Remarqué avec son premier film au casting impressionnant, nouvelle variation du monde impitoyable de la finance (Margin Call), J. C. Chandor a ensuite balancé Robert Redford seul sur un bateau au milieu d’un océan pas toujours très accueillant dans le survival All is Lost avec à nouveau un bel enthousiasme critique et public. Son troisième film se devait donc être celui de la confirmation, celui qui devait faire taire les plus sceptiques ou les détracteurs qui craignaient que l’aspect financier prenne le pas sur le film noir. Car, avec un casting pareil et le contexte dans lequel se situe le pitch, on était assez excité.
Autant le dire tout de suite : ceux qui s’attendaient à un polar élégant et haletant qui voit le héros renoncer à ses valeurs morales pour protéger ceux qu’il aime car touchés par cette violence extérieure seront probablement déçus.
Élégant, A MOST VIOLENT YEAR l’est pendant les 2h de métrage : la photographie jaunie nous plonge délicieusement à nouveau dans cette époque seventies et la mise en scène de J. C. Chandor se révèle assez remarquable avec ses cadrages précis et l’utilisation d’une musique discrète qui surgit dans les moments de tension dramatique. Haletant, il le devient également lors de quelques fulgurances et deux séquences notamment de course-poursuite d’une très grande maîtrise. On regrettera que ce genre de scènes ne soit pas plus nombreuses mais c’est surtout le tempo général qui pourra en rebuter certains.
Pour tous les autres qui connaissent le bonhomme, ils ne seront pas surpris d’apprendre que l’intérêt est ailleurs. En plus de s’appuyer sur une interprétation assez magistrale, le film a pour lui un scénario écrit avec une grande intelligence qui brasse des thèmes et soulève des questions assez virulentes. L’envie de réussite d’Abel entraîne la jalousie, donc bien des obstacles à surmonter. Il est amusant de constater comme ce personnage est un anti-héros des films noirs traditionnels, avec ses valeurs morales très solides et son entêtement à vouloir faire rimer réussite avec honnêteté sans céder aux facilités du côté obscur du milieu qu’il veut percer. Tout le contraire de Tony Montana par exemple.
A ce propos, la performance de Oscar Isaac (Inside Llewyn Davis) est impressionnante tant il est habité par son personnage. Physiquement, il porte des costumes et des cabans qu’il a sans doute volé au Robert de Niro de Casino ou des Affranchis. On imagine parfois volontiers ce dernier lorsqu’il sort de chez le coiffeur, engueule sa femme ou donne une leçon de morale à un de ses employés.
Sa femme, c’est Jessica Chastain (Interstellar) . Il se dit qu’ils étaient tous deux élèves de la même école de théâtre et n’avaient jamais eu l’occasion de tourner ensemble. C’est désormais chose faite et le plaisir qu’ils prennent à se donner la réplique est communicatif. Une fois de plus toutefois, il est dommage que certains de leurs face-à-face n’aillent pas plus loin et surtout se montrent assez rares, car on en redemanderait bien volontiers.
Bien sûr, la violence va jouer un rôle prépondérant dans le développement de l’intrigue, mais jamais vraiment s’immiscer dans la vie privée d’Abel. Elle fait plutôt office de parasite, de gêne occasionnée qu’il va falloir contourner avec toute la patience, la froideur et la rigueur du personnage principal.
Au final, A MOST VIOLENT YEAR porte assez mal son titre car l’intérêt est ailleurs.
Au final, A MOST VIOLENT YEAR porte assez mal son titre : nous sommes volontairement placés en retrait, comme protégés de la criminalité qui sévit dans la ville (tout juste quelques messages radio dans une voiture, qui nous rappellent la tension qu’il doit y avoir là-bas) pour mieux cogiter sur une question : comment devient-on chef d’entreprise ? Donc comment obtenir du pouvoir, de quelle manière l’obtenir ? En recherchant ce statut d’homme de pouvoir, Abel sera même tenté de céder à la facilité…
Il faut savoir à peu près à quoi s’attendre avant d’aller voir A MOST VIOLENT YEAR tant J. C. Chandor semble déconstruire le genre du film noir pour mieux y injecter sa propre vision d’un modèle capitaliste sur lequel se serait construit l’Amérique. Si la toute dernière scène peut laisser perplexe, on a paradoxalement la sensation d’avoir assisté à un très bon moment de cinéma. Et à la confirmation d’un cinéaste.