[CRITIQUE] ZOOTOPIE

ZOOTOPIE (Zootopia)
• Sortie : 17 février 2016
• Réalisation : Byron Howard, Rich Moore
• Acteurs principaux : Lubna Gourion, Pascal Elbé, Thomas Ngijol
• Durée : 1h48mn
7.8

ZOOTOPIE, est à mon sens, à envisager comme un « film de producteurs », emmené par une vision d’ensemble organisant différents aspects formels, autour d’une idée de fond, d’une MORALE.

Ce producteur sera donc John Lasseter, ancien directeur du studio Pixar et depuis 2006, directeur créatif du département animation de Disney. Le bonhomme a ainsi importé au sein de l’industrie du divertissement calibré qu’est Disney, sa conception de l’animation pour enfants : mature mais accessible, stimulante par de multiples niveaux de lecture, misant sur l’intelligence du spectateur pour donner sens à sa créativité ou à l’imaginaire.
La morale de ZOOTOPIE est par conséquent plus Pixar que Disney, plus pragmatique qu’enthousiaste, plus progressiste qu’opportuniste. Le film incite à prendre du recul sur l’organisation d’une société, si utopique soit-elle ; à considérer l’individu plutôt que la masse, à ne jamais se reposer sur les clichés.

Zootropolis (ville-utopie de ZOOTOPIE ndlr) est ainsi un miroir allégorique de la société américaine moderne, organisée autour d’un judicieux anthropomorphisme. Une société scindée en groupes d’animaux – gros, petits et très petits, eux-mêmes scindés entre animaux « prédateurs » et « proies » marquant visuellement mais également de façon comportementale, les différences entre espèces. En donnant une place bien déterminée à chacun, cette société façonne d’inévitables discriminations (positives comme négatives) ainsi que des inégalités. Ghettoïsation, déterminisme social, incompréhensions culturelles, clichés, exploitation de ces clichés par intérêt personnel… ZOOTOPIE interroge assez frontalement ces questions ethniques et sociétales immémorialement ancrées dans l’histoire du pays jusqu’à définir le fameux mais hypocrite melting-pot culturel qu’est la nation américaine actuelle.

Toutefois, plutôt qu’une critique directe de cette société (comme pouvait le faire un Lego Movie, partant d’un postulat similaire), ZOOTOPIE engage plutôt à une conscience aiguë du fonctionnement et des dysfonctionnement d’une telle « utopie » ; à considérer chaque individu indépendamment des clichés socio-culturels, et milite pour une évolution des mentalités via un message très simple et humaniste sur l’importance de l’empathie et du danger de la catégorisation – la sienne, celle des autres.

Photo du film ZOOTOPIE
Disney

Le plus important est qu’à l’inverse de nombreux films d’animation pour enfants, la morale ne vient pas simplement conclure le divertissement mais se nourrit et lie entre elles, les différentes caractéristiques techniques et artistiques, faisant de ZOOTOPIE un film très cohérent, à défaut de posséder une véritable personnalité. Caractéristiques que nous détaillerons ci-dessous :

[toggler title= »Réalisation » ]

La première chose qui saute aux yeux, c’est ainsi la technique. Loin d’être aussi impressionnante et photo-réaliste que dans Le Voyage d’Arlo, elle s’illustre surtout à travers l’intéressante direction artistique. Celle-ci exprime toute la cohérence entre fond et forme, entre le discours sur la discrimination et le cliché, et cet univers à la fois utopique et dystopique. On regrettera néanmoins que le film n’exploite pas mieux les différents quartiers de Zootropolis (polaire, jungle, désert, urbain, suburbain).

La mise en scène quant à elle, accompagne judicieusement ce discours. Par exemple, la caméra adopte le point de vue de Judy Hopps (et par extension de Nick Wilde), c’est-à-dire se place à hauteur de « petit animal » dans un monde globalement pensé pour les animaux plus imposants. Il y a ainsi une fantastique immersion dans un univers à la fois très reconnaissable (une mégalopole type New York) mais souvent inadaptée et incompréhensible dès lors que l’on sort de son « espace réservé ».

La mise en scène épouse également les humeurs et attitudes des personnages ; Judy Hopps, éternelle positive, sera dans un premier temps montrée par un judicieux effet de contre-plongée accompagnant son émerveillement face à l’immensité de la mégalopole, puis au fur et à mesure de son désenchantement, enfermée dans l’étroitesse du cadre. L’arrivée de Nick Wilde se traduira par la nécessité d’exploiter ce « cadre » dans le moindre détail, pour survivre. Ici encore, la direction artistique donne corps à cette réflexion en composant ce « cadre » par ces éléments (décors, narratifs) qu’il faudra comprendre pour avancer ensemble.

Photo du film ZOOTOPIE

Une réalisation toutefois très propre et lisse, qui ne brille jamais dans son découpage des plans, ou par des mouvements de caméra ambitieux.

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[toggler title= »Scénario » ]

Sans doute le point le plus dommageable du film, puisque le scénario est très prévisible, dans son ensemble. Mais qu’il soit prévisible ne signifie en rien qu’il manque d’intérêt.

Il y a en effet une certaine accessibilité à travers l’utilisation de recettes éculées, qui facilite grandement la compréhension des différentes métaphores sociétales. Le buddy-movie permet un contraste évident entre espèces et pensées, l’utilisation des éléments typiques du polar (la flic, le « détective privé », l’enquête à tiroirs, le twist) est très stimulant et immédiatement reconnaissable, à défaut d’être original.

Puis le scénario exploite avant tout l’univers et le discours de fond du film.  En ce sens, la traditionnelle relation à l’autre à travers le classique combo : incompréhension / empathie / déception / réconciliation / collaboration, permet surtout de questionner le mythe fondateur de cette utopie, et d’y prouver la nécessité de ne pas se fier aux apparences.

Photo du film ZOOTOPIE

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[toggler title= »Personnages & casting » ]

Nous l’avions déjà constaté dans les dernières productions Disney (précisément depuis 2009 et l’arrivée de John Lasseter à la tête du studio) une certaine maturité et une conscience aiguë de la complexité de leur environnement définit les personnages des films d’animation du studio.

Judy Hopps est une lapine qui nous est présentée dans ce qu’elle a de plus pure, des valeurs construites dès l’enfance. Elle souhaite ainsi défendre et protéger l’autre à tout prix, en devenant la première lapine flic – un job habituellement réservé aux GROS et MASCULINS animaux, plus enclins à faire face à la violence du monde. Ce personnage sera confronté à la réalité d’un monde où règne le déterminisme plutôt qu’une quelconque justice, réalité à même de la décourager dans son objectif premier et de lui faire perdre vue son propre destin.

Une rencontre avec un personnage contrepoint (Nick Wilde, le renard, lui aussi ayant des motivations contrastées) lui permettra de gagner en expérience de vie. D’abord en opposant cynisme et individualisme à son altruisme exacerbé, puis à travers cette nécessité de collaborer et donc d’éprouver de l’empathie pour une autre espèce, et enfin dans le rapport (amical et non romantique) à l’autre.

Photo du film ZOOTOPIE

Les interprètes de Hopps et Wilde, Ginnifer Goodwyn et Jason Bateman (Michael dans Arrested Development) forment un duo absolument parfait qui comme dans tout bon buddy-movie, voit le caractère de l’un se nourrir de celui de l’autre – façonnant un classique récit de confiance et d’amitié, au sein d’un discours sur la discrimination et la tolérance.

Si les 2 protagonistes sont particulièrement intéressants, ZOOTOPIE nous présente également d’autres personnages définis par un vécu persistant et étoffé ainsi qu’un caractère toujours marqué (grâce à l’intelligence du casting et l’excellence des dialogues). Ils expriment dans l’ensemble le malaise d’une société qui se pense utopique mais traduisant toutefois les paradoxes d’une pensée trop globalisante.

Les personnages du film ZOOTOPIE

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[toggler title= »Humour » ]

ZOOTOPIE délaisse une fois de plus l’humour frontal à base de gags purement visuels pour de l’humour de situations et de dialogues, misant souvent sur le contretemps, et apparaissant toujours lorsqu’un personnage est confronté à l’inadaptation de sa nature animale à l’intérieur de ce monde. C’est ainsi que les blagues les plus drôles sont également porteuses du discours sur la discrimination (on rabâche, mais il s’agit de mettre en avant la cohérence du film à ce niveau !), comme ces paresseux qui sont agents administratifs, ce renard gangsta qui se fait passer pour un poupon, le parrain de la mafia qui est un marcassin musaraigne, ou la nature du grand vilain de l’histoire, SPOIL : [spoiler mode= »inline »]un putain de mouton lol[/spoiler].

Photo du film ZOOTROPIE

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[toggler title= »Quelques exemples illustrant la cohérence entre fond et forme dans ZOOTOPIE » ]

Ici on renverra à la critique du film par Doc Cineco, listant judicieusement quelques exemples concrets :

  • Tout le film est basé sur un lapin devenant policier, et où tout le monde trouve cela ridicule. Présentant bien la discrimination dans le monde du travail que notre monde subit malheureusement actuellement.
  • Judy dit à un moment quelque chose du genre : « Ce n’est pas parce qu’il est un renard qu’il est dangereux. Gidéon est un idiot qui se trouve être un renard, nuance. » Pas besoin d’épiloguer là-dessus.
  • Judy dit également que les lapins ont le droit de s’appeler entre eux par le qualificatif « mignon », mais que les autres espèces n’ont pas le droit de les appeler comme ça. Ce qui bien évidemment rappelle le mot « Nigger » pour la communauté afro-américaine.
  • Une des scènes du film voit un renard et son fils se faire refuser dans un magasin de glaces réservé aux éléphants, rappelant bien évidemment la ségrégation et le fait que les afro-américains étaient refusés à cause de leur couleur dans certains établissements arriérés.
  • Le maire de Zootopie parle d’un projet « d’intégration des mammifères », montrant d’une part qu’une communauté n’est pas tout à fait intégrée en raison de ses caractéristiques physiques, mais qui surtout rappelle tout les projets de discriminations positives opérés par les États-Unis depuis la fin de la ségrégation.
  • Une scène montre un bouquetin réciter par cœur sans s’en rendre compte quelque chose alors qu’il demande cette même chose à un éléphant en se basant sur le cliché comme quoi les éléphants auraient une très bonne mémoire. Cette scène montre donc qu’un stéréotype sur une communauté n’est pas nécessairement vrai sur n’importe quel individu appartenant à cette même communauté, et que l’on peut même retrouver ces mêmes clichés chez d’autres communautés.
  • À un moment, Nick Wilde dit « Étant donné que tout le monde pense que les renards sont sournois, à quoi cela sert-il de faire autrement ? ». Nick Wilde s’étant fait martyriser dans sa jeunesse à cause justement du fait qu’il est un renard. Et bien entendu la morale du film montre qu’il avait tort de penser comme ça.
  • Dans une autre scène, Nick s’étonne du fait qu’il croyait que les lapins ne cultivaient que des carottes alors qu’ils cultivent aussi des myrtilles par exemple. Encore une fois un message sur le fait qu’il ne faut pas croire sur parole les stéréotypes.

Par Doc Cineco, à lire en intégralité sur Sens Critique : http://www.senscritique.com/film/Zootopie/critique

Photo du film ZOOTOPIE

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ZOOTOPIE aligne ainsi de nombreuses métaphores plus ou moins subtiles incitant à une considération pragmatique de notre propre société. Il y a moyen de transmettre, avec l’accompagnement adéquat, un message sur la tolérance, la discrimination et la nécessité de percevoir l’autre au-delà de son apparence.

Malgré tout, il s’agit ici d’UNE interprétation tout à fait personnelle issu d’un ressenti positif vis-à-vis du film – la critique inverse est tout à fait possible, le message politique pouvant être perçu comme une apologie hypocrite d’un système effectivement conçu sur les inégalités.

Le film n’est en effet, pas vraiment subversif. Aucune vraie évolution d’ensemble, entre le début et la fin du film; l’aspect capitaliste fondateur de la société américaine est globalement mis de côté… Puis quelques ajouts opportunistes peuvent déranger, comme le caméo musical de Shakira ou l’usage abusé de références faciles (Le Parrain, Breaking Bad, Les productions Disney).

Il s’agira de savoir ce que l’on cherche dans le film, et ce que l’on veut en retirer. Il nous a en tous cas semblé que ZOOTOPIE était suffisamment riche pour permettre de multiples pistes de réflexion, en positif comme en négatif (on remerciera Lt Schaffer pour cette réflexion contrepoint).
Il rejoint en tous cas les Pixar de la grande époque ou même Vice Versa que je n’aime pas mais qui possède aussi ces qualités.

« ZOOTOPIE, un Disney intelligent, porté par une morale un peu plus politique et mature qu’à l’accoutumée, qui se nourrit et lie entre elles les différentes caractéristiques techniques et artistiques. »

Si l’on peut taxer un studio comme Disney de réfléchir ses films-live (SW ou Marvel) comme de purs produits de consommation, on peut encore une fois constater la prise de risque anti-consensuelle du département animation, faisant suite au féminisme teinté d’émancipation de la Reine des Neiges et de Raiponce, au ton geek de Wreck it Ralph, la semi-maturité des Nouveaux Héros ; ZOOTOPIE s’illustre quant à lui par une morale plus politique qu’à l’accoutumée, intelligemment accompagnée par la réalisation, l’histoire ou l’humour du film. Une richesse thématique plutôt logique du point de vue d’un auteur comme John Lasseter, dont on sent clairement la patte à la production.

On regrettera simplement un certain manque d’émotion, quelques longueurs et le manque de personnalité de la mise en scène, qui portée par les obsessions et gimmicks de réalisation de cinéastes comme Brad Bird, le duo Lord Miller ou même John Lasseter himself, auraient pu faire de ZOOTOPIE un putain de masterpiece – aussi cinéphile qu’éducatif.

Georgeslechameau

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J. N. Squire
J. N. Squire
Invité.e
6 mars 2016 14 h 17 min

Bonne analyse du film comme j’en vois rarement. 🙂

Petite bémol, cependant : « le parrain de la mafia qui est un marcassin » → il s’agit d’une musaraigne.

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