Et si le fantôme de votre père ne vous lâchait pas… parce que vous êtes la seule à ne pas le voir ? D(e)AD joue avec le deuil, l’humour et l’absurde, le tout en 82 minutes de cinéma indépendant ultra-vivant. Un premier film autofinancé et tourné en famille et entre amis. À découvrir avant que tout le monde en parle !
D(e)AD est une comédie indépendante américaine née de l’imagination d’Isabella Roland. Figure bien connue des amateurs des séries du service de streaming Dropout (Game Changer, Dimension 20…) mais aussi du petit écran (Turnt, The Sex Lives of College Girls), Roland signe ici un premier long-métrage à la fois profondément intime et résolument drôle.
Intime, parce que la cellule familiale irrigue le film autant dans son intrigue que dans sa fabrication. On y suit Tillie (interprétée par Isabella Roland elle-même), confrontée à la perte de son père (Craig Bierko) – un père qui continue de hanter toute sa famille, sauf elle qui est incapable de le voir ou de l’entendre. Le rôle de Frankie, la mère de Tillie, revient d’ailleurs à la propre mère d’Isabella Roland, renforçant la dimension méta-familiale du projet.
Drôle, car si cette comédie chorale bénéficie d’une alchimie évidente entre des acteurs qui se connaissent déjà – beaucoup travaillant ensemble sur des sketchs de Dropout –, elle ne repose pas uniquement sur cette familiarité. D(e)AD tire surtout sa force de l’équilibre qu’il trouve entre humour et émotion, en laissant sans cesse l’un déborder sur l’autre. À travers un trope fantastique bien connu – celui du défunt qui hante ses proches tant qu’il n’est pas « prêt » à partir –, le film parvient à sublimer l’irrationalité de l’expérience humaine dans ce qu’elle a de plus comiquement sincère.
Nous avons eu le privilège de découvrir ce long-métrage entièrement autofinancé grâce au crowdfunding et projeté dans quelques salles volontaires en Europe. Nous avons également pu échanger avec Isabella Roland, scénariste et actrice principale, ainsi qu’avec Claudia Lonow, qui signe la réalisation, autour de leur processus créatif et de la genèse du film.
Un long-métrage sur la famille, avec la famille
Lorsqu’on demande à Isabella Roland quel adjectif elle redoute le plus d’entendre à propos de son film, elle répond sans hésiter : « boring » (ennuyant). Et il faut bien reconnaître que le défi n’était pas simple : la comédie dramatique familiale est un genre saturé. Pour éviter les sentiers battus, Roland s’appuie sur son environnement immédiat : « C’est très simple pour moi d’écrire pour mes proches, presque toute ma famille fait de la comédie ».
Ce naturel devient la véritable force du film. Les dialogues respirent la spontanéité, les échanges sonnent juste ; on s’y reconnaît, on y retrouve nos propres maladresses, nos élans d’affection ou nos rancunes enfouies. Cette authenticité tient autant à l’écriture qu’à l’interprétation : chaque personnage existe, sans caricature ni surjeu.
Le film trouve ainsi son équilibre dans un savant dosage entre sincérité et excentricité. Les moments comiques et dramatiques se répondent avec une aisance rare. Les échanges entre Tillie et sa sœur Violet (interprétée par Vic Michaelis, véritable révélation — comment n’a-t-iel pas déjà un Oscar ?) illustrent parfaitement cette alchimie : on passe d’un rire franc à une émotion brute, sans rupture de ton. Ces oscillations constantes font toute la beauté de D(e)AD, qui parvient à capter la complexité des liens familiaux sans les surdramatiser.
Un mélange des registres compliqué mais réussi
D(e)AD s’amuse à brouiller sans cesse les frontières entre rires et larmes. Claudia Lonow, la réalisatrice, revendique d’ailleurs cette approche : « C’est important pour moi de trouver l’équilibre entre les moments dramatiques et les moments drôles. À la manière de James L. Brooks dans Tendres Passions (1983), je cherche des moments d’émotion qui vous surprennent, car dans la vraie vie, on ne s’attend pas à ressentir une forte émotion : elle surgit soudainement. »
Ce parti pris traverse tout le film. Les émotions ne s’opposent pas au comique, elles en émergent. Le rire devient une façon d’aborder le deuil, de désamorcer la douleur sans la nier. Isabella Roland, dont le parcours est ancré dans la comédie et l’improvisation, nous confie : « Je pense qu’il y a de l’humour dans tous les aspects du quotidien. » Mais derrière cet humour, une vraie douceur affleure.
« J’ai voulu y mettre une certaine tendresse », explique-t-elle. « Les [films] européens n’ont pas peur des silences ni de prendre leur temps ; j’ai essayé d’écrire un film qui, bien qu’il ne dure que 82 minutes, ne soit pas effréné. Les moments d’émotion doivent se mériter. »
Cette temporalité assumée, presque méditative, permet au film de ne pas se perdre dans l’hystérie de la comédie américaine classique. D(e)AD se distingue justement par cette respiration : les rires ne sont jamais forcés, les silences jamais vides. Dans ce mélange de registres, le film trouve sa tonalité propre, celle d’un monde où l’émotion et le burlesque cohabitent sans hiérarchie.
Un effet « fait-maison » qui, plutôt que de paraître cheap, décuple le potentiel dramatique
Claudia Lonow n’en est pas à son premier projet personnel. Avant D(e)AD, elle avait déjà créé deux séries semi-autobiographiques, Rude Awakening (1998–2001) et Accidentally on Purpose (2009–2010), toutes deux centrées sur des héroïnes faillibles et attachantes. Cette expérience transparaît dans sa maîtrise du ton et du rythme.
Derrière son apparente simplicité, D(e)AD révèle un vrai professionnalisme : les plans sont soignés, la photographie accompagne subtilement les émotions, et les décors participent pleinement du récit. La maison familiale, saturée de vie et de souvenirs, s’oppose à la blancheur clinique de la chambre d’hôpital ; les miroirs, omniprésents, prolongent la thématique du deuil et du reflet des vivants dans les absents.
Pourtant, le film reste profondément artisanal. Entièrement financé via une campagne Kickstarter – qui a atteint son objectif en moins de quatre heures –, il garde cette énergie du “fait-maison” qui en devient presque un manifeste esthétique. Lors de notre entretien, Claudia Lonow confiait, depuis son propre appartement – celui-là même qui sert de décor à l’appartement de la sœur du protagoniste : « J’ai de l’expérience dans la production de séries télévisées, notamment à bas budget, ce qui m’a permis pour D(E)AD de faire avancer les choses. Plein de choses ont dû être coupées pour rentrer dans le budget. »
Un aveu qui souligne une autre réussite du film : son montage. Rien n’y paraît amputé, rien ne donne le sentiment d’un compromis. Au contraire, cette contrainte budgétaire semble avoir resserré la narration, lui donnant cette efficacité et cette sincérité qu’on retrouve rarement dans les productions plus lisses des grands studios.
On peut rassurer Isabella Roland : son film est tout sauf « boring ». D(e)AD réussit ce que beaucoup de comédies dramatiques familiales ratent – trouver le juste équilibre entre sincérité et maîtrise. Derrière son apparence de projet « fait maison », on sent une vraie exigence, un sens du cadre et du rythme qui lui donnent un cachet professionnel indéniable. Le film dégage cette chaleur du cinéma indépendant, où la contrainte devient moteur de créativité.
Un premier long-métrage abouti donc, touchant, drôle, porté par une écriture vivante et des interprétations d’une justesse rare. On attend la suite, avec idéalement un peu plus d’ambition encore – dans l’intrigue comme dans la réalisation – mais l’essentiel est déjà là : une belle promesse de cinéma.
Nathan DALLEAU




