Photos des films DELIRIUM et BODY PUZZLE
Crédits : Carlotta Films

DELIRIUM / BODY PUZZLE : l’obsession de Carlotta Films pour Lamberto Bava se poursuit – Critique

Deux ans après avoir sorti en 4K la duologie Demons, Carlotta Films réitère l’expérience Lamberto Bava dans un coffret Blu-ray comportant deux films méconnus du cinéaste : DELIRIUM (LE FOTO DI GIOIA) et BODY PUZZLE. Les créatures de l’au-delà laissent ainsi la place à la monstruosité humaine, et ce dans des masters haute définition.

DELIRIUM (LE FOTO DI GIOIA), quelques pointes de rêves dans un cauchemar sensuel

Durant les années 1980, les heures de gloire du giallo1Le giallo est un genre cinématographique principalement italien à la frontière du cinéma policier, du cinéma d’horreur et de l’érotisme qui a connu son âge d’or des années 1960 aux années 1980 (Wikipédia) étaient déjà derrière lui. Le genre a tout de même subsisté dans une forme différente, en particulier dans les mains de Lamberto Bava. DELIRIUM (Le foto di gioia) est un giallo très sensuel, voire même trop. Certes, cela colle au contexte du magazine pornographique que tient Gioia, toutefois sa présence est lourde et même inapproprié dans certains cas. Le métrage est le témoin de l’érotisme de cette époque, ce qui fait que nous sommes davantage du côté d’un Tinto Brass que d’un Dario Argento. Nous pouvons le constater dans la distribution avec Serena Grandi dans le rôle-titre, elle qui a déjà joué dans un film du maître de l’érotisme italien, mais surtout avec la chanteuse Sabrina, sex-symbol de cette époque. Œuvre d’homme destiné aux hommes, le métrage n’échappe pas au male gaze avec ces objectifs et ces télescopes à forme phallique venant épier ces corps féminins. La femme est réduite à un objet que l’on découpe au fil des clichés.

L’érotisme latent de DELIRIUM réprime totalement l’effroi. C’est un film érotique avec des teintes de giallo, et non l’inverse. Les tentatives d’en faire sont alors un peu vaines et même inefficaces. Toute l’identité de ces œuvres plastiques et sonores est galvaudée et réduite à des effets criards tentant gauchement de nous mener en bateau dans une intrigue policière peu passionnante. Il y a tout de même un effort dans le rapport à la photographie avec quelques décors recherchés et de bonnes compositions de plans, toutefois nous sommes loin de la réussite d’un Blow up dans le domaine. Le métrage de Lamberto Bava parvient cependant à se démarquer par les meurtres en vue subjective. Dans ces séquences, nous sommes dans le cerveau d’un tueur tellement obsessionnel que la réalité se déforme et où les femmes sont monstrueuses. Bien que réussis, ces passages sont bien trop rares, ceux-ci dénotant de tout le reste.

L’obsession est le thème cinématographique par excellence. Dans le cas de ce métrage, nous avons toutefois la sensation de contempler de la nourriture redigéré. Le métrage s’inspire grandement de Fenêtre sur cour et Psychose, mais à la sauce Brian De Palma. La digestion est ainsi difficile pour Lamberto Bava qui peine à préparer son propre plat. Le caractère obsessionnel du métrage fonctionne tout de même par ces quelques séquences fantasmagoriques, mais surtout par les femmes. Gioia est l’obsession de tous les personnages, et donc elle est forcément la nôtre.

BODY PUZZLE, une boîte contenant les mauvaises pièces

A l’orée des années 1990, le giallo a quasiment disparu au profit du thriller. En revanche, en 1992 nous sommes encore loin de la révolution du genre opérée par Seven et Usual suspect. BODY PUZZLE est davantage un thriller à la Brian De Palma, traitant du trouble de l’identité et possédant un plot twist rocambolesque. C’est une nouvelle fois recraché sans finesse avec un filtre plutôt cheap, la période télévisuelle du réalisateur précédant son retour au cinéma se ressentant à l’image.

BODY PUZZLE ne tire pas sa force de son intrigue ou de ses visuelles, et il semble qu’il le sache bien. C’est une œuvre violente où il est question de mutilations. Hormis une, nous ne les voyions pas, mais nous ressentons toute la brutalité de ces actes. Par ailleurs, la musique « Une nuit sur le mont Chauve » de Modeste Moussorgski qui les accompagne – bien que redondante – accentue cette violence et le côté malsain du tueur. Ce dernier – dont nous ne citerons pas l’identité – est le seul personnage possédant de la texture. Opérant tel le Docteur Frankenstein, il récupère les organes de ses victimes pour reconstituer son identité et cache les membres qu’il mutile chez Tracy, la protagoniste. Ces agissements cachent plusieurs doubles sens dans la relation entre ces deux personnages, notamment en ce qui concerne l’homosexualité. Le tueur refoule sa véritable nature en devenant un hétérosexuel obsessionnel solitaire. C’est perceptible dans les meurtres par le fait qu’il les commet quasiment à chaque fois à la fermeture des établissements où il se trouve, c’est-à-dire en secret comme s’il évitait le regard des autres. Il n’y avait que la révélation finale sans queue ni tête et les personnages vides qu’il côtoie qui pouvaient gâcher ce développement.

Ce métrage de Lamberto Bava porte bien son titre car c’est un puzzle que nous essayions de constituer sans avoir les pièces adéquates. Certaines s’imbriquent parfaitement, mais la plupart sont inutilisables. C’est très agaçant surtout qu’en le faisant nous écoutons une musique qui n’a peu d’intérêt. Nous nous sentons au final floués par ce jeu qui nous offre un résultat décevant. C’est bien dommage car sur la boîte le puzzle était plutôt joli.

Le choix de Carlotta Films de réunir ces deux films est judicieux étant donné qu’ils sont complémentaires. Ils le sont aussi bien pour leur rapport à l’obsession et à De Palma que pour leurs imperfections. Les voir, c’est contempler l’évolution du cinéma italien dans une période de creux et celle d’un cinéaste qui, malgré ses quelques illuminations, ne parvient pas à atteindre la réussite de ses pairs. Pour mieux creuser le sujet, l’éditeur sort en parallèle de ces œuvres inédites restaurées « LAMBERTO BAVA, CONTEUR-NÉ – LE FRISSON ET L’ÉMERVEILLEMENT », un livre de Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele contenant des conversations avec Lamberto Bava.

Flavien CARRÉ

Auteur·rice

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    Le giallo est un genre cinématographique principalement italien à la frontière du cinéma policier, du cinéma d’horreur et de l’érotisme qui a connu son âge d’or des années 1960 aux années 1980 (Wikipédia)
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