en tout point supérieur à ses précédentes oeuvres.
James Whale a un univers bien à lui, mais à l’inverse de ce que fera plus tard un Tim Burton (qui revendique clairement l’influence de la série Universal Monsters), il a l’intelligence de s’adapter au récit et de ne pas balancer son univers gothique à toutes les sauces ; l’Homme Invisible bénéficiait donc d’une sobriété bienvenue. Mais avec La Fiancée de Frankenstein, le metteur en scène se lâche complètement et ce dès les premières secondes ; décors gargantuesques, composition musicale sinistre et grandiose alors qu’un lent travelling avant nous rapproche d’un château isolé sur une colline sombre…La direction artistique est d’une générosité folle et parvient en un plan à placer La Fiancée de Frankenstein comme une œuvre visuellement à tomber. Après une brève mise en abîme et un résumé très intelligent permettant au réalisateur de ne pas perdre ceux n’ayant pas vu Frankenstein, le film reprend sur le moulin en flammes et nous revoilà plongé dans un univers gothique dont seul James Whale a le secret. A travers des dialogues grandiloquents dans lesquels l’influence biblique se ressent à chaque instant et une ambiance semi-horrifique semi-irréaliste se mettant en place très rapidement, le réalisateur met d’emblée le spectateur face à tout son talent et ne le lâchera plus durant tout le film. J’en veux pour preuve cette première scène horrifique, qui survient assez tôt dans le récit et est tout simplement ahurissante de modernité ; difficile à croire qu’un film ose en 1935 un découpage aussi audacieux. Une fois de plus, le réalisateur brille par son jusqu’au-boutisme et met en scène des crimes sans concessions, moralement assez éprouvant et qui rejoignent complètement son obsession à mettre à mal les innocents – il l’avait déjà fait dans l’Homme Invisible et dans la scène culte de la fillette de Frankenstein. Mais si, dans le film précédent, la créature était écrite de façon à se rapprocher d’un monstre sans pitié et sans sentiments, la caractérisation prend cette tendance à contre-pied et Boris Karloff peut laisser exploser son immense talent dans un film qui le met bien plus à l’honneur. C’est là toute la petite révolution qu’apporte La Fiancée de Frankenstein au film d’horreur américain ; en plus de permettre au réalisateur de creuser son rapport à l’innocence, le parti pris de faire du meurtrier une victime, de le rendre plus humain et expressif que la plupart des autres acteurs, est un défi réussi et le résultat est irréprochable notamment grâce à une écriture fort bien pensée. Les situations s’inversent, le manichéisme apparent disparaît rapidement au profit d’un doute qui s’installe sur le bien-fondé des actions des uns et des autres, et si la subtilité n’est pas toujours au rendez-vous le procédé est suffisamment osé et bien utilisé pour convaincre.
Ce qui caractérise donc La Fiancée de Frankenstein, outre son audace, c’est sa capacité à surprendre et à surpasser sur tous les domaines le pourtant excellent Frankenstein. Même sur la question du visuel, où James Whale m’a sans doute le plus impressionné avec le premier opus, il parvient par ses successions de plans fixes, véritables tableaux où tout passe par un cadrage parfait, à monter encore plus haut. Et lorsque le metteur en scène se lance dans des constructions de longs travellings latéraux ou dans des contre-plongées symboliques d’une pureté absolue, la frontière entre son cinéma et l’idéal pictural qu’il semble rechercher dans la peinture n’existe plus. Il n’y a pas un plan qui ne soit pas parfait, et j’ai tout à fait conscience de l’ampleur de cette phrase. Mais il n’y a pas que la photographie qui soit irréprochable, il faut aussi mentionner la réussite de la réalisation globale, que ce soit dans le montage ou l’utilisation des excellentes compositions de Franz Waxman. J’en veux pour exemple les dix dernières minutes du film, quand James Whale se permet de créer des plans totalement décadrés et tordus, comme le ferait un Terry Gilliam soixante ans plus tard, il expérimente et offre à sa mise en scène un côté très classieux sans pour autant être dénué de sens. Sublimée par un montage frénétique enchainant parfois deux plans à la seconde, symbole d’une modernité et d’une audace décidément visible dans tous les critères cinématographique du film, la séquence de réanimation devient instantanément une des nombreuses scènes cultes du film. Ajoutez à cela une violence morale impressionnante, un scénario généreux en dialogues grandioses et totalement au service de la mise en scène, et une direction d’acteurs irréprochable, et vous obtenez l’un des plus grands films qu’ait donné le cinéma américain du vingtième siècle.
”L’œuvre de James Whale s’impose comme le joyau ultime d’une série absolument fascinante”
Difficile de conclure un avis sur La Fiancée de Frankenstein tant aucun qualificatif ne suffit pour décrire la portée et la puissance de ce film. A voir impérativement, l’œuvre de James Whale s’impose comme le joyau ultime d’une série absolument fascinante. A vrai dire, je ne m’attendais absolument pas à un tel niveau de qualité en me lançant dans les productions Universal Monsters, et si la perspective de voir des artistes comme Tod Browning ou Karl Freund travailler avec une énorme liberté m’enchantait, la surprise vient indéniablement du réalisateur de Frankenstein, l’Homme Invisible et du chef d’œuvre traité dans cette critique. Rien à redire, absolument aucun défaut, une des plus grosses claques de ma vie de cinéphile, voilà tout ce qu’est La Fiancée de Frankenstein.
Louis
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Le Festival Lumière, aura lieu du 8 au 16 octobre 2016, dan stous les cinémas du grand Lyon.
– la programmation
– notre couverture
– notre rétrospective UNIVERSAL MONSTERS
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• Titre original : The Bride of Frankenstein• Réalisation : James Whale
• Scénario : William Hurbult
• Acteurs principaux : Boris Karloff, Colin Clive, Elsa Lanchester
• Pays d’origine : Etats-Unis
• Sortie : 1935
• Durée : 1h17
• Distributeur : Universal Pictures
• Synopsis : Le Dr Frankenstein et sa créature ont survécu. Un savant fou, le Dr Pretorius, kidnappe la femme du Dr Frankenstein, et l’oblige à tenter de nouveau l’horrible expérience, dans le but cette fois de créer un monstre féminin…
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CLIQUEZ SUR LES AFFICHES POUR AFFICHER LES CRITIQUES
1923 – Notre dame de Paris (★★★★☆)
« une excellente manière pour Universal de s’imposer comme un studio majeur »
1925 – Le fantôme de l’opéra (★★★★☆)
« une pépite visuelle et augure encore de belles choses pour la suite de la série »
1928 – L’homme qui rit (★★★☆☆)
« pas un mauvais film, mais il aurait pu être bien plus »
1931 – Dracula (★★★★★)
« Tod Browning réalise une œuvre majeure, que ce soit sur le plan cinématographique pur ou sur la représentation de Dracula sur grand écran »
1931 – Frankenstein (★★★★★)
« un classique instantané réalisé à la perfection »
1932 – La momie (★★★★☆)
« un premier film imparfait, maladroit, mais qui se laisse visionner avec plaisir et se paye même le luxe d’émouvoir son spectateur »
1933 – L’homme invisible (★★★★☆)
« le metteur en scène s’attaque aux thèmes du pouvoir et de l’avidité sans concession et multiplie les séquences éprouvantes moralement »
1935 – La fiancée de Frankenstein (★★★★★)
« L’œuvre de James Whale s’impose comme le joyau ultime d’une série absolument fascinante »
1941 – Le Loup-garou (★★★☆☆)
« LE LOUP-GAROU reste un film à voir, s’inscrivant visuellement et thématiquement dans la continuité des Universal Monsters, et qui saura vous captiver le temps d’une heure »
1954 – L’étrange créature du lac noir (★★★★★)
« Jack Arnolds réalise un film d’une grande intelligence et d’une audace faisant tout à fait honneur aux premiers chefs d’œuvres de la série, tout en créant son propre mythe »
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